Le pape met en garde contre l’arrogance du «paradigme technocratique»

«La culture représente vraiment la sauvegarde de l’humain», a expliqué le pape François le 30 avril 2023, pour sa dernière prise de parole publique dans le cadre de son 41e voyage apostolique en Hongrie. Il s’exprimait devant le monde universitaire et culturel rassemblé à la Faculté d’Informatique et de sciences bioniques de l’Université catholique Péter Pázmány.

Cette université est particulièrement en pointe dans les neurosciences et engagée dans la collaboration avec des universités du Moyen-Orient. Développant une métaphore à partir de l’image du Danube, le pape a expliqué que la culture «est comme un grand fleuve», qui «parcourt les différents lieux de la vie et de l’histoire en les reliant». «Elle permet de naviguer dans le monde et d’embrasser des pays et des terres lointaines, elle désaltère l’esprit, irrigue l’âme, fait croître la société.»

«Le mot même de culture dérive du verbe cultiver: le savoir suppose une semence quotidienne qui, en s’introduisant dans les sillons de la réalité, porte du fruit», a expliqué François. Citant le théologien allemand Romano Guardini, sur lequel il avait commencé une thèse dans les années 1980, le pape a mis en garde contre «l’assujettissement de l’être vivant qui se développe» quand la vie se trouve «encadrée par un système de machines».

Il a notamment alerté contre «cette ‘arrogance d’être et d’avoir’ que déjà, à l’aube de la culture européenne, Homère voyait comme menaçante et que le paradigme technocratique accentue, avec une certaine utilisation des algorithmes qui peut représenter un risque supplémentaire de déstabilisation de l’humain».

L’impasse d’un «humanitarisme» trompeur

Le pape François a invité à réfléchir aux causes et aux conséquences de la crise écologique, «avec la nature qui ne fait que réagir à l’usage instrumental que nous en avons fait». Il a dénoncé le manque de limites permis par une évolution de la société qui met en valeur «l’individu centré sur ses besoins, avide de s’enrichir et de s’emparer de la réalité».

Le pontife a cité le livre Le maître de la terre, un ouvrage publié en 1910 par l’écrivain britannique Robert Benson. Dans l’ouvrage de celui qui fut aussi un prêtre anglican devenu catholique décrit «un avenir dominé par la technique» et dans lequel «tout est uniformisé au nom du progrès». Ce récit met en scène «un nouvel ‘humanitarisme’ qui annule les différences, en réduisant à zéro la vie des peuples et en abolissant les religions.»

Dans ce monde décrit par Benson, «il semble évident qu’il faut écarter les malades et appliquer l’euthanasie, abolir les langues et les cultures nationales pour atteindre une paix universelle qui se transforme, en réalité, en une persécution fondée sur l’imposition du consentement». Pour François, l’actualité montre que cette «sombre analyse» avait une dimension «prophétique».

L’université comme antidote aux instrumentalisations idéologiques

Le pape a expliqué que «dans ce contexte, les rôles de la culture et de l’université ressortent davantage». Pour François, l’université «est le ‘temple’ où la connaissance est appelée à se libérer des limites étroites de l’avoir et de la possession pour devenir culture, c’est-à-dire ‘cultivation’ de l’homme et de ses relations fondatrices: avec le transcendant, avec la société, avec l’histoire, avec la création», a expliqué François.

Les universitaires doivent ainsi vivre leurs recherches «avec une saine inquiétude», en reconnaissant leurs propres limites et en limitant leur «présomption d’autosuffisance». Alors que «la pensée technocratique poursuit un progrès qui n’admet pas de limites, l’homme réel est aussi fait de fragilité; et c’est souvent là qu’il comprend qu’il est dépendant de Dieu et relié aux autres et à la création». «La fragilité et la grandeur de l’homme» doivent donc être tenues ensemble «dans une dialectique vertueuse», a insisté François. Il a remarqué que «la Hongrie a vu se succéder des idéologies qui s’imposaient comme vérité, mais qui ne donnaient pas la liberté».

Évoquant «le passage du communisme au consumérisme», le pape a averti contre les impasses de la transition «d’une liberté freinée à une liberté sans freins». Seul Jésus «libère l’homme de ses dépendances et de ses fermetures», a-t-il insisté, invitant l’université à devenir «un laboratoire d’espérance».

Le pape a ensuite rejoint l’aéroport international de Budapest, d’où son avion a décollé vers 18h. (cath.ch/imedia/cv/rz)

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