Le pape évoque la dictature argentine avec les jésuites de Hongrie

Sous la dictature militaire, la situation en Argentine était «confuse et incertaine», a expliqué le pape François le 29 avril 2023 lors de son échange avec 32 jésuites hongrois réunis à la nonciature apostolique à Budapest, au deuxième jour de sa visite en Hongrie. Dans ce dialogue publié le 9 mai par La Civiltà Cattolica, le pape s’exprime longuement sur les polémiques entourant son attitude en tant que provincial des jésuites d’Argentine durant la dictature, et l’instrumentalisation qui en a été faite pour l’affaiblir lorsqu’il était cardinal-archevêque de Buenos Aires.

Une partie importante de ce dialogue tourne autour de la situation controversée de deux jésuites, Orlando Yorio et Ferenc Jálics – ce dernier étant de nationalité hongroise – qui subirent neuf mois de prison et de torture en Argentine dans les années 1970, quand Jorge Mario Bergoglio était provincial des jésuites de ce pays situé sous la coupe des généraux putschistes. 

Interrogé frontalement par un jésuite hongrois sur les «pesantes accusations» dont il a fait l’objet, le pape dénonce la «légende» selon laquelle il aurait été lui-même à l’origine de l’arrestation de ses deux confrères, une rumeur démentie dans les archives détaillées récemment publiées par la conférence épiscopale d’Argentine, explique-t-il.

Brouille et réconciliation

Si Orlando Yorio est mort en l’an 2000 toujours brouillé avec son ancien provincial, le Père Jálics, qui avait été le confesseur et le père spirituel du futur pape durant ses études de théologie, l’a rencontré à plusieurs reprises après cette période de captivité, concélébrant notamment une messe avec lui, en signe de réconciliation.

Le pape n’élude néanmoins pas le malaise, qui a persisté jusqu’au décès du Père Jálics, en 2021. «Quand il est venu la dernière fois me rencontrer au Vatican, j’ai vu qu’il souffrait, parce qu’il ne savait pas comment me parler. Il y avait une distance. Les blessures de ces années passées sont restées autant en moi qu’en lui, parce que nous avons tous les deux vécu cette persécution», explique le pape, laissant entendre que cet épisode demeure douloureux au sein de la Compagnie de Jésus et lui a valu une réputation mitigée.

«Quand Jálics et Yorio ont été pris par les militaires, la situation que l’on vivait en Argentine était confuse», explique le pape. «Moi, j’ai fait ce que je sentais devoir faire pour les défendre», expliquant que «Jálics était un homme bon, un homme de Dieu, un homme qui cherchait Dieu», mais qu’il a été «victime d’un entourage auquel il n’appartenait pas», c’est-à-dire la guérilla active dans le quartier où il exerçait son sacerdoce.

Une polémique venue du clan Kirchner

Évoquant, sans les nommer explicitement, l’entourage des dirigeants péronistes de gauche Nestor Kirchner (président de l’Argentine de 2003 à 2007,) et Cristina Kirchner (présidente de 2007 à 2015) le pape explique que certaines personnes du gouvernement voulaient lui «couper la tête» lorsqu’il était le cardinal-archevêque de Buenos Aires. 

Elles ont «fait ressortir non seulement ce problème de Jálics, mais ont mis en question toute ma façon d’agir durant la dictature», explique le pontife argentin, qui fut particulièrement attaqué dans des enquêtes du journaliste Horacio Verbitsky. 

Le pape revient sur les 4h10 d’interrogatoire subies à l’évêché, durant lesquelles il a cherché à répondre «avec vérité» concernant «d’autres cas de personnes qui avaient demandé de l’aide». «De mon point de vue, l’unique demande sérieuse, avec des fondements, bien faite, est venue de l’avocat qui appartenait au parti communiste», raconte le pape, expliquant que grâce à sa question, «les choses se sont éclaircies» et son innocence a été établie. 

Le pape révèle que l’un des juges, croisé plusieurs années plus tard à Rome avec une délégation venue d’Argentine, lui a «dit clairement qu’ils avaient reçu une indication du gouvernement de (le) condamner». Après l’élection du cardinal Bergoglio comme pape, ses relations avec Cristina Kirchner se sont néanmoins beaucoup améliorées.

Le difficile accompagnement pastoral des prêtres abuseurs

Interrogé sur l’accompagnement pastoral des prêtres reconnus coupables d’abus sur mineurs, le pape explique que «l’abuseur doit être condamné» mais que «le condamner doit être compris comme un acte de charité». Les abuseurs méritent aussi «un soin pastoral» car ils sont eux aussi des «enfants de Dieu», explique-t-il, tout en précisant que le prêtre abuseur est «un ennemi».  

Il ne donne néanmoins aucune réponse précise et assume sa difficulté à affronter ce thème. «Lorsque l’on entend ce que la maltraitance laisse dans le cœur des personnes maltraitées, l’impression que l’on en retire est terrible. Même parler à l’agresseur nous fait grimacer, ce n’est pas facile», reconnaît-il.

Vatican II: lutter contre la «maladie nostalgique» du retour en arrière

Interrogé par ailleurs sur le lien entre le Concile Vatican II et le monde moderne, le pape explique que «le Concile est encore en voie d’application», et qu’il faut 100 ans pour assimiler un Concile. «Les résistances sont terribles, il y a un restaurationnisme incroyable», s’agace le pape, insistant sur l’importance de suivre «le flux de l’histoire et de la grâce». 

Dénonçant la «maladie nostalgique» du retour en arrière ou de la « réaction contre le moderne», le pape explique qu’il a voulu limiter l’usage du Missel romain de 1962, notamment en expliquant que son usage, pour les nouveaux prêtres actuels, n’est désormais possible qu’après l’obtention d’une concession spécifique, alors que ses prédécesseurs avaient permis des assouplissements visant à rallier à Rome les fidèles de la messe traditionnelle. «Après toutes les consultations nécessaires, je l’ai décidé parce que j’ai vu que cette mesure pastorale bien faite par Jean-Paul II et Benoît XVI était utilisée d’une façon idéologique, pour retourner en arrière», se justifie le pape François.

Interrogé par un jeune jésuite hongrois sur le point de recevoir l’ordination sacerdotale, le pape revient sur son ordination de 1969 avec quatre confrères, dont trois sont aujourd’hui décédés. Évoquant une «célébration belle, simple, sans pompe ni ostentation», le pontife se souvient aussi de la présence d’anciens collègues du laboratoire chimique où il avait travaillé, «tous athées et communistes», précise-t-il. «L’une d’entre eux a été séquestrée et ensuite tuée par les militaires», se souvient François. (cath.ch/imedia/cv/bh)

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