Le premier séjour d’un pape en Hongrie fut donc celui de Jean Paul II, du 16 au 20 août 1991, après les JMJ organisées dans sa Pologne natale, au sanctuaire marial de Czestochowa. Il était attendu depuis longtemps en Hongrie, mais avait préféré attendre la fin du communisme. Forgé par son expérience d’opposition frontale au régime communiste en Pologne, il n’appréciait pas l’attitude conciliante du primat en poste en Hongrie de 1976 à 1986, le cardinal Lekaï, puis par son successeur le cardinal Paskaï, vis-à-vis du gouvernement communiste. Il ne voulait pas donner un appui public à un épiscopat qu’il jugeait compromis avec le régime.
C’est donc dans le contexte d’une démocratie en construction, deux ans après la fin du communisme, en 1989, que le pape est accueilli en Hongrie, sans toutefois drainer les foules imposantes auxquelles il était habitué en Pologne. Des oppositions à sa visite s’expriment jusqu’au sein de l’Église. Dès son accueil par le président de la République, le pape salue un pays qui a «conquis sa souveraineté». Il regrette toutefois de «voir apparaître à l’horizon d’autres ennemis, d’autres illusions à combattre: les conflits à l’intérieur de votre société, les intérêts égoïstes des individus et des groupes qui s’opposent».
Le pape parviendra néanmoins à susciter la sympathie du grand public lors d’un salut spontané aux fidèles rassemblés devant le Parlement. Jean Paul II explique alors que les Polonais et les Hongrois sont des «cousins», mais que lui-même n’est pas «un bon cousin», en raison de sa «mauvaise prononciation hongroise». «Je veux vous assurer que j’ai fait tout ce qui m’était possible, mais on voit comment votre langue, qui est si belle mais aussi si exigeante, est vraiment une porte étroite, comme la porte à travers laquelle nous devons entrer dans le royaume des cieux», confie-t-il avec humour.
Ce premier voyage le conduira à la rencontre de différentes réalités religieuses du pays. Le 18 août 1991, il participe à une Divine Liturgie pour les fidèles de rite byzantin au sanctuaire marial de Mariapocs, puis à une célébration œcuménique avec les protestants et orthodoxes de Hongrie dans une église calviniste de Debrecen. Dans son discours, il invite toutes les Églises à se mobiliser pour un «témoignage commun renouvelé des valeurs chrétiennes qui ont été le fondement de l’Europe et de la Hongrie».
L’unité interne à l’Église catholique est également un enjeu central de ce voyage, 20 ans après l’exfiltration du cardinal Mindszenty, primat de Hongrie résolument opposé au communisme. Ce dernier a été contraint à l’exil à Rome puis en Autriche sur pression du Saint-Siège, alors engagé dans une détente vis-à-vis des pays communistes. Le cardinal Mindszenty est décédé en 1975, mais le rapatriement de son corps, en mai 1991, a ravivé de profondes divisions au sein de l’Église catholique.
«Je n’ignore pas les épreuves auxquelles a été soumise l’unité du peuple de Dieu dans ce pays», explique Jean Paul II dans son homélie à la basilique d’Esztergom, siège du primat. Il sait que «certaines blessures subsistent encore», mais invite à ce que «la charité l’emporte sur ce qui reste de tensions, de réserves, de soupçons». Il s’inclinera devant le tombeau du cardinal Mindszenty, lui rendant finalement un hommage appuyé alors que la première version de son discours transmis à la presse ne le mentionnait pas.
La messe célébrée par le pontife polonais le 20 août à Budapest fut par ailleurs marquée par un incident diplomatique, dans le contexte du coup d’État mené en URSS par la frange radicale du Parti communiste. Au terme de la célébration, le pape exprime son soutien public au président soviétique déchu Mikhaïl Gorbatchev. Il se souvient de leurs rencontres et assure avoir «particulièrement apprécié la sincère volonté qui le guidait, ainsi que la haute inspiration qui l’animait pour la promotion des droits de l’homme et pour l’engagement en faveur du bien de son pays et de la communauté internationale».
S’adressant aux fidèles massés sur la Place des Héros en la fête de saint Étienne, le pape demande aux Hongrois d’être conscients «du grand bonheur» que représente pour leur avenir «la liberté conquise de manière irréversible». Le putsch de Moscou fait alors frémir une population hongroise encore très marquée par la répression de 1956.
Présent à la messe papale parmi les autres diplomates accrédités à Budapest, l’ambassadeur soviétique en Hongrie, Ivan Aboimov, quitte l’assemblée peu avant la prise de parole du pape sur la situation dans son pays. Il est contraint à la loyauté vis-à-vis du nouveau régime au pouvoir à Moscou. Le putsch de la vieille garde néo-stalinienne échouera deux jours plus tard et Gorbatchev reviendra au pouvoir avec l’appui de la communauté internationale, mais pour quatre mois seulement, avant l’effondrement définitif de l’URSS en décembre 1991.
Cinq ans plus tard, c’est un Jean Paul II physiquement diminué qui revient en Hongrie pour un voyage plus court, les 6 et 7 septembre 1996, deux semaines avant un séjour en France. Les enjeux propres à la Hongrie passent alors au second plan face aux deux sujets concentrant l’attention médiatique: la santé du pontife polonais de 76 ans, et la rumeur d’une rencontre possible avec le patriarche de Moscou, Alexis II, qui s’avèrera illusoire.
Jean Paul II arrive dans un contexte de crise économique liée aux difficultés d’adaptation du pays à l’économie de marché. Il reconnaît, à l’aéroport de Budapest, que «l’optimisme lié à la chute historique des idéologies a malheureusement été de courte durée» et que la population hongroise traverse «une période de souffrance». Il rappelle que «les conséquences désastreuses des longues années de dictature ne pourront être surmontées, matériellement et spirituellement, qu’avec l’engagement patient et persévérant de tous, en particulier des jeunes générations».
Le millénaire de l’abbaye de Pannonhalma est alors la principale raison officielle de ce voyage d’un pape attaché aux anniversaires, qui permettent d’ancrer la place de l’Église catholique dans l’Histoire des peuples européens en se situant sur le temps long.
Le pontife polonais tiendra à valoriser l’importance de l’héritage monastique pour contribuer à maintenir l’ancrage spirituel de la Hongrie. «En célébrant le millième anniversaire de la fondation de l’abbaye de Pannonhalma, nous rappelons en quelque sorte un millénaire de cette Europe bénédictine, sur les fondements de laquelle s’est construite la civilisation européenne, et aussi celle de votre patrie, la Hongrie», déclare-t-il aux moines. L’abbaye avait pu poursuivre son existence durant le régime communiste en servant de résidence surveillée pour des religieux expulsés d’autres monastères.
Le voyage de Jean Paul II le conduira aussi dans la ville de Györ, berceau historique du catholicisme hongrois, où il exprime son inquiétude face à la crise des vocations. «Ces terres d’Europe centrale et orientale ont connu dans le passé une authentique floraison de martyrs et de saints. Pourquoi ne pas espérer la possibilité d’un nouveau printemps de la vie chrétienne?», lance alors le pape polonais devant les évêques. L’avenir lui donnera raison: au XXIe siècle, l’Église catholique en Hongrie a retrouvé une certaine robustesse, et les blessures du communisme se sont estompées. Depuis l’an 2000, chose rare en Europe, le renouvellement du clergé a été assuré dans la plupart des diocèses. (cath.ch/imedia/cv/rz)
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