Nathalie Becquart: «Le christianisme occidental doit se décentrer»

Nommée le 6 février 2021 par le pape François sous-secrétaire du Secrétariat général du Synode des évêques, Sœur Nathalie Becquart retrace les grandes lignes des assemblées synodales continentales. Le pari de l’unité dans la diversité.

Propos recueillis par Luc Balbont pour cath.ch

Pour une Eglise synodale: communion, participation, mission, c›est le titre du Synode sur la synodalité qui se déroule depuis octobre 2021 et durera jusqu’en octobre 2024.

L’étape continentale, qui vient de se terminer, a vu Rome aller à la rencontre des Églises locales. Deux mois durant, du 5 février au 31 mars 2023, l’Océanie, l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Amérique du Nord, et l’Europe ont été visités par la délégation vaticane du Secrétariat Général du Synode à l’occasion des assemblées continentales.

En suivant ces assemblées continentales, une personnalité ou un évènement précis vous ont-ils particulièrement marquée?
Nathalie Becquart: Il est bien difficile de mettre en avant une personnalité ou un évènement précis. J’ai eu la chance de participer à l’assemblée synodale de l’Océanie, du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Afrique. Et cela a été une expérience très riche. J’ai été en particulier marquée par la diversité des réalités d’Eglise selon les sociétés, les contextes sociaux-politiques et culturels, ou encore l’histoire de l’Eglise locale.

«Aux îles Fidji, les célébrations sont très différentes de ce qui se passe ailleurs.»

On voit le visage d’une Eglise multipolaire appelée à renforcer le dialogue entre les Eglises locales dans une dynamique d’échange de dons. En Océanie, dans certaines îles, l’évangélisation a démarré il y a seulement 50 ans, après le Concile Vatican II. Cela donne une toute autre expérience d’Eglise que, par exemple, les Eglises au Moyen-Orient, qui existent depuis plus de 2000 ans. 

Des différences qui sont aussi dans l’expression de la foi…
Aux îles Fidji, où se passait la rencontre continentale océanienne, les célébrations sont très différentes de ce qui se passe ailleurs. C’est une foi qui s’exprime dans des rythmes différents, d’une manière toute autre avec de nombreux éléments et gestes de la culture indigène locale. Des chants, une liturgie, des expressions qui nous plongent dans un autre univers. C’est parfois déroutant… Pourtant, au bout du compte, les Fidjiens vivent la même foi que les Américains et les Européens, ou encore les chrétiens orientaux qui célèbrent en différents rites (maronite, grec-catholique, arménien…). C’est là toute la richesse de l’Eglise. Le Christianisme européen/occidental doit apprendre à se décentrer et recevoir aussi de la vitalité de l’Eglise dans les pays du Sud.

Nathalie Becquart lors de l’assemblée synodale en Asie | DR

Le phénomène de la migration doit être aussi pris en compte…
Oui. Avec l’accroissement de l’émigration et de l’immigration dans tous les continents, quasiment plus aucune Eglise locale ne peut se penser seulement à partir des seuls natifs. L’Eglise n’est plus l’apanage des seuls chrétiens locaux mais doit accueillir, intégrer, des baptisés venus d’ailleurs. Sans oublier aussi de nombreux prêtres et religieux missionnaires venus d’autres pays. En Europe, par exemple, nous trouvons de plus en plus de prêtres étrangers, des Africains notamment mais aussi des Asiatiques ou Latino-américains, car les vocations les plus nombreuses proviennent aujourd’hui d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine.

Les Eglises des pays émergents ne sont-elles pas en train de revitaliser la foi?
C’est un constat qui provoque chez certains chrétiens européens une frayeur irrationnelle. Ils y voient une perte d’identité, la fameuse théorie du grand remplacement, et craignent le danger d’un appauvrissement, voire d’une dispersion de leurs valeurs. Le christianisme venu d’ailleurs est une richesse, une force nouvelle pour l’Eglise européenne, une manière aussi de faire tomber les peurs et de construire une société plus fraternelle.

Comment les autres conférences qui vous recevaient ont perçu votre venue?
D’habitude, les évêques des autres continents viennent à Rome pour nous rencontrer. Avec ces sept conférences continentales, c’est le contraire qui s’est passé. Rome, cette fois, se déplaçait pour aller à leur rencontre. C’est tout autre de se rendre en terrain inconnu, plutôt que de recevoir dans son environnement habituel. Sur place, on découvre la réalité. On mesure toute l’étendue du témoignage de l’esprit.

«Avec ces rencontres, Rome prend de plus en plus la mesure d’un monde différent.»

La majorité des délégations qui nous ont accueillis étaient touchées de constater que pour une fois, le Vatican venait les écouter. 

Et comment Rome considère ces Eglises?
Avec ces rencontres, Rome prend de plus en plus la mesure d’un monde différent. La synodalité est un défi capital. C’est le pari de l’unité dans la diversité.

Quel est le point fort qui est ressorti des sept assemblées continentales?
Nous sommes en train de finaliser le document de travail pour l’assemblée d’octobre, pour le début du mois de juin, qui prend en compte les fruits de l’écoute synodale depuis les synthèses diocésaines et nationales jusqu’aux sept documents finaux des sept assemblées continentales. Il faut attendre pour en tirer des conclusions définitives. Tout ce que je peux avancer, c’est que ces assemblées ecclésiales ont été des expériences fortes de synodalité qui ont fait grandir le désir de poursuivre ce ‘marcher ensemble’ qui est un chemin de conversion.

Quelle a été la principale réalisation de l’étape continentale? 
Elle a permis d’approfondir l’écoute et le dialogue pour mieux s’entendre et se comprendre, et se reconnaître mutuellement.  Et elle a permis de prendre conscience que d’un continent à l’autre, les préoccupations premières n’étaient pas toujours les mêmes mais qu’il y avait aussi beaucoup d’aspirations et questions communes qui se sont exprimées 

«Les Eglises locales doivent mettre en œuvre la notion d’inculturation»

Au Moyen-Orient par exemple, l’enjeu de l’œcuménisme, avec toutes ces églises différentes, orthodoxes, catholiques rattachés ou non à Rome a été particulièrement mis en lumière. Pour l’Océanie la préoccupation première était la sauvegarde de la création, la protection de l’océan, dans un contexte qui exprime concrètement la menace de voir des contrées, notamment des îles disparaître à cause de la montée du niveau de la mer.

La collégialité, la communion? Qu’est-ce qui peut rassembler des Eglises nord-américaines ou européennes avec des églises océaniennes ou africaines si différentes?
C’est le Crédo, la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité, qui reste la base de notre unité, les Sacrements, les Ecritures et beaucoup d’éléments que nous partageons. Mais on ne peut plus, comme on le faisait naguère avoir une vision uniformisante et centralisatrice de l’Eglise. Il faut reconnaître que nous avons eu tendance à exporter vers les autres continents un christianisme européen comme modèle à suivre. Si la foi reste le lien commun, il y a des manières différentes de l’incarner et la célébrer.  Les Eglises locales doivent en tenir compte en mettant en œuvre la notion d’inculturation. 

Soeur Nathalie Becquart entre les cardinaux Mario Grech (à dr) Se.crétaire général du Synode des évêques, et Jean-Claude Hollerich (à g.) rapporteur général du Synode des évêques | DR

Avez-vous des exemples?
En Asie, le christianisme est, sauf aux Philippines, en Corée et au Timor-Est, extrêmement minoritaire dans les différents pays. Les chrétiens en Asie ont appris à vivre leur foi dans des sociétés majoritairement hindoues, bouddhistes ou musulmanes. En Europe, aujourd’hui, nous nous posons la question, comment vivre en chrétien dans un monde largement sécularisé et dans des sociétés de plus en plus pluriculturelles et plurireligieuses ? Sans doute pouvons-nous apprendre de l’expérience des chrétiens asiatiques. Tenir compte de la diversité des cultures et religions tout en cherchant ce qui nous unit pour bâtir la fraternité humaine. C’est une vision constante chez le pape François.

«Pour une Eglise synodale: communion, participation, mission.» Pourquoi le pape François a-t-il choisi ce titre qui symbolise la collégialité et la mission de l’Eglise pour cette 16e assemblée générale ordinaire du Synode des évêques?
Au terme de chaque synode, on demande aux évêques de proposer trois thèmes pour la prochaine assemblée. Puis le conseil du synode dépouille les résultats et fait des propositions au pape qui décide in fine le thème du prochain synode.

«La synodalité est un processus de marche ensemble dans l’écoute mutuelle»

En 2018 lors du synode des jeunes, les évêques ont réalisé que l’unique manière de transmettre la foi aujourd’hui était d’être une Eglise synodale dans laquelle tous sont écoutés et sont acteurs de la mission de l’Eglise dans le monde. Ce synode sur la synodalité d’une certaine manière s’inscrit dans la suite du synode des jeunes qui a souligné l’enjeu d’être une Eglise relationnelle et accueillante dans laquelle tous marchent ensemble. Ce qui implique une manière de travailler ensemble dans la diversité des charismes et des vocations, tout en respectant impérativement nos différences, dues à nos histoires et à nos cultures.

Avec le pape François, l’Eglise prend davantage conscience que l’unité ne veut pas dire uniformité, qu’elle doit être à l’image d’un «polyèdre». Pour vivre sa mission dans le monde d’aujourd’hui – un monde fragmenté et interdépendant qui a besoin de renforcer les synergies – le thème de la synodalité est ainsi primordial et évident.

Comment définir la synodalité?
La synodalité est un processus de marche ensemble dans l’écoute mutuelle guidé par l’Esprit qui renforce la communion en permettant la participation de tous, le faire ensemble en vue du service du bien commun. C’est se demander comment les baptisés, tous appelés à être disciples missionnaire, peuvent penser, discerner et agir en commun, quelques soient leurs spécificités diverses.

Les sept assemblées continentales (ndlr Europe, Afrique, Asie, Océanie, Amérique latine, Amérique du Nord, Moyen-Orient) qui ont réuni des évêques, des religieux, des religieuses, des laïcs et des jeunes, hommes et femmes, ont symbolisé cette volonté. Les groupes ont travaillé avec une même foi en Dieu, mais en l’exprimant différemment, à travers leurs cultures et contextes propres.

Sous le pontificat de François, les femmes tiennent un rôle participatif de plus en plus important. Alors que vous étiez la seule femme, qui jusqu’à présent avait le droit de voter au Synode des évêques. Pour la première fois, grande première d’un synode, 40 femmes pourront elles aussi voter.
C’est une forte volonté du pape François de donner aux femmes une place plus grande. Un désir de sortir d’une Eglise cléricale pour aller vers une Eglise synodale. Les femmes doivent être associées à la vie de l’Eglise. Mais pas seulement, hommes, femmes, religieux et laïcs, tous les baptisés doivent être acteurs. C’est là tout l’esprit de la synodalité. (cath.ch/lbo/rz)

A lire: Paroles et réflexions sur la synodalité  par le pape François, du cardinal Mario Grech et Sr. Nathalie Becquart – Salvator, 2023

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/nathalie-becquart-le-christianisme-occidental-doit-se-decentrer/