Une nouvelle équipe dirigeante sera également élue, afin de clore la parenthèse ouverte en novembre 2022 par un décret mettant la confédération sous la tutelle directe du dicastère pour le Service de développement humain intégral.
«Des méthodes de bandits». Une source proche du dossier qualifie ainsi le ‘putsch’ mené le 22 novembre 2022 à midi, lorsque fut annoncée, sans préavis, la dissolution de l’équipe dirigeante de Caritas Internationalis. Une crise qui fait écho à celle de 2011, lorsque la secrétairerie d’État, alors dirigée par le cardinal Tarcisio Bertone, bloqua la candidature de la secrétaire générale sortante, la Britannique Lesley Anne Knight, élue en 2007, à un second mandat.
Durant cette crise qui a marqué le pontificat de Benoît XVI, c’était «l’identité catholique» de la confédération qui était en cause. Le Conseil pontifical Cor Unum, alors dirigé par le cardinal Robert Sarah, voulait réorienter Caritas Internationalis dans une logique de «charité» et non de simple assistance humanitaire rejoignant les standards des ONG laïques. Le Français Michel Roy fut ensuite élu secrétaire général pour deux mandats, de 2011 à 2019, dans un climat plus apaisé, avant de passer la main à Aloysius John, français d’origine indienne.
La crise de 2022 a pris un tour plus déroutant pour les membres de la confédération. L’audit mené par l’expert italien Pier Francesco Pinelli à la demande d’Aloysius John, confronté à des critiques internes, s’est retourné contre le secrétaire général «comme un boomerang», témoigne une source proche, dénonçant une «décision violente, digne des méthodes des firmes américaines».
L’éviction immédiate de l’équipe dirigeante pouvait en effet sembler disproportionnée. Le communiqué diffusé au terme de cet audit ne relevait que des «faiblesses dans les procédures de gestion» et des difficultés dans le travail d’équipe, tout en assurant qu’aucun scandale financier ou sexuel n’avait été identifié. Dans ce contexte, la prise de contrôle de la confédération par une équipe de transition menée par Pier Francesco Pinelli, soutenu par le cardinal Michael Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, a été vécue comme une douche froide, voire une «humiliation publique» par une grande partie des membres de la Caritas.
Les «méthodes brutales» de l’annonce ont choqué les personnes concernées, se voyant empêchées d’accéder à leur propre bureau, précise cette source qui identifie une volonté de contrôle des pays du Nord sur le Sud, au sein de la confédération. Un «racisme dilué» a ainsi pu mener à l’éviction de l’équipe sortante, témoigne-t-elle. L’assistant ecclésiastique renvoyé, Mgr Pierre Cibambo, de nationalité congolaise, a pu s’entretenir par la suite avec le pape François, mais sans obtenir de réhabilitation ni de nouvelle charge.
Le secrétariat de la Confédération Caritas risquerait ainsi de perdre son modèle «associatif» pour devenir une simple antenne du dicastère pour le Service du développement humain intégral. Selon ce proche du dossier, le palais San Callisto pourrait ainsi abriter une forme de «salle de régie», avec la volonté sous-jacente d’exercer un contrôle plus strict sur les flux financiers, qui proviennent essentiellement des pays du Nord, mais avec le risque de perdre la logique de subsidiarité, de communion et de confiance avec les équipes locales.
«L’ecclésiologie résiste rarement aux enjeux de contrôle financier», ironise cette source. Elle reste perplexe devant le fait que le secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, n’ait pas été impliqué dans la décision ni même informé avant sa publication. «C’est un gros dysfonctionnement… ou une politique», s’interroge-t-elle, remarquant que le pape François est demeuré apparemment en retrait sur le dossier, en attendant sa prise de parole du 11 mai devant les délégués réunis pour l’assemblée générale.
À l’approche de cette assemblée, l’ancien secrétaire général a adressé une lettre ouverte aux membres de la confédération, dans laquelle il exprime son amertume en des termes très vifs. «La journée du 22 novembre 2022 entrera et restera dans l’histoire de Caritas Internationalis comme un jour d’une immense tristesse, au cours duquel le principe fondamental du respect de la dignité humaine a été délibérément bafoué», s’insurge-t-il dans cette lettre que s’est procurée l’agence I.MEDIA.
Dénonçant une «exécution institutionnelle et professionnelle en direct», Aloysius John estime que «l’humiliation atteint non seulement la gouvernance, le président, le secrétaire général et l’assistant ecclésiastique, mais aussi tous les membres de la confédération qui mettaient leur confiance en cette institution et en son devenir».
Il dénonce une «brutale prise de pouvoir», menée «dans la précipitation, avec une incroyable violence et une très mauvaise communication publique». Il estime que cette décision «a jeté un discrédit sur l’Église et sur l’un de ses joyaux, Caritas, instrument pour le rayonnement de la charité et la mission de l’Église pour la justice sociale».
Aloysius John revient aussi sur les circonstances difficiles de son élection comme secrétaire général en mai 2019. Dénonçant la mainmise des pays du Nord, il évoque «des manipulations honteuses de certains des membres présents afin d’empêcher la ratification de la nomination d’un secrétaire général originaire du Sud».
Dans sa lettre, Aloysius John révèle aussi que certains membres de Caritas ont proposé sa candidature pour 2023, mais qu’elle a été écartée «d’une manière arbitraire et sans explication aucune».
Président de Caritas Internationalis de 2015 à 2022, le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, souvent présenté comme un potentiel premier pape venu d’Asie, avait été contraint, le 22 novembre 2022, de lire lui-même le message annonçant le débarquement de l’équipe dirigeante… et donc sa propre éviction.
Le cardinal Tagle a néanmoins été impliqué dans la phase de transition, en étant appelé à seconder Pier Francesco Pinelli dans la préparation de l’assemblée générale de 2023. Si un éventuel retour du pro-préfet du dicastère pour l’Évangélisation à la présidence de cette Confédération semble peu probable – d’autant plus qu’il était déjà proche du terme de son second mandat -, sa loyauté et sa discrétion durant cette phase délicate peuvent néanmoins lui permettre de continuer à peser au sein du Collège des cardinaux et de la Curie romaine.
L’un des principaux enjeux de la crise actuelle est l’articulation de la relation entre Rome et les Églises locales, confrontées à des réalités complexes et disposant de moyens très variables. Selon le site de Caritas Internationalis, le secrétariat général de la Confédération Caritas «coordonne la réponse aux urgences majeures, les activités de plaidoyer et de communication, la représentation internationale et le renforcement des capacités». Il s’agit en réalité d’une structure relativement petite, par rapport à l’ampleur des Caritas nationales, liées aux conférences épiscopales.
Ces antennes de Caritas constituent des réalités très différentes. En France, le Secours catholique, en dehors des coordinateurs et des animateurs actifs au niveau diocésain, repose très largement sur le bénévolat dans les paroisses: il compte au total près de 68’000 bénévoles répartis en 4000 équipes locales.
Les enjeux se situent à une autre échelle en Allemagne, où le puissant réseau de la Caritas est l’un des principaux employeurs du pays, avec plus de 500’000 salariés, et autant de bénévoles. Créée dès la fin du XIXe siècle, la Caritas allemande avait été reconnue par l’épiscopat allemand en 1916 comme l’aile sociale de l’Église catholique.
Les Caritas nationales «s’engagent à une bonne gouvernance, à la transparence et à rendre des comptes selon les normes de Caritas Internationalis», indique le site de l’organisation. Cet enjeu de la reprise en main des finances semble au centre de la mise sous tutelle de la confédération, dans la ligne des décisions drastiques prises par le pape François ces dernières années. La secrétairerie d’État et l’ex-congrégation pour l’Évangélisation des peuples ont ainsi perdu leur autonomie de gestion. La même philosophie semble avoir présidé vis-à-vis de la Caritas.
Dans un communiqué ne faisant pas d’allusion directe à la crise traversée par la confédération, Caritas Internationalis précise que l’assemblée générale de 2023 aura pour thème «Construire de nouveaux chemins de fraternité ». Une devise tirée de l’encyclique Fratelli tutti (2020). De nouveaux dirigeants seront élus pour la période 2023-2027: président, secrétaire général, trésorier, conseil exécutif et conseil représentatif de la confédération.
Les délégués réfléchiront ensemble à la façon de «travailler plus efficacement ensemble pour servir les plus pauvres et les plus vulnérables dans un monde touché par de multiples crises: de la guerre en Ukraine à la pandémie de Covid-19, des conséquences du changement climatique à l’insécurité alimentaire galopante», est-il précisé.
Outre l’audience du 11 mai avec le pape François, une réunion publique sur «les défis mondiaux et le rôle de Caritas» aura lieu le 12 mai, avec des interventions, notamment, de Mgr Paul Richard Gallagher, Secrétaire pour les relations avec les États et les organisations internationales du Saint-Siège, et des représentants des Caritas du Ghana, de Birmanie et de l’Irlande.
Les thèmes de la synodalité, de la régionalisation et de la coopération fraternelle seront abordés au fil des conférences suivantes. Le cardinal Mario Grech, Secrétaire général du Secrétariat général du Synode, et Sœur Alessandra Smerilli, Secrétaire du dicastère pour le Service du développement humain intégral, figurent également parmi les intervenants. (cath.ch/imedia/cv/rz)
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