Regula Pfeifer, kath.ch traduction et adaptation Maurice Page
Lisbeth Binder (72 ans) est la fille ainée d’Anton Ebnöther. Le prêtre avait violé sa mère. La fille de la cuisinière de la paroisse de Bülach (ZH) s’est doutée très tôt qu’il y avait quelque chose qui clochait. Mais elle a dû avoir 65 ans pour découvrir ce qui s’était passé.
«C’est ma mère qui en a parlé pour la première fois devant la caméra du cinéaste Miklos Gomes». Dans le film «Notre père», on voit la femme âgée (décédée en 2016) se débattre avec elle-même. Elle raconte comment le vicaire Anton Ebnöther s’est saisi d’elle au presbytère de Bülach, l’a violée et l’a laissée avec de fortes douleurs abdominales. A la suite de cette agression, la jeune femme est tombée enceinte. Elle en a informé le vicaire, qui lui a remis une enveloppe. Elle contenait 100 francs. Elle l’invitait à se rendre chez le médecin.
Lisbeth n’a trouvé la lettre qu’après la mort de sa mère. Pleine d’indignation, elle l’a déchirée et brûlée avec son contenu et a jeté les cendres dans les toilettes.
Le curé de Bülach – le supérieur d’Ebnöther – a alors envoyé la cuisinière paroissiale enceinte à l’hôpital Sainte-Marie de Viège, chez sa sœur, une religieuse. Là, les filles qui portaient une grossesse non désirée pouvaient travailler avant l’accouchement et donner naissance à leur enfant. Lisbeth a failli être proposée à l’adoption. Mais une sœur de sa mère est venue les chercher à Viège. Avec sa mère, Lisbeth a ensuite grandi dans la même chambre de la ferme familiale.
Et pourtant, il y avait un grand silence. Qui était son père? «Maman me disait toujours: il est mort d’une maladie incurable». Pendant longtemps, Lisbeth n’en sut pas plus.
A 30 ans, elle a appris la nouvelle: Son père était bien vivant. Sa mère avait passé des vacances dans une maison du Katholische Arbeitnehmerbewegung (KAB). C’est là qu’elle avait appris d’une autre femme qu’Anton Ebnöther (qui avait entre-temps été renvoyé de la prêtrise NDLR) tenait une auberge dans les Grisons. «C’est comme cela j’ai eu mes premières informations», raconte Lisbeth.
Quelques jours plus tard, elle a appelé le service de renseignements téléphoniques 111. Elle a reçu trois adresses possibles. Le premier coup de fil a été le bon. Anton Ebnöther lui a répondu: «Cela fait longtemps que j’attendais ton appel». Perplexe, elle a rétorqué : «Pourquoi ne m’as-tu pas appelé de ton côté?»
Pendant les vacances qui ont suivi, Lisbeth a osé rencontrer Ebnöther à Davos. Il la fit monter dans sa voiture. Mais «après un premier échange, il a soudain posé sa main sur ma jambe. Ensuite, il a voulu m’embrasser, et vraiment, pas seulement sur la joue. J’étais choquée». Elle lui a ordonné d’arrêter: «Je suis quand même ta fille». Puis elle est rapidement sortie. Elle ne savait pas encore à l’époque que cet homme avait violé sa mère.
Elle ne coupa cependant pas le contact avec lui. Car elle voulait en savoir plus l’homme qui était son père. Elle et ses proches se rendaient ainsi régulièrement à l’auberge ‘Sunneschy’. L’aubergiste et ex-prêtre les traitait comme des hôtes. Une fois, Lisbeth y a emmené sa mère. Mais lorsque celle-ci a vu Anton, »ses cheveux se sont dressés sur sa tête» et les deux sont très vite reparties.
En 2011, Anton Ebnöther est décédé. Lors de la cérémonie funèbre, Lisbeth a enfin appris ce dont elle se doutait: elle avait des demi-frères et sœurs. Ils étaient six enfants nés de quatre femmes différentes. S’il a fallu du temps à Lisbeth pour digérer son histoire, elle estime aller aujourd’hui plutôt bien.
Le deux enfants suivants du prêtre sont aussi nés pendant qu’il était vicaire à Bülach. Anton Ebnöther fut en contact avec d’autres femmes, dont Christina qui était mariée. Son mari s’était adressé en toute confiance au vicaire en raison de problèmes sexuels dans son couple, lui demandant de parler à sa femme. Anton Ebnöther noua une liaison avec elle dont naîtront deux enfants Christina en 1952 et Toni en 1953. Le mari ne saura jamais qu’il n’était pas leur père biologique.
Née à fin 1958, Monika est la quatrième de la ‘fratrie’. A l’époque, sa mère Rita qui était monitrice du groupe de jeunes filles ‘Blauring’, s’est rendue au presbytère à Klösters chez Anton Ebnöther, où celui-ci l’a violée. Lorsque enceinte, elle lui a demandé de l’aide, il a offert à la jeune femme 200 francs dans une enveloppe. Elle devait ›faire ce qu’il fallait’ avec. Le prêtre comptait sans doute qu’elle avorte.
Lorsque Rita annonça sa grossesse à ses parents adoptifs, ils la mirent à la porte et refusèrent de la revoir. Elle s’adressa alors à une organisation catholique soleuroise qui s’occupait de mères célibataires. Assistée par un avocat, elle exigea qu’Anton Ebnöther reconnaisse sa paternité et lui verse une pension alimentaire. Or le prêtre ne voulait ni payer ni voir son secret dévoilé. Il prétendit que l’enfant n’était pas de lui. Le 25 décembre 1958, Monika vint au monde. Trois jours plus tard, Rita informa l’évêque de Coire de la naissance de sa fille. Le secret levé, la nouvelle se répandit rapidement. La carrière ecclésiastique du prêtre fut définitivement terminée.
Cette naissance est la seule qui conduira à une suite judiciaire, comme l’ont relevé les journalistes de Tamedia. Devant le tribunal de Saignelégier, Anton Ebnöther nia être le père de l’enfant et accusa la jeune femme d’être «une demoiselle menant une vie facile». Après un test sanguin, le tribunal le condamna en 1961, à verser une pension pour sa fille.
Adrian Meier (56 ans) est le sixième et dernier enfant connu d’Anton Ebnöther. A sa naissance, et à celle de sa soeur Daniela, le prêtre avait déjà quitté le sacerdoce. «Nous ne sommes pas aussi fortement chargés émotionnellement que nos demi-frère et sœurs», admet-il, même si Anton ne s’est guère soucié d’eux. Adrian a grandi à Küblis, dans le Prättigau grison, avec sa mère et sa sœur aînée Daniela.
Sa mère et Anton Ebnöther se sont rencontrés lorsqu’il tenait l’auberge ‘Sunneschy’ dans la commune voisine de Saas. A l’époque, il accompagnait les services religieux de l’église catholique et réformée locale en tant qu’organiste.
«Anton Ebnöther avait un grand réseau de relations», raconte Adrian.»Beaucoup s’extasiaient parce qu’il était sociable, musicien et qu’il avait un bon contact avec les gens». La mère d’Adrian était elle aussi sous le charme d’Ebnöther, même après leur séparation. «Elle l’idolâtrait, le trouvait génial. Elle l’a toujours défendu.» Pour Adrian, sa mère s’était engagée de son plein gré dans une relation avec Anton, à la différence des autres femmes dont il a eu des enfants.
La mère d’Adrian n’aimait cependant pas parler de son ex-partenaire. «C’était un sujet tabou, après quelques tentatives, nous n’avons pas insisté.»
L’admiration de la mère pour Ebnöther n’a toutefois pas déteint sur ses enfants. «Nous étions proches géographiquement, mais éloignés mentalement», Adrian parle de sentiments ambivalents envers son géniteur. Il ne l’a pas considéré comme son père et n’a jamais développé de sentiments d’attachement à son égard.
Anton Ebnöther a rendu visite à quelques reprises aux Meier. «A chaque fois, il a tout de suite pris ses aises et a fait croire à un monde familial idéal», se souvient Adrian. Mais les enfants ne voulaient rien avoir à faire avec l’homme qui se présentait comme leur père. «Nous nous enfuyions à chaque fois et nous nous enfermions dans nos chambres».
Le fait qu’Anton Ebnöther avait été prêtre ne jouait aucun rôle, relève son fils. Ce qui était en revanche déterminant, «c’est qu’il n’avait pas pris ses responsabilités en tant que père».
Adrian s’est demandé plus tard si l’histoire avec son père l’avait marqué négativement. «C’est peut-être pour cela que je ne me suis marié qu’à plus de 40 ans». Il a certes eu des relations, mais hésitait à se marier. Certaines relations se sont brisées à cause de cela. «Je ne voulais pas échouer, comme mes parents».
Après la phase passionnante de la rencontre avec ses demi-frère et sœurs, leur relation s’est relâchée, estime-t-il. «Nos destins sont différents; chacun et chacune doit y faire face à sa manière». (cath.ch/kath.ch/le matin/mp)
Maurice Page
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