«C’est beau d’être prêtre!» assure Claude Ducarroz. Devant une audience d’environ 80 personnes, réunies au Centre Ste-Ursule à Fribourg, le chanoine rappelle son amour pour le sacerdoce et pour l’Église, précisant que s’il lui arrive de l’égratigner, c’est uniquement pour la faire avancer.
Avec cette conférence, le prêtre fribourgeois ordonné en 1965, entend partager ses convictions sur la question des ministères en Église, notamment dans le contexte du Synode sur la synodalité et de la crise que traverse l’institution. Cela dans une «parole libre», comme le précise la modératrice de l’événement, en introduction.
Écrivain, blogueur (notamment sur cath.ch), bien présent dans les médias, Claude Ducarroz est une figure bien connue, respectée et écoutée dans l’Église en Suisse romande. De nombreuses nouvelles chaises doivent ainsi être apportées dans la salle de conférence du Centre Ste-Ursule pour accueillir les personnes qui arrivent en plus grand nombre que prévu.
L’ancien prévôt de la cathédrale débute son argumentation par un retour historique et biblique. Il rappelle que la communauté formée autour de Jésus était marquée par un profond esprit de fraternité et de service. De même pour les toutes premières communautés chrétiennes, qui prenaient en compte la «diversité des dons» de leurs membres.
«Nous traînons encore quelques restes du faste de l’Empire byzantin et de la rigueur du droit romain»
Il souligne le rôle important joué par les femmes dans le christianisme embryonnaire. Le Nouveau Testament indique notamment que Paul avait nommé dix femmes parmi ses 36 auxiliaires. Il parle de Junia comme d’une «apôtre éminente», signe que l’apostolat n’était pas destiné qu’aux hommes.
Mais l’esprit originel des premières communautés se dégrade progressivement. Avec l’émergence de nouvelles figures telles que les épiscopes, les presbytres ou les diakonoï, se développe une culture hiérarchique. Les chrétiens, immergés dans un environnement païen et parfois hostile, subissent l’influence de ce dernier. «Nous traînons encore quelques restes du faste de l’Empire byzantin et de la rigueur du droit romain», remarque Claude Ducarroz. L’épiscopat devient de plus en plus monarchique et les prêtres commencent à sacraliser leur fonction et leur personne.
L’esprit de service continue de se perdre au Moyen Âge, malgré quelques «correctifs», note le chanoine. Il mentionne l’éclosion de la vie religieuse, qui crée des «circuits non-cléricaux». Il note aussi, au cours de l’histoire, l’apparition de saints qui ont donné un nouveau souffle à l’Église, tels saint François d’Assise ou Vincent de Paul.
Réalisant un «saut» temporel, il met en exergue le Concile Vatican II (1962-1965), qui «n’a pas beaucoup bousculé l’Église, mais a rappelé des choses». Il relève qu’à cette occasion, les baptisés sont remis au centre. Les prêtres et les évêques désormais encouragés à se faire «conseiller», notamment par des laïcs. «Le cléricalisme a été quelque peu atténué par cet esprit de partenariat», note Claude Ducarroz.
«Au cours de l’histoire, le célibat a été de plus en plus souhaité dans l’Église»
«Mais il faut aller plus loin», lance-t-il en rappelant les recommandations du Synode 72. La démarche préconisait, il y a 50 ans déjà, d’ouvrir la prédication aux laïcs, d’ordonner des hommes mariés (viri probati) et d’étudier l’ordination des femmes, ainsi que leur accès à des postes de décision. Un dernier point à propos duquel Claude Ducarroz salue Mgr Charles Morerod. L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) a en effet nommé, au cours des dernières années, plusieurs femmes à des postes-clés du diocèse.
Des conclusions du Synode 72, le chanoine retient ainsi deux points: le célibat sacerdotal et l’ordination des femmes. Il souligne que, dans le Nouveau Testament, le célibat est un charisme libre, jamais imposé. Des apôtres étaient mariés et saint Paul préconise d’ailleurs que les épiscopes ne soient mariés «qu’à une seule femme».
Mais, au cours de l’histoire, le célibat est de plus en plus souhaité dans l’Église. Il s’impose finalement comme règle de vie pour les prêtres au second Concile du Latran, en 1139. «Pour des raisons diverses», explique Claude Ducarroz, dont une incitation venant de la mystique à imiter le Christ, ou encore l’influence du prestige des moines… Mais aussi, précise le chanoine, «une dépréciation de la sexualité ainsi qu’un antiféminisme rampant».
«L’Église doit garder son rôle prophétique, elle doit être dans le monde, sans être ‘du monde’».
Le prêtre fribourgeois souligne qu’il n’entend pas dénigrer le célibat «qui est un beau charisme». Mais qui ne peut provenir, selon lui, que «d’un libre choix », si le prêtre veut «vivre un service authentique».
Claude Ducarroz ne voit également «aucune raison d’exclure les femmes des ministères», malgré le «non clair» de la hiérarchie catholique sur ce point. Il note un «paradoxe significatif» à ce propos dans le Nouveau Testament. Bien que la société patriarcale de l’époque ait amené Jésus à ne choisir que des apôtres masculins, le Christ a fait preuve «d’une liberté prophétique dans ses relations avec les femmes». Il subit notamment à plusieurs reprises des récriminations patriarcales en rapport à sa proximité inhabituelle avec les femmes.
Un paradoxe qui existe aussi chez Paul. L’apôtre préconise certes qu’elles se couvrent la tête, se taisent à la messe et soient soumises à leur mari. «Mais quand il se place au niveau des principes», sa vision est toute autre, note le chanoine. Il mentionne ainsi les paroles de l’apôtre selon lesquelles «Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ» (Galates 3:28).
«Ce qu’il nous faut, c’est un bouquet de ministères. Mais n’en excluons aucune fleur»
«Ainsi, si la révolution paulinienne a eu lieu avec la fin de l’esclavage, cela n’a pas encore été le cas pour les femmes», ironise Claude Ducarroz. Il dénonce «une discrimination injuste, même sur le plan théologique». «Il n’y a rien dans le Nouveau Testament qui puisse justifier qu’une grâce telle que l’accès au ministère soit refusée à tout baptisé».
Le prêtre rappelle le rôle immense que jouent les femmes dans les communautés, en comparaison du peu de reconnaissance qu’elles reçoivent. Et d’insister sur la nécessité de «reconnaître à tout baptisé sa dignité». Il cite le pape François qui explique que «l’Église ne vivra pas de conversion sans la participation de tous les baptisés». Le chanoine espère voir une telle avancée dans le cadre du Synode sur la synodalité.
Il met tout de même en garde contre un cléricalisme «qui existe aussi chez les laïcs». À l’heure des questions, il précise également que, si l’Église doit être attentive aux signes des temps et accueillir ce qui vient de l’extérieur, elle ne doit pas vouloir s’adapter à la société. «L’Église doit garder son rôle prophétique, elle doit être dans le monde, sans être ‘du monde’.»
Pour Claude Ducarroz, le processus de renouveau a finalement deux faces: il doit premièrement toujours s’enraciner dans la communion avec le Christ. Il doit ensuite faire preuve d’imagination créatrice, surtout au niveau des ministères. «Ce qu’il nous faut, c’est un bouquet de ministères. Mais n’en excluons aucune fleur», conclut-il. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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