«Un adoubement» pour l’archevêque de Budapest, en tant que successeur potentiel dans la charge d’évêque de Rome: c’est ainsi que la revue Vanity Fair présente la visite du pape François dans le diocèse de la capitale hongroise. Le cardinal Péter Erdö est en effet perçu comme un «candidat évident pour le prochain conclave», selon un diplomate interrogé par I.MEDIA, qui explique sa discrétion médiatique actuelle par le souci de ne pas trop s’exposer face à une telle perspective.
Connu pour ses capacités de synthèse, le cardinal hongrois a été remarqué pour son rôle stratégique de rapporteur général lors des deux Synodes sur la Famille de 2014 et 2015. Malgré d’évidentes différences d’approche, aucune controverse publique ne l’opposera au pape François. «Il s’est alors résolument placé parmi les poids lourds conservateurs mais intègres», se souvient une participante, rapprochant son positionnement de celui du Canadien Marc Ouellet, de l’Australien George Pell ou du Sud-Africain Wilfrid Fox Napier.
On peut notamment voir sa patte dans le recadrage du rapport intermédiaire de 2014, qui se montrait particulièrement libéral sur les questions des couples non-mariés, divorcés-remariés ou homosexuels. Le cardinal hongrois contribuera à l’élaboration d’une version beaucoup plus prudente dans le document final, semblant l’emporter face à l’archevêque italien Bruno Forte, secrétaire spécial du Synode et tenant de l’aile ›libérale’.
En 2016, l’exhortation apostolique du pape François Amoris Laetitia, qui met un terme au processus synodal, semble ouvrir la porte aux sacrements pour les divorcés remariés dans une note de bas de page, rejoignant donc une position qu’avait combattue le cardinal Erdö pendant le Synode, en vain. Le Hongrois, cependant, s’abstient de commenter négativement le texte, préférant mettre en avant les avancées moins polémiques de l’exhortation. Une position représentative de sa loyauté absolue à la figure du pape, conformément à sa foi profonde, forgée dans le contexte difficile du communisme.
Né en 1952 et marqué dans sa petite enfance par la répression de l’insurrection de 1956 par les troupes soviétiques de Khrouchtchev, Péter Erdö a grandi dans une famille engagée dans la foi chrétienne, malgré les restrictions menées par le régime. Éduqué dans l’une des écoles religieuses autorisées puis aux séminaires /d’Esztergom et de Budapest, le jeune Péter Erdö est marqué par la figure du cardinal József Mindszenty, personnage central de la résistance hongroise au communisme qui fut torturé et condamné à la prison à vie par le régime.
Après avoir trouvé refuge durant 15 ans dans l’ambassade américaine de Budapest, le cardinal mourra en exil à Vienne le 6 mai 1975, soit quelques jours avant l’ordination de Péter Erdö. Ce dernier, après être devenu évêque, héritera de la croix pectorale que Paul VI avait donnée au cardinal Mindszenty, une ›relique’ qu’il affirme porter à chaque anniversaire de sa mort. Son anticommunisme lui vaudra par la suite d’être largement comparé à Jean-Paul II.
Après avoir étudié à Rome et Berkeley, le Père Erdö enseigne l’histoire de l’Église et le droit pontifical au séminaire de la capitale hongroise, puis devient en 1987 recteur de l’Institut pontifical hongrois à Rome. Cette responsabilité, prise dans une phase d’assouplissement du régime, lui vaudra ultérieurement des suspicions de collaboration avec les autorités, qui n’ont jamais été étayées. Durant ses 10 ans de présence à Rome, il enseigne également à la Grégorienne et travaille aussi à la préparation des accords concordataires qui réguleront les relations entre le Saint-Siège et la Hongrie en 1994, puis à la visite de Jean-Paul II en Hongrie en 1996. En 1998, il est rappelé à Budapest pour devenir recteur de l’Université catholique Péter Pazmany.
Au tournant du siècle, sa carrière ecclésiastique va connaître une ascension fulgurante: en 2000, il est nommé évêque auxiliaire du diocèse de Székesfehérvár par Jean-Paul II. Deux ans plus tard, le pape polonais lui confie le prestigieux siège d’Esztergom-Budapest, en faisant le primat de Hongrie à l’âge de 50 ans. L’année suivante, le pontife le crée cardinal. Il sera ainsi le plus jeune participant au conclave de 2005, ayant mené à l’élection de Benoît XVI.
À la tête de ce puissant archidiocèse, il profite de sa maîtrise de sept langues, parmi lesquelles le français, pour s’imposer comme une des figures clés de l’épiscopat européen. Un tournant viendra en 2003 quand, avec ses amis cardinaux Jean-Marie Lustiger à Paris, Christoph Schönborn à Vienne, José da Cruz Policarpo à Lisbonne et Godfried Danneels à Bruxelles, il lance l’idée d’un congrès international pour la nouvelle évangélisation. L’idée portée par ces archevêques de capitales européennes consistait à repenser l’évangélisation à l’aune des conséquences de l’urbanisation générale de la société européenne.
Défenseur farouche de l’éducation religieuse et adversaire de la tendance «laïciste» qui veut cantonner l’Église à l’espace privé, il promeut la dimension «communautaire» de la liberté et donc de la liberté religieuse. Il se fait remarquer pour sa défense de la présence des crucifix dans l’espace public et n’hésite pas à dénoncer une «christianophobie» qu’il voit progresser dans tous les pays en Europe.
Universitaire et intellectuel comme Benoît XVI, il a toute la confiance du pontife allemand qui l’envoie comme son représentant au Pérou en 2011 pour arbitrer un conflit à propos de l’Université catholique de la capitale péruvienne, qui perdra son label catholique à la suite de la visite. Benoît XVI en fait aussi, en 2011, un membre des cardinaux responsables de la supervision de la diplomatie vaticane, pour laquelle il défend une vision de rupture avec l’Ostpolitik, en raison du passé communiste de son pays.
Pendant l’été 2015, son positionnement est perçu comme favorable au gouvernement de Viktor Orbán qui s’oppose à l’importante vague de migrants, refusant ouvertement l’accueil des réfugiés, syriens notamment, qui arrivent à sa frontière. En tant que président de la Conférence des évêques de Hongrie, qu’il a dirigée de 2005 à 2015, le cardinal Erdö va dans le sens du pouvoir politique, affirmant que «pour le moment, les églises n’ont pas le droit d’accueillir des réfugiés».
S’il explique que les organisations d’aide catholiques sont «discrètement présentes» auprès de ces derniers, le haut prélat déclare que s’opposer au gouvernement ferait des églises des «trafiquants d’êtres humains», une sortie qui lui vaudra beaucoup de critiques, en donnant l’impression d’une opposition au pape François.
Le cardinal Erdö n’hésite cependant pas à justifier la posture défensive adoptée par son pays. Selon lui, «les Hongrois, dans leur histoire, ont toujours souffert de l’abandon et de la trahison de l’Occident qu’ils voulaient défendre, ou auquel ils avaient conscience d’appartenir», rappelle-t-il en évoquant les invasions des Ottomans et l’ère communiste.
Les liens avec la Russie sont aussi un sujet clivant, le chef du gouvernement hongrois comme le primat n’étant pas partisans d’un alignement sur l’Occident. Pour certains observateurs, l’élection d’un pape venu de l’Est, 45 ans après celle de Jean-Paul II, risquerait de mettre à jour des fractures profondes entre l’Europe centrale et occidentale, mais aussi des divisions entre pays autrefois proches sur les questions de morale familiale. L’axe traditionnel entre la Pologne et la Hongrie s’est ainsi brisé sur la question du soutien à l’Ukraine.
Durant les 20 premières années d’épiscopat du cardinal Erdö à Budapest (2002-2022), le nombre global de prêtres a légèrement augmenté, passant de 358 à 365, en incluant les prêtres diocésains et religieux. Il a également développé le diaconat permanent: le nombre de diacres est passé de 15 à son arrivée à 40 actuellement.
Assisté par deux jeunes évêques auxiliaires de 49 ans, le primat de Hongrie conduit un diocèse comptant environ 1,3 million de catholiques, soit 60% de la population de la capitale hongroise, répartis en 158 paroisses.
Relativement peu connu hors d’Europe, où il a tissé de vastes réseaux en tant que président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE) de 2006 à 2016, le primat de Hongrie, qui a 70 ans, dispose d’une solide réputation de canoniste et d’administrateur. «Il a remis son diocèse en ordre», confie un prêtre français qui le connaît depuis plusieurs décennies et lui a rendu visite dans son évêché, dont il a remarqué la bonne organisation.
«Il s’est toujours beaucoup intéressé aux Églises orthodoxes et aux Églises orientales catholiques, ce qui pourrait lui donner du poids auprès de ceux qui s’intéressent au dialogue avec ces cultures», ajoute par ailleurs ce prêtre. Sur le plan ecclésial comme sur le plan gouvernemental, la Hongrie s’est particulièrement engagée dans le soutien aux chrétiens d’Irak, insistant sur l’importance de maintenir la présence chrétienne sur place, mise en danger par l’émigration.
L’Église catholique en Hongrie ne constitue ni une minorité infime comme en République tchèque, ni une institution dominante comme en Pologne: elle représente environ 50% des Hongrois, pour 15% de protestants calvinistes. Mais l’Église catholique locale a montré une réelle capacité de rebond après la période communiste, dont elle était sortie compromise et affaiblie.
Homme de synthèse préoccupé par les questions d’unité de l’Église, connaisseur certain de ses rouages et pasteur incontesté en son pays, le cardinal Erdö est aujourd’hui considéré comme l’une des principales incarnations d’un conservatisme éclairé dans le collège cardinalice.
Le seul cardinal étranger à recevoir deux visites successives du pape François dans son diocèse pourrait incarner à la fois une alternance et une continuité loyale vis-à-vis du pontife, notamment en menant à son terme le processus synodal actuel tout en réaffirmant la doctrine catholique. L’archevêque d’Esztergom-Budapest pourrait ainsi incarner une ›herméneutique de la continuité’ autant vis-à-vis de François que de ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI. (cath.ch/imedia/cv/bh)
I.MEDIA
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