La conférence épiscopale locale, consciente de la gravité de la situation et des vagues que provoque le scandale d’abus sexuels révélés mi-mai, a demandé la présence d’un des hommes de confiance du pape sur le sujet, explique le quotidien El Pais. Officiellement, le Père Jordi Bertomeu doit rencontrer les évêques de Bolivie pour faire un point sur l’avancée des processus de prévention contre les crimes sexuels dans l’Église. Mais le profil du Père Bertomeu, fonctionnaire de la section disciplinaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et la gravité de la situation donnent à penser à une tâche de plus grande envergure qui n’avait pas été prévue avant le scandale.
L’official du Vatican a participé à de nombreuses missions en Amérique latine. Il a notamment été chargé de l’enquête sur les abus du Père Maciel chez les Légionnaires du Christ et dans l’Église chilienne. La procédure s’est soldée par la destitution de la quasi-totalité de la direction ecclésiastique du Chili. Le Père Bertomeu restera plusieurs jours en Bolivie, alors que le nombre de cas connus augmente et que l’agenda politique a placé cette question au centre des préoccupations.
La semaine précédente, le prêtre s’est rendu au Paraguay pour mener une autre enquête sur les abus commis à l’université catholique du Paraguay avec l’archevêque de Rio de Janeiro, le cardinal Orani João Tempesta. Les délégués du Saint-Siège avaient pour mission de recueillir toutes les informations et de faire un rapport.
En moins d’un mois, la publication du journal secret du jésuite espagnol Alfonso Pedrajas, dans lequel il reconnaît avoir abusé de dizaines d’enfants dans des écoles boliviennes et que ses supérieurs ont couvert, a ébranlé les piliers de toute l’Église bolivienne. Malgré la réaction rapide des jésuites – début mai, le provincial a démis de leurs fonctions huit anciens hauts responsables accusés de dissimulation – les institutions publiques se sont également manifestées.
Le ministère public a ouvert une enquête sur l’affaire Pedrajas et le président Luis Arce a présenté il y a quinze jours un projet de loi visant à rendre imprescriptibles les crimes de pédophilie et à créer une commission de la vérité chargée d’enquêter sur ces affaires et d’indemniser les victimes.
Le gouvernement a également annoncé samedi qu’il étudiait des mécanismes de contrôle pour vérifier les antécédents des ecclésiastiques entrant dans le pays latino-américain. «Les prêtres ne peuvent pas venir pour être les guides spirituels de nos enfants, les violeurs pour enseigner à nos enfants la voie de Dieu tout en abusant d’eux, c’est inconcevable», a déclaré le ministre de la présidence aux médias il y a deux jours. Le procureur général de Bolivie propose également de revoir le «statut» des jésuites dans le pays. C’est un coup dur pour la Compagnie de Jésus en particulier et pour l’Église bolivienne en général.
L’affaire a provoqué un tel scandale dans le pays, que le président bolivien en personne, Luis Arce, a écrit une lettre au pape François, demandant «que la justice bolivienne ait accès à tous les dossiers, registres et informations concernant ces allégations et faits d’abus sexuels commis par des prêtres et religieux catholiques sur le territoire bolivien». La lettre a été présentée le 22 mai, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle le président bolivien a menacé d’interdire l’entrée sur le territoire national des prêtres et religieux étrangers qui auraient des antécédents d’abus sexuels sur des mineurs.
Les plaintes – tant devant les tribunaux que dans les bureaux de la Compagnie et dans la presse – se sont multipliées ces dernières semaines, non seulement contre Pedrajas, mais aussi contre d’autres compagnons jésuites espagnols. Certains, comme le Père Francesc Peris, ont poursuivi une carrière religieuse en Espagne, mais l’ordre les a transférés en Amérique latine à la suite d’accusations de pédophilie. Le Père Peris s’est rendu en Bolivie en 1982, où il est accusé d’avoir abusé de plusieurs filles dans une école jésuite de Cochabamba entre 1983 et 1984, et est retourné en Espagne un an plus tard. Récemment, de nouvelles victimes l’ont accusé d’abus dans un centre de Barcelone.
Les jésuites ont également été contraints de reconnaître plusieurs allégations dont ils ont eu connaissance il y a plusieurs années et qu’ils n’avaient pas rendues publiques ou signalées aux autorités jusqu’à présent. La plus célèbre est celle qui concerne l’archevêque espagnol Mgr Alejandro Mestre, décédé en 1988, qui était prélat de La Paz. L’ordre a reçu une victime en 2021 qui l’accuse d’avoir abusé de lui en 1961, alors que Alejandro Mestre était professeur à l’école San Calixto de La Paz. Mestre était également secrétaire général de la Conférence épiscopale bolivienne, un poste très influent qu’il a occupé pendant la dictature de Luis García Meza, qui a duré de 1980 à 1981. Les jésuites ont signalé cette affaire au ministère public bolivien le 9 mai dernier.
Le ministère public, en réponse à ces nouvelles allégations, a formé une commission de procureurs pour enquêter sur tous les cas et a déjà ordonné plusieurs perquisitions dans les propriétés des Jésuites, y compris son siège à La Paz, pour obtenir des informations et des documents sur les accusés. (cath.ch/elpais/vatnews/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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