Clémence Levant, pour cath.ch
C’est une unité rare. Franciscains, grecs-orthodoxes et arméniens ont posé ensemble, mercredi 12 avril sur le toit du Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem. Ces trois communautés, gardiennes du Saint-Sépulcre, ont dénoncé d’une seule voix, lors d’une conférence de presse, les «restrictions sévères et sans précédent» imposées par la police israélienne pour encadrer la cérémonie du Feu Sacré, miracle de la Pâques orthodoxe ce samedi 15 avril: seules 2000 personnes seront autorisées à entrer dans la basilique, dont 200 policiers.
«Chaque année, les Églises se coordonnent avec les autorités pour que cette cérémonie se déroule sans problème, écrivent les Églises dans un communiqué commun, lu par le Père Matheos Siopis en charge du Statu Quo pour l’Eglise grecque-orthodoxe. Cette année, après de nombreuses tentatives, nous ne sommes pas en mesure de le faire, du fait de restrictions déraisonnables et sans précédent à l’accès au Saint Sépulcre, plus encore que l’année dernière.»
En 2022, la police avait également limité l’accès à la basilique à 1800 personnes. La Cour Suprême israélienne avait relevé ce chiffre à 4000, après que la communauté chrétienne locale a fait appel de cette décision. Justifiée par un renforcement des normes de sécurité et d’évacuation en cas d’incident, ces précautions faisaient suite à un mouvement de foule qui a fait 45 morts au sanctuaire juif du Mont Méron en 2021.
Le quota des 1800 personnes est, d’après la police, le fruit du calcul «d’un ingénieur de sécurité missionné par les Églises» (un mandat que réfute le Patriarcat grec-orthodoxe), qui a pris en compte «la superficie, la densité, les issues de secours et l’occupation maximale» de la basilique. Or celle-ci ne dispose que d’une seule issue de secours, qui est aussi son entrée principale.
Les Églises rétorquent qu’en près de 1000 d’existence, la cérémonie du Feu Sacré n’a jamais enregistré d’incidents majeurs, alors que la basilique débordait parfois de plus de 8000 personnes brandissant des bouquets de bougies enflammées.
«Si nous ne faisons rien, il n’y aura bientôt plus de chrétiens à Jérusalem»
Rami Nabil Bajjali/ Seeds Of Better Life
Le Feu Sacré est le miracle annuel le plus ancien de l’orthodoxie chrétienne. Symbole de la lumière miraculeuse de la Résurrection du Christ, ce feu apparaîtrait spontanément, sans instrument ni main humaine, au même endroit et à la même heure lors du Samedi Saint: il allume un cierge apporté éteint dans le tombeau du Christ, avant d’être transmis de cierge en cierge, à travers la basilique, puis le quartier chrétien, rempli de milliers de fidèles venus du monde entier. «Nous continuerons à respecter les coutumes du statu quo, et la cérémonie se déroulera comme il est d’usage depuis deux millénaires (le patriarcat grec la fait remonter à l’année 328, ndlr), écrivent les trois Églises, avant d’inviter tous les chrétiens à y assister.
Véritable jour de fête pour les chrétiens locaux, le «Samedi de la Lumière» s’est progressivement politisé, la gestion des foules et de l’espace par la police israélienne créant une frustration qui s’ajoute à la sensation lancinante que les droits de la communauté chrétienne palestinienne se réduisent comme peau de chagrin.
Seules les personnes munies de laissez-passer, distribués par les Églises qui les reçoivent préalablement de la police (1200 pour les grecs orthodoxes, 600 pour les Arméniens), peuvent entrer au Saint-Sépulcre. Le quartier chrétien de la vieille ville est quant à lui bouclé. L’entrée s’y fait par la porte Neuve pour les chrétiens locaux et par la porte de Jaffa pour les pèlerins étrangers. Le chemin jusqu’au Saint-Sépulcre est ensuite segmenté par une multitude de petits checkpoints tenus par des policiers venus de tout le pays, souvent ignorant de l’enjeu de la journée.
«Traditionnellement, les chrétiens locaux sont invités sur le toit du Patriarcat Grec-Orthodoxe, recontextualise Yousef Daher, responsable du Jerusalem Inter-Church Center. Les pèlerins, eux, peuvent se rendre sur le parvis du Saint-Sépulcre qui peut contenir jusqu’à 4000 ou 5000 personnes. Le problème, c’est que la police s’est appropriée cet espace, et n’autorise plus que quelques centaines de fidèles à s’approcher. L’idée, ce n’est pas d’inviter les gens à venir à l’intérieur de la basilique, mais de les convier là où ils ont l’habitude d’aller: sur le toit et sur la place.»
Cette restriction de mouvements, mal vécue par les chrétiens palestiniens, a dégénéré en bousculades et en provocations mutuelles l’année dernière. «La police gère les fidèles comme s’ils étaient des ennemis, dénonce Asaad Mazawi, avocat du Patriarcat grec-orthodoxe qui coordonne la journée avec les autorités israéliennes depuis des années. Beaucoup sont arabes, mais ils viennent pour célébrer, pas pour manifester contre l’Etat.»
Dans un contexte où les gestes de violence et d’intimidation à l’encontre des chrétiens gagnent en intensité et où la minorité chrétienne se sent de plus en plus isolée dans un pays où les suprémacistes juifs siègent désormais au gouvernement, l’invitation des grecs-orthodoxes à venir assister à la cérémonie, malgré les restrictions, s’est largement répandue sur les réseaux sociaux. «Notre silence les rend plus forts chaque année. Si nous ne faisons rien, il n’y aura bientôt plus de chrétiens à Jérusalem», commente Rami Nabil Bajjali dans le groupe Facebook Seeds of Better Life, qui rassemble les jeunes chrétiens orthodoxes de la vieille ville. Un appel à la désobéissance civile qui reste toutefois à double tranchant: ce sont les gens dans la rue qui subiront les potentielles représailles de la police.
Celle-ci tente d’apaiser les esprits. Dans un communiqué publié en réponse à celui des Églises, jeudi 13 avril dans la soirée, elle affirme qu’elle permettra à «tous les fidèles d’exercer leur liberté de culte dans la vieille ville et dans les lieux saints en toute sécurité.» Quelques jours avant le Samedi Saint, d’impressionnantes quantités de barrières ont été entreposées devant la porte de Jaffa dans l’attente de leur installation en vieille ville. «Des toilettes, des chaises, des stations d’eau et des écrans ont été déployés pour diffuser l’événement en direct à toute personne qui ne pourra pas assister à la cérémonie», détaille le communiqué.
Alors que tous les curseurs du pays glissent vers la radicalité, le bon déroulement et la gestion de cette journée qui rassemblent des chrétiens du monde entier s’annoncent cruciaux pour l’image d’Israël à l’étranger. Si ces dirigeants s’en soucient encore. (cath.ch/cl/rz)
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/feu-sacre-a-jerusalem-quand-le-miracle-de-paques-devient-politique/