En octobre 1962, le monde est pris d’angoisse: le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev envoie des navires porteurs de missiles nucléaires à Cuba. Le président Kennedy menace de les intercepter. Le risque d’une troisième guerre mondiale n’a jamais été aussi proche. Face au danger, le pape Jean XXIII rédige un appel pressant pour la sauvegarde de la paix. Son appel est publié le lendemain par la Pravda, organe officiel du parti communiste soviétique. Peu après, les navires soviétiques font demi tour. Le monde respire.
«Il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits»
Ces événements convaincront le pape de l’importance d’une parole claire et précise de l’Église à propos de la paix. A Pâques 1963, il publie l’encyclique Pacem in terris, qui restera une pierre milliaire dans l’enseignement social de l’Eglise.
Jean XXIII propose une conception très large de la paix, a expliqué pour Vatican News le jésuite Pierre de Charentenay. Le pape relève que la paix est un sentiment personnel et intérieur, vécu par les individus, mais qu’elle recouvre aussi le type de relations entre les pays, dont il donne quatre conditions fondamentales: vérité, justice, charité.
L’encyclique affirme que «la justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament par conséquent qu’on arrête la course aux armements». Elle demande «la proscription de l’arme atomique, et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces.» Les conflits doivent être réglés par des solutions de médiation et par la confiance mutuelle car »il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits».
«En affirmant la liberté de conscience, l’encyclique porte en germe la notion de liberté religieuse ensuite reconnue par le Concile Vatican II»
L’encyclique est novatrice aussi sur la question des institutions internationales. Jean XXIII parle d’une autorité mondiale représentée par l’ONU, dont il encourage le travail, tout en étant conscient de ses limites.
La question des droits de l’homme est un autre point d’attention. Alors que jusque là l’Église nourrissait une sorte de crainte vis-à-vis de la déclaration universelle des Droits de l’homme promulguée en 1948, Jean XXIII affirme pour la première fois qu’il s’agit d’un pas très important vers un ordre juridique de la communauté internationale. L’encyclique s’adresse à «tous les hommes de bonne volonté» et pas seulement aux chrétiens et ne place plus l’Église en opposition au monde. En affirmant la liberté de conscience elle porte en germe la notion de liberté religieuse qui sera ensuite reconnue par le Concile Vatican II.
Soixante ans après sa publication, Pacem in terris continue d’être une étoile polaire qui montre la voie à ceux qui s’engagent à promouvoir le dialogue entre les peuples et à construire la paix entre les nations, estime Mgr Gabriele Giordano Caccia, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à New York.
Pour le diplomate, l’appel au désarmement, répété à maintes reprises par les papes successifs, reste malheureusement d’actualité dans un contexte où des mesures prises dans le passé, pour la réduction des armes nucléaires risquent de ne pas être renouvelées ni appliquées. (cath.ch/mp)
Pietro Pavan, rédacteur de l’encyclique
Celui qui imagina un texte pour donner forme à la volonté d’engagement de Jean XXIII, dès novembre 1962, fut le Père Pietro Pavan. Ce prêtre expert en doctrine sociale de l’Eglise joua un rôle important dans la rédaction du projet.
«J’ai ensuite consacré (…) environ trois heures à la lecture de l’encyclique de Pâques en préparation, qui m’a été faite par Mgr Pavan: «La paix entre les hommes dans l’ordre établi par Dieu, c’est-à-dire: dans la vérité, dans la justice, dans l’amour, dans la liberté». Manuscrit de 111 pages dactylographiées. Je l’ai lu en entier, seul, calmement et minutieusement: et je trouve que c’est un travail très bien conçu et très bien fait», écrivait Jean XXIII dans son journal le 7 janvier 1963.
Pietro Pavan influencera aussi les déclarations sur la liberté religieuse. Lors du Concile Vatican II, il fut un des experts pour la préparation de la constitution pastorale Gaudium et Spes. En 1969,le pape Paul VI le nomme recteur de l’Université pontificale du Latran. Il est créé cardinal en 1985 et meurt en 1994. MP
Dans une longue dépêche du 15 avril 1963 l’agence de presse internationale catholique KIPA relate la réception de Pacem in terris dans la presse internationale.
En Italie Le Popolo (démocrate-chrétien ) écrit : «La voix du Pape invite les catholiques à ouvrir les portails des Églises, à se mêler sans peur au monde.» Le Messagero , (modéré) admire dans le document pontifical sa cohérence. Pour Avanti , organe du parti socialiste italien, l’encyclique marque dans l’histoire de l’Eglise et du monde catholique «un tournant d’une extraordinaire importance, dont les conséquences positives ne manqueront pas de se faire sentir». L’Unità, communiste, déclare: «Tous les accents rénovateurs qui ont caractérisé le pontificat de Jean XXIII reçoivent une indubitable confirmation.»
Aux États-Unis Le New York Herald Tribune écrit: «L’encyclique contient implicitement l’acceptation du principe de coexistence entre États communistes et non communistes.» »Le Pape, par son message a réveillé la conscience de tous les hommes de bonne volonté à travers le monde.» Le New-York Times salue «les principes mis en avant par le Pape». Malheureusement, déplore- t-il, le monde «n’est pas uniquement peuplé d’hommes de bonne volonté». Aussi, l’Occident doit-il continuer à s’armer afin de préserver la paix par le seul moyen actuellement possible».
En France «Un monument du droit naturel , élevé, éclairé, magnifié par un immense amour de Dieu et des hommes», écrit Louis Terrenoire , un des dirigeants gaullistes, de l’UNR-UDT, dans La Nation. »Mise hors la loi de la guerre et d’abord de la guerre atomique. Appel retentissant. La voie est désormais ouverte au coude à coude des masses de bonne volonté», écrit L’Humanité (communiste). Le Populaire , journal de Ia SFIO, souligne que »pas un socialiste ne peut ignorer l’encyclique qui consacre I’adoption par Ie Pape des idées révolutionnaires de la déclaration des Droits de l’homme, ainsi que la valeur et la nécessité du mouvement social.»
En Angleterre Le Daily Worker , communiste, titre en première page: «Interdisez la bombe, déclare le Pape.» Le Times, indépendant, écrit: «Ce message est non seulement adressé aux catholiques de tous les pays, mais à toute l’humanité.» Le Daily Telegraph, conservateur: «II n’y a rien dans les paroles du Pape qui puisse choquer quelque politicien que ce soit mais au contraire beaucoup de choses sur lesquelles tous les politiciens devraient réfléchir.»
En Espagne Le quotidien monarchiste ABC: «L’encyclique est un appel à la paix, dans lequel le Pape nous montre une fois de plus le chemin de la charité et de la compréhension humaine. Voici un document qui peut être qualifié d’encyclique de la liberté.» Pour le journal catholique Ya, ce qui distingue l’encyclique, «c’est sa clairvoyance et son exaltation de la paix entre les hommes de bonne volonté.»
Voix communistes L’Agence Tass a publié un résumé de 300 mots de l’encyclique Pacem in terris, notant les passages concernant Ie désarmement et ceux où le pontife souligne que notre époque se caractérise par l’importance accrue de la classe ouvrière, la participation des femmes à la vie publique et l’affirmation du principe de l’égalité de tous les peuples, sans considération de race ou de nationalité. Zycie Warszawy (Varsovie) écrit: «L’encyclique Pacem in terris contient un certain nombre d’idées qui peuvent être acceptées par tous Ies partisans de la paix, quelles que soient leurs vues politiques ou leurs conceptions idéologiques.» Le Drapeau Rouge (Bruxelles): «C’est un fait sans précédent que l’Eglise catholique exprime autrement que par des phrases abstraites et générales sa conception des voies de Ia paix. MP
Maurice Page
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