Eva Meienberg, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
«Pourquoi n’en a-t-elle jamais parlé ?», demande Lisbeth en pleurant. La septuagénaire est assise avec son mari sur le canapé de leur salon. Ils regardent sur leur téléviseur une des scènes du documentaire «Unser Vater» (Notre père) de Miklós Gimes. Dans le film, la mère très âgée de Lisbeth tente d’expliquer ce qui lui est arrivé au début des années 1950. A l’époque, Anton Ebnöther avait «pris, écrasé et jeté» la cuisinière de la paroisse. Honteuse, elle décrit le viol qu’elle a subi.
Anton Ebnöther était alors prêtre catholique dans le diocèse de Coire et a engendré six enfants avec quatre femmes. Selon le cinéaste Miklós Gimes, des indices laissent penser qu’il y en a eu d’autres.
Les frères et sœurs issus de ces unions abusives n’ont rien su les uns des autres pendant des années et n’ont fait connaissance qu’après l’enterrement de l’ancien prêtre en 2011.
«Pour certains de ses enfants, Anton Ebnöther est une sorte de père, pour les autres, il n’est que le géniteur. Il n’a pas assumé sa responsabilité avec tous ses enfants. Et certains souffrent encore aujourd’hui du tabou d’être l’enfant d’un prêtre catholique», relève le cinéaste.
Le travail cinématographique a été comme un voyage dans le temps, dans les années cinquante et soixante en Suisse. «J’ai vu la pression psychologique que l’Eglise pouvait exercer sur ses membres à l’époque. Au lieu de se défendre, la plupart des gens se sont soumis, sans doute par peur d’être exclus ou d’aller en enfer».
Monika est la troisième de la ‘fratrie’. A l’époque, sa mère, qui était monitrice du groupe de jeunes filles ‘Blauring’, s’est rendue au presbytère chez Anton Ebnöther, où celui-ci l’a violée. Lorsque enceinte, elle lui a demandé de l’aide, il a offert à la jeune femme 200 francs dans une enveloppe. Elle devait ›faire ce qu’il fallait’ avec. Le prêtre comptait sans doute qu’elle avorterait. Avec l’argent, la mère de Monika acheté de la laine et s’est mise à tricoter pour son enfant à naître.
Mais Anton Ebnöther n’a pas fait violence à toutes les femmes. Toni et Christina étaient des enfants souhaités par leur mère. Comme elle n’était pas tombée enceinte de son mari, le vicaire l’a ‘aidée’. De même, la mère de Daniela et Adrian aimait bien Anton. Elle a défendu le père absent devant ses enfants. Aujourd’hui, elle le voit d’un œil critique.
L’une des qualités du film est que Miklós Gimes ne dépeint pas Anton Ebnöther comme un monstre, mais laisse subsister les nombreuses contradictions de ces histoires d’abus. Ce qui est parfois difficile à supporter. En même temps, il donne à comprendre comment de telles situations se produisent: lorsque des personnes abusent de leur pouvoir au nom de Dieu, profitent de la dépendance d’autres et peuvent compter sur silence.
Le film «Unser Vater» sortira le 6 avril au cinéma en Suisse alémanique. Des projections et des débats auront lieu dans plusieurs villes. (cath.ch/kath.ch/em/mp)
Le parcours d’abus d’Anton Ebnöther
Une partie de l’histoire, qui n’est pas racontée dans le film, a pu être reconstituée grâce à des lettres de l’évêque de l’époque et des dossiers judiciaires que les journalistes de TA Media ont analysés.
Anton Ebnöther est ordonné prêtre à Coire (GR) en 1945. Il occupe son premier poste de vicaire et de chef de chœur à Saint-Moritz dans les Grisons, en 1946. Beau et charmant, le jeune prêtre de 27 ans est très apprécié.
Mais comme le montrent plusieurs lettres de Mgr Joseph Caminada, l’évêque de Coire de l’époque, Anton Ebnöther se fait aussi rapidement remarquer pour ses histoires féminines. L’évêque intervient personnellement en 1949: après une visite sur place, il l’exhorte par écrit à ne plus recevoir «de visites de femmes dans sa chambre privée».
En été 1949, il est transféré à Bülach, dans le canton de Zurich où les abus se poursuivent. Il met enceinte une jeune femme (la mère de Lisbeth). En tant que vicaire à Bülach, Anton Ebnöther est en contact avec au moins trois autres femmes dont une mariée à qui il fait deux enfants en 1952 et 1953 (Toni et Christina). En 1953, l’évêque qui a eu vent des agissements du vicaire, l’invite à nouveau à s’expliquer.
En 1954, l’évêque prend enfin des mesures: il transfère le prêtre dans le centre de retraites spirituelles St. Franziskus, à Soleure, en guise de punition. Quelques mois plus tard, nouveau transfert à Fribourg, dans un pensionnat tenu par les cordeliers. En avril 1958 une nouvelle lettre arrive à l’évêché de Coire. Un clerc fribourgeois y fait état d’une «affaire désagréable» concernant Anton Ebnöther.
Entre-temps le prêtre est retourné à Klosters dans les Grisons. À peine entré en fonction, il prend pour cible une autre jeune femme qu’il met également enceinte. Elle le poursuivra en justice et informe l’évêque de Coire de la naissance de sa fille (Monika). Le secret est levé, la nouvelle se répand rapidement. L’évêque suspend alors Anton Ebnöther de son ministère. En 1960, un procès a lieu devant le tribunal de Saignelégier. Le prêtre est reconnu comme père de l’enfant et contraint de payer une pension alimentaire.
Rendu à l’état laïc, Anton Ebenöter travaillera entre autres dans une agence de voyage puis tiendra une pension dans le canton des Grisons. Il meurt en 2011 à l’âge de 92 ans. MP
Maurice Page
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