Cette déclaration découle d’une prise de conscience qu’un document onusien de l’époque exprime ainsi «… Nous commençons à comprendre les objectifs véritables du développement et la nature de son processus. Nous apprenons que le développement vise non seulement à satisfaire les besoins matériels de l’homme, mais encore à améliorer ses conditions de vie en société et à répondre à ses aspirations en général. Le développement n’est pas simplement synonyme de croissance économique; c’est une croissance économique accompagnée de transformations.» Depuis, sept décennies se sont écoulées sans que les choses aient véritablement bougées.
Au début des années 1960, il semblait que le rattrapage économique était à la portée de main et qu’il suffirait de transférer 1% du PIB des pays du Nord pendant dix ans de suite pour que le problème de développement appartienne au passé. Contrairement aux déclarations, les transferts annoncés n’ont pas eu lieu, et le développement a fait du surplace. Faute de résultats, celle qui devait être «LA» décennie pour le développement a été rebaptisée en «Première» décennie, tant il est vrai qu’elle a été suivie de trois autres ce qui n’ont pas eu plus d’effets. Ceci nous amène aux années 1990. Pour éviter le ridicule, et dans l’enthousiasme de la fin de la guerre froide, la dynamique onusienne autour du développement a cherché à impliquer aussi des acteurs privés: les entreprises transnationales les organisations non-gouvernementales. Le rapport sur le développement humain, inspiré par A. Sen, fournit les bases conceptuelles qui permettent à la «communauté internationale» élargie au privé de sauver la face après 40 ans de promesses et annonces non tenues, et de continuer à porter un message empreint d’optimisme – même si les observateurs avertis savent qu’il s’agit d’une opération à forte composante de communication. C’est ainsi que naissent les Objectifs du Millénaire pour le développement.
Les objectifs du Millénaire ciblaient 2015, et le succès – une fois de plus – n’a pas été plus au rendez-vous que lors des décennies précédentes. L’ouvrage est alors remis une fois de plus sur le métier pour donner naissance au 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) qui courent jusqu’en 2030. A mi-parcours vers les ODD, en avril 2023, le Secrétaire général de l’ONU pousse un cri d’alarme: au rythme actuel et compte tenu des difficultés récentes (pandémie et guerre en Ukraine), le monde va rater très largement les ODD.
Les moyens économiques à mobiliser sont gigantesques. En 2015 déjà, au moment du lancement des ODD, la Banque mondiale disait que les flux financiers pour le développement devaient changer de magnitude et passer «from billions to trillions» («du milliard au millier de milliards»): un saut quantique. Selon les estimations actuelles, pour garder les ODD en point de mire, 3,9 milliers de milliards manqueraient à l’appel par année, soit environ 5% du PIB mondial. Une charge qui dépasse très largement les possibilités de l’aide publique qui se compte en centaines de milliards. Seule la finance privée – y compris nos caisses de pension – dispose de volumes en rapport avec les besoins, mais elle se montre plus que réticente faute de perspectives de rentabilité suffisantes dans le moyen terme. La situation ne va pas s’améliorer sans une action énergique et concertée au public et du privé, dont pour le moment on ne voit pas les contours, tant il est vrai que les espoirs mis dans la finance durable ne seront pas tenus faute de projets rentables dans les pays en développement.
Le vote à l’ONU au printemps 2022 a clairement démontré que plus de la moitié de la population mondiale ne se reconnait pas – ou seulement partiellement – dans le modèle «démocratie + libre marché». L’échec bientôt séculaire des stratégies de développement y est sans doute pour beaucoup. Peut-être le moment est venu pour mettre fin une fois pour toutes au scandale du sous-développement par un plan Marshall aux dimensions planétaires. L’appui démocratique est nécessaire pour pousser nos gouvernements à changer l’échelle de leurs ambitions en la matière. Il en va certes de l’exigence de solidarité mais aussi, comme dans les années 1950 en Europe, des valeurs de liberté et de responsabilité qui sous-tendent notre civilisation.
Paul Dembinski
17 mai 2023
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