«A la croix: foi et caricatures»: tel est le résumé que fait le Père Poffet de la crucifixion de Jésus selon saint Marc, au chapitre 15, dans son livre Regards sur le Christ (Editions Parole et Silence, 2017).
Caricatures d’abord, avec trois cercles de railleurs au pied de la croix. Il y a en premier ceux qui injurient le Crucifié en hochant la tête, lui ressortant ses propos sur le sanctuaire à rebâtir en trois jours. Puis les grands prêtres et les scribes qui lui renvoient l’image du roi d’Israël qui ne peut descendre de la croix. Enfin, les larrons à ses côtés l’insultent aussi.
«On se moque de la religion, on caricature les propos de l’Eglise… Or cela a déjà eu lieu, là, au pied de la croix».
Jean-Michel Poffet fait le lien avec la société déchristianisée: «Beaucoup de croyants se sentent minoritaires dans notre société, voire des moins que rien. On se moque de la religion, on caricature les propos de l’Eglise… Or cela a déjà eu lieu, là, au pied de la croix».
En fin connaisseur de la Bible, le dominicain fribourgeois, ancien directeur de l’Ecole biblique de Jérusalem (1999-2008), met en lien les propos calomniant Jésus avec les psaumes. Marc, dans son évangile, met en scène ce Crucifié devenu «un ver et non pas un homme», référence au psaume 22. «Car cela n’a aucun sens que le Fils de Dieu meure sur la croix, dit le Père Poffet. Et pourtant, il condense ainsi l’expérience qu’ont faite des croyants avant lui et que feront d’autres après lui».
Le psaume 22: «Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné» reprend les paroles du juste persécuté. Jésus n’est pas le premier dont on se moque, pas le premier à se sentir repoussé injustement. «Le Vendredi-Saint est aussi le moment pour se souvenir de cela. Car Dieu est là, malgré tout! Sinon nous en restons à l’image d’une Eglise qui vit comme une citadelle assiégée. Il reste, au fond, cette espérance: Dieu est là! C’est comme le raconte Elie Wiesel dans un livre sur Auschwitz. Devant le spectacle de la pendaison d’un enfant, quelqu’un a demandé: ’Où donc est Dieu?’. Et Wiesel entendait monter en lui cette réponse: ›Il est là, pendu à cette potence’».
Sur la croix Jésus est vilipendé. Il est provoqué à descendre de la croix, à rebâtir le Temple. Le Christ est nargué à l’extrême, comme si on lui disait: «Ce que tu as revendiqué, c’est terminé! Tes prétentions messianiques, ton défi de reconstruire le Temple, ta mission va à vau-l’eau». De fait, «Jésus vit une terrible souffrance physique et une souffrance morale immense», insiste le bibliste. Tout ce qu’il avait dit est défiguré, caricaturé.
Néanmoins, indique Jean-Michel Poffet, les propos des passants (»Hé! Toi qui détruis le sanctuaire…») peuvent être interprétés de deux façons. D’abord comme une moquerie blessante, accusant Jésus d’imposture. Mais ils peuvent aussi être perçus comme une marque d’admiration. Le «Hé, toi!» peut aussi, dans la langue grecque, signifier un «Oh, toi!» enthousiaste devant celui qui donne sa vie, en devenant le nouveau sanctuaire ouvert à tous.
A l’époque du Christ, l’attente messianique imprégnait fortement la communauté de Qumran dont la bibliothèque dans des jarres de pierre a été redécouverte en 1948. Cette espérance se focalisait sur ce sanctuaire nouveau, différent du Temple de Jérusalem. Les textes de Qumran évoquent ce lieu de culte qui serait desservi par un nouveau clergé, avec un nouveau roi.
«Dieu m’a répondu, peuvent témoigner bien des croyants… mais pas tout de suite»
«Marc est aussi profond que Jean, dans son évangile», commente le spécialiste. Par la mise en scène des trois cercles de ricaneurs, Marc superpose les paroles de Jésus et ce qui advient du Temple: «Un nouveau sanctuaire est donné au monde sur la croix et ce sanctuaire, c’est Jésus lui-même!». Ce temple nouveau, appelé à remplacer celui de Jérusalem, est accessible partout: en Galilée où Jésus rejoindra ses disciples après la résurrection, avec Marie-Madeleine, etc.
«Dieu m’a répondu, peuvent témoigner bien des croyants… mais pas tout de suite: il peut se passer du temps avant que les choses n’évoluent». La comparaison de Jésus sur la croix et de Daniel dans la fournaise de Nabuchodonosor appartient également à la tradition biblique: «Prier Dieu même s’il ne venait pas».
D’autres figures peuvent correspondre à celle de Jésus injustement raillé. Le prophète Jérémie a, lui aussi, subi les sarcasmes de ses auditeurs. Etienne, dans les Actes des Apôtres, est confronté à de faux témoins qui l’accusent de blasphème contre Dieu et le Temple.
«La mort du Christ en croix n’est pas l’aboutissement de l’Histoire. La foi apporte déjà le goût de la délivrance»
Toutefois, dans le récit de la Passion de Jésus, le regard de l’évangéliste Marc dépasse le stade des moqueries. Il est aussi teinté de foi. Mais «la foi est un don et un regard qu’il faut demander». Car faire face aux moqueurs est une épreuve terrible. C’est certain, les railleurs seront confondus, comme l’évoquent les psaumes. Le Seigneur va triompher, «mais pas sur le moment». C’est là l’enjeu du Vendredi-Saint, relève Jean-Michel Poffet. La mort du Christ en croix n’est pas l’aboutissement de l’Histoire. Pour éviter de faire du Golgotha une impasse, la foi apporte déjà le goût de la délivrance. (cath.ch/bl)
Ce texte est la reprise d’un article paru sur cath.ch en 2018.
Rédaction
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