Kanto ne sait pas que dire à ses enfants qui lui demandent constamment à manger. Le père de famille doit rembourser trois sacs de riz pour un seul qu’il a reçu. Il a dû demander cette nourriture à un des habitants les plus fortunés de son petit village de Madagascar. Les intérêts étaient à 300%, et il n’a pu trouver mieux nulle part. Il a été obligé de contracter cette dette pour nourrir les siens. Les récoltes de riz ont été désastreuses dans sa région, où le manque de pluie persiste. L’endettement plonge les huit membres de la famille de l’agriculteur dans une spirale de misère et de drames.
Kanto est un personnage fictif. Mais son histoire est réaliste et représentative de beaucoup d’autres à Madagascar, où l’endettement des agriculteurs est un phénomène endémique et dévastateur, explique à cath.ch Diary Ratsimanarihaja. La jeune Malgache est depuis 2017 coordinatrice du programme d’Action de Carême (AdC) à Madagascar, spécialement responsable de l’agroécologie et du changement climatique. Elle est en Suisse en mars 2023 en tant qu’hôte de la Campagne oecuménique de Carême, organisée par les œuvres d’entraide chrétiennes AdC (catholique romaine), EPER (protestante) et Etre partenaires (catholique chrétienne).
Le programme que Diary coordonne sur place s’axe donc principalement sur le désendettement des paysannes et paysans. Ce problème a de multiples causes, détaille-t-elle. Il est tout d’abord foncier. Les revenus des petits agriculteurs sont limités par la taille réduite des parcelles cultivables. Ils ne peuvent pas acheter des terrains qui sont très souvent hors de leurs moyens.
Le changement climatique aggrave les choses. Particulièrement dans le sud de la grande île, au climat déjà aride. Les sécheresses récurrentes depuis quelques années ravagent les récoltes, poussant des populations au bord de la famine. Le réchauffement provoque également dans d’autres endroits des événements climatiques de plus en plus violents, tels que des cyclones, souvent suivis d’inondations.
On assiste à un dérèglement des cycles naturels, de plus en plus flagrant dans les dernières décennies. Les agriculteurs ne peuvent plus vraiment compter sur leurs connaissances traditionnelles et ancestrales pour savoir à quel moment de l’année planter quelle culture.
«La diversification des cultures sur une même parcelle permet d’optimiser le rendement»
La politique de l’Etat central ne facilite pas vraiment les choses. Le gouvernement malgache professe une vision classique de l’agriculture, productiviste et intensive. L’aide apportée consiste principalement à proposer gratuitement des engrais chimiques. «Du moment que c’est gratuit, beaucoup de paysans sont attirés par cette solution, souligne Diary. Le problème c’est que ce n’est gratuit qu’une fois. Dès que les engrais chimiques sont épuisés, ils doivent en racheter pour continuer ce type de production. Et c’est très cher pour eux.» Un système qui a ainsi tendance à aggraver la dépendance à l’extérieur des petits agriculteurs et l’endettement des familles.
Pour tenter d’endiguer ces problèmes, AdC a adopté plusieurs approches, à Madagascar. La première est l’agroécologie, un mode de production qui mise principalement sur la complémentarité entre les différentes composantes de la biodiversité. «La diversification des cultures sur une même parcelle permet d’optimiser le rendement», indique la coordinatrice malgache. L’approche inclut le remplacement des intrants chimiques par des méthodes de régulation naturelles bien meilleur marché. Outre le compostage pour l’engrais, les pesticides et herbicides naturels sont privilégiés, ainsi que les techniques d’irrigation non nuisibles à l’environnement.
«L’agroécologie contient également une importante dimension sociale»
«Le principe est celui de l’auto-consommation. Nous les incitons à manger ce qu’ils produisent eux-mêmes et à ne pas trop dépendre des achats aux marchés, où les prix sont déjà élevés», explique Diary. La diversification agricole a aussi l’avantage d’apporter aux familles une nourriture plus variée et plus saine.
L’agroécologie ne concerne pas que l’aspect technique, elle contient une importante dimension sociale. Le programme d’AdC favorise ainsi la création de «groupes de solidarité». Ces associations rassemblent de 12 à 20 personnes. Des épargnes communes sont réalisées. «Ils s’efforcent de cotiser, de faire des activités en groupe pour gagner un peu d’argent, qu’ils mettent dans le fonds commun. Les membres peuvent y emprunter des sommes sans intérêt.» La jeune Malgache assure que le système a déjà permis à de nombreuses familles de se désendetter et de prendre un nouveau départ.
Dans ces groupes, des valeurs telles que la solidarité, l’entraide ou encore le dialogue sont encouragées. Une activité facilitant la mise en place de l’agroécologie est «l’entraide rotative». Les membres vont travailler à tour de rôle chez les autres, ce qui améliore aussi la productivité.
Au sein des groupes, des formations sur les pratiques agricoles sont également données. «Nous leur enseignons notamment des techniques de conservation et de transformation des produits agricoles. Ce qui augmente leur indépendance alimentaire».
La sensibilisation des populations tient une place centrale dans les programmes. «Le but n’est pas de faire les choses à la place des gens, mais de les inciter à agir par eux-mêmes pour eux-mêmes, afin d’avoir un effet dans la durée.» Diary Ratsimanarihaja admet que la conscience des problèmes écologiques est encore faible dans la population malgache, surtout dans les lieux plus isolés. «Les personnes sont plutôt préoccupées par ce qu’elles vont manger le jour-même».
«Les techniques agroécologiques permettent de se passer des cultures sur brûlis»
Des modules d’exercices dans le cadre des ateliers EPRACC (Evaluation participative des risques liés au climat et aux catastrophes) rassemblent les habitants par groupes sociaux (femmes, jeunes, personnes âgées…) afin de «cartographier» leur environnement. «Après réflexion, les anciens peuvent dire: ‘Ah oui, il y avait une forêt avant ici, ou un cours d’eau’. Ils peuvent de cette façon se rendre compte par eux-mêmes que leur environnement a changé et mettre en place ensemble des solutions pour remédier aux problèmes qu’ils perçoivent.»
Car l’agroécologie implique une vision globale, qui inclut également le bien-être de l’environnement. «Les techniques agroécologiques permettent aussi de se passer des cultures sur brûlis, qui augmentent le phénomène de déforestation, note Diary. Notre objectif est aussi de tenter de protéger la biodiversité de Madagascar, qui est unique au monde.»
L’hôte de la Campagne de Carême relève que les programmes d’AdC se déploient dans douze régions de la grande île, atteignant potentiellement 500’000 personnes. «Cela peut paraître bien sûr assez peu dans un pays de 28 millions d’habitants», admet-elle. Elle considère que l’effort à faire pour améliorer le sort des populations devraient venir à la fois de l’Etat central et des populations. «Il y a pas mal de projets actuellement à Madagascar qui essayent de mobiliser dans les petites communautés. Mais cela aurait un impact encore plus important si le gouvernement aidait notamment les petits agriculteurs à accéder à la terre et soutenait la transition agroécologique».
Diary croit cependant au potentiel de l’exemple. «Les personnes hors des groupes de solidarité voient que les membres s’en sortent bien. Nous constatons que beaucoup veulent s’y joindre. Si on additionne les autres organisations qui font le même travail, j’ai de l’espoir que le mouvement prenne et que les conditions de vie de la population s’améliorent réellement.» (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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