Jean-Bernard Livio a visité à de multiples reprises les lieux où Jésus de Nazareth a parlé, vécu, souffert, aimé jusqu’au bout… Le bibliste jésuite, archéologue de formation, arpente en effet régulièrement, depuis plus de cinq décennies, Jérusalem et la Terre Sainte, en particulier comme accompagnateur de pèlerinages. La fête de Pâques lui est donc particulièrement chère et familière. Il s’est notamment intéressé, avec le regard de l’historien et de l’exégète, aux rôles des femmes dans ces événements. cath.ch l’a interpellé sur ce point au domaine de Notre-Dame de la Route, à Villars-sur-Glâne (FR).
Pourquoi, selon vous, les femmes sont les premières au tombeau, au matin de Pâques?
Jean-Bernard Livio: Il n’y a pas de réponse précise à cette question dans les évangiles. Mais l’on peut faire certaines observations. D’abord, si les femmes sont les premières à se rendre au tombeau, c’est probablement parce que les hommes ont fui, se sont cachés. Ils ont peur de subir le même sort que leur maître.
On sait aussi que les femmes qui se rendent au tombeau sont les mêmes que celles qui ont assisté à la Passion et à la crucifixion.
Que sait-on d’elles?
Pas grand-chose. Luc nous dit notamment qu’il y avait parmi elles une certaine Marie de Magdala, dont Jésus avait chassé sept démons. Elle est la seule à être nommée dans les quatre évangiles. On en sait très peu sur ce personnage. C’est une femme probablement fortunée, puisqu’elle met ses biens avec d’autres femmes à disposition de Jésus et des disciples. Elle est également très proche de Jésus, car elle le suit jusqu’au bout.
Que sait-on historiquement de l’épisode de la venue des femmes au tombeau?
C’est une question récurrente quand on parle du récit de Pâques: est-ce que c’est vrai? Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. Les textes du Nouveau Testament qui parlent de la Résurrection sont d’un genre particulier. On observe que les auteurs tentent déjà de répondre à ceux qui les accuseraient de mentir. En même temps, ils admettent que leur récit ne repose que sur des témoignages. Ces textes comportent leur lot d’anomalies.
«Durant les deux premiers siècles, Marie de Magdala bénéficie d’un prestige extraordinaire»
On ne peut pas comprendre ces textes si on ne les reçoit pas comme des émotions, comme des visions, comme une interpellation qui va susciter mon adhésion et nécessiter une démarche de ma part. Il faut principalement voir ce qu’ils disent en commun: «Il est ressuscité!»
Qu’est-ce que les évangélistes veulent nous dire sur le matin de Pâques?
Ce qui est particulièrement frappant dans le quatrième évangile, c’est que le récit de Pâques nous fait passer du ‘voir’ au ‘savoir’ puis au ‘croire’. Jésus nous invite à prendre au sérieux nos difficultés de comprendre, et à passer de ces difficultés à l’acte de foi. Ce n’est pas le fait que le tombeau soit vide ou ouvert qui va provoquer l’adhésion des femmes, c’est le fait qu’elles entendent une parole qui va leur permettre de dépasser leur désespoir, leur peur.
Marie de Magdala, bien que mise en avant dans ce récit, a pourtant été longtemps dénigrée par l’Eglise…
Effectivement. On sait pourtant que durant les deux premiers siècles, Marie de Magdala bénéficie d’un prestige extraordinaire dans les communautés chrétiennes. On va même jusqu’à l’appeler «l’Apôtre des Apôtres». On la nomme avant Pierre dans certaines liturgies, parce que Pierre a renié.
Malheureusement, les choses changent avec le pape Grégoire Le Grand. En 591, il donne une grande homélie, dans laquelle il «invente» le personnage haut en couleurs de Marie-Madeleine, capable de réunir en elle le pardon et la réconciliation; pour cela il confond même la Marie de Magdala avec la Marie de Béthanie. Dans l’Eglise d’Occident, on a créé ainsi la «Madeleine», lui retirant son rôle de disciple pour la cloisonner dans celui de la «pécheresse» repentie.
Pour quelle raison fait-il cela?
Il se prend probablement pour un grand catéchiste et il veut simplifier les choses, amalgamant pour cela plusieurs femmes dans la Bible, dont certaines portent effectivement le même nom de Marie, d’autres ne sont pas nommées, comme la femme au parfum. Dans l’Europe occidentale de cette époque, beaucoup pensent que les femmes ont pris trop d’importance. C’était un acte grave, parce qu’on a insufflé pour longtemps dans la théologie cette tendance à charger Marie-Madeleine de péchés, afin de mettre en valeur la Miséricorde de Dieu.
«Il n’y a pas de qualité requise pour annoncer le Ressuscité»
Il faudra attendre Paul VI, qui, à la fin des années 1960, supprime les lectures de la liturgie axées sur la «pécheresse», pour réhabiliter cette figure. Il va prendre deux textes du récit de la Résurrection pour faire de Marie de Magdala une évangéliste, une «porte-parole» du Christ. Et en 2016, le pape François a recommandé qu’on la désigne du titre – toujours conservé dans la tradition orientale – «d’Apôtre des apôtres».
Le mystère entourant ce personnage a pu donner lieu à de nombreuses extrapolations, pas seulement dans l’Eglise. Certains auteurs, tels que Dan Brown dans le Da Vinci Code, faisant même d’elle la compagne de Jésus.
Comment comprendre la présence des femmes à un moment aussi crucial des Evangiles?
C’était très inhabituel à cette époque de faire confiance à des femmes, surtout en matière de témoignage. Ce dernier ne valait pas lourd devant un tribunal. Jésus va donc à l’encontre des conventions de son époque en envoyant une femme diffuser la nouvelle de sa Résurrection.
Une impertinence incroyable face à la mentalité de son temps, qu’il manifeste à plusieurs reprises. Notamment quand il laisse partir les hommes qui veulent lapider la femme adultère, alors que c’est ce que recommande la loi de Moïse.
Cela signifie-t-il que Jésus donne aux femmes un rôle particulier?
Il y a certainement une volonté, notamment dans le quatrième évangile (Jean), de magnifier le rôle de Marie de Magdala pour dire: «C’est tellement extraordinaire que ce soit une femme que ça doit être vrai». Cela va aussi dans le sens de la mise au premier plan des «petits», des exclus de la société, que prône Jésus.
«Pâques, c’est la fête des témoins avant d’être celle des théologiens»
Au-delà, le message est, selon moi, qu’il n’y a pas de qualité requise pour annoncer le Ressuscité. Il n’y a pas besoin d’avoir fait des études de théologie. Ce qu’il faut, c’est une capacité d’émerveillement. La tradition johannique est parlante à cet égard. Elle distingue parmi les disciples ceux qui suivent le Christ avec leur tête et ceux qui le suivent avec le cœur. Marie de Magdala fait certainement partie de ces derniers. Le lien affectif que Jésus a avec elle apparaît notamment lorsqu’il l’appelle par son nom. On pourrait aller jusqu’à dire qu’elle est «l’anti-Pierre». Lui est nécessaire à l’édification de la communauté, elle l’habite de son souffle.
Pourquoi l’Eglise n’a-t-elle pas pris en compte ce passage des Evangiles dans la place qu’elle a donnée aux femmes?
Si on comprenait bien le récit de Pâques, c’est évident que l’on ferait comme Jésus. Je me demande pourquoi on a si peur de ce témoignage des femmes, aujourd’hui encore! Alors que la réalité dans nos paroisses et communautés nous force à le constater: nos assemblées sont composées d’une large majorité de femmes. Et comment y ferait-on la catéchèse sans l’engagement remarquable des femmes? Peut-être que le message de Pâques est là pour nous le rappeler: Pâques, c’est la fête des témoins avant d’être celle des théologiens. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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