Le frère Adrien, âgé de 32 ans, l’a dit lors de son intervention au festival OpenSky: un smartphone et un compte Instagram suffisent pour commencer à Evangéliser avec un message simple. Le web est selon lui une bonne opportunité pour l’Eglise de parler de sujets aussi sensibles que la politique, la sexualité ou la messe tridentine. A condition d’être à l’écoute des gens et de les accompagner.
Pourquoi avoir lancé votre chaîne Youtube?
A l’époque, en novembre 2022, J’ai pensé à Youtube parce que je ne connaissais ni TikTok, ni Instagram. A l’origine cela m’amusait et je ne voulais pas faire une chaîne avec des milliers de vues, mais juste poster deux ou trois vidéos. Je n’avais pas de plan. Je me suis aperçu que 10 personnes, puis 15, 20, etc. regardaient mes vidéos. j’ai donc continué et puis l’audience a explosé. D’une certaine manière, je me suis retrouvé là un peu par hasard. Il y a quatre ans, je n’avais ni téléphone portable, ni de compte Instagram.
Quels sont les sujets de vos vidéos?
A l’origine, il y a eu un format «théologie et popcorns» pour parler de cinéma et de l’analyse théologique des films et un deuxième format «Jeûne et joli», un jeu de mots sur le titre d’une ancien magazine de mode français, dont le contenu visait à parler de sujets de société abordés d’un point de vue chrétien avec de l’analyse de la culture populaire. Au fur et à mesure, on a élargi à d’autres formats: de la catéchèse, des sujets compliqués, délicats, de la sexualité, de l’analyse de films, des formats courts et des vlogs (reportage réalisé à la première personne, ndlr). On a même proposé un concours de tatouages!
«Il y a quatre ans, je n’avais ni téléphone portable, ni de compte Instagram.»
Avez-vous une ligne éditoriale?
La ligne initiale qui était de capter un public de 18 – 35 ans n’a pas bougé. On a beaucoup évolué, mais j’espère que le ton de la chaîne est resté le même. C’est assez classique sur le fond, mais assez décalé sur la forme pour un catholique. Quelqu’un qui n’est pas issu de l’Église trouvera les contenus assez normaux.
Concrètement, comment travaillez-vous sur le fond et sur la forme?
Au début, je travaillais seul. Au fur et à mesure que l’audience a progressé, je suis devenu plus exigeant pour ce que je produisais: je n’écris ni ne filme plus comme il y a deux ans. Au fur et à mesure des expériences, j’ai affuté mon regard de vidéaste et cela m’a demandé de plus en plus de temps. J’ai fini par m’entourer d’une petite équipe. Pour produire les vidéos, trois personnes m’aident à scripter (écrire, ndlr), pour les tournage et montage. Frère Marc, mon prieur, relit les contenus pour m’éviter des erreurs théologiques et m’oriente dans mes choix éditoriaux. Une amie gère le ‘community management’ (modération de réseaux sociaux, ndlr). Une vidéo de 10 minutes équivaut à 30 heures de travail. Je dois faire des semaines de 45 – 50 heures. Youtube représente la moitié de notre temps de travail. J’y passe mes journées.
«Une vidéo de 10 minutes correspond à 30 heures de travail.»
Justement, comment parvenez-vous à conjuguer votre vie religieuse et vos activités digitales?
Je prie entre deux et quatre heures quotidiennement. Il y a la vie communautaire, l’entretien du bâtiment, les prières du jour. Mes activités de prédication sur le web se conjuguent finalement très bien avec la vie dominicaine. Les frères comprennent bien mes exigences et à quel moment il faut me donner un coup de pied aux fesses pour me rappeler à la vie commune. De manière étonnante, je me sens plus dominicain maintenant qu’auparavant.
C’est une mission que m’ont donnée mes supérieurs. Je vais voir le provincial deux fois par an pour rendre compte de mon activité. Comme je porte l’habit des dominicains et que je prêche, j’engage la province dominicaine de France, je ne peux pas dire n’importe quoi. Tout cela s’articule bien. D’une part, je joue le jeu de l’institution parce que j’aime l’Église et que je ne suis pas là pour les mettre mes frères en porte-à-faux. D’autre part, ils me font confiance alors que j’aborde des sujets comme la politique ou la sexualité.
Est-ce facile d’évangéliser sur les réseaux sociaux en 2023?
Quand on parle de la question des transgenres, des élections présidentielles ou encore du divorce, une vidéo qu’on prépare en ce moment, il faut avoir à l›esprit que des gens souffrent. On peut toujours faire une vidéo de deux minutes pour parler du divorce ou de la politique. Cela dit, pour bien faire le travail, il faut prendre en compte la complexité de la vie humaine, et se dire que des gens ont été blessés. Il y a plusieurs manières de dire le dogme ou la morale de l’Église. Soit de manière cassante, en leur disant leurs quatre vérités, soit en leur montrant qu’on a compris la complexité d’une situation et qu’on chemine ensemble pour essayer de trouver des solutions. Ce n’est pas tant qu’on a peur de manquer au dogme, mais qu’il faut être attentif aux situations.
«Pour bien faire le travail, il faut prendre en compte la complexité de la vie humaine, et se dire que des gens ont été blessés.»
Quelles réactions recevez-vous par rapport à ces sujets?
On a plutôt parlé de l’homosexualité et des personnes transgenres, des sujets assez brûlants. Je m’aperçois qu’on a dû progresser puisque nous recevons de moins en moins de messages acerbes ou violents. A force d’essayer de prendre en compte ces réactions, cela nous a obligés à revoir notre manière de parler. Je me suis aperçu qu’on ressent une certaine forme d’émotion lorsqu’on aborde ces thèmes. On ne peut pas tenir un discours ex cathedra pour évoquer les difficultés des gens en instaurant une frontière avec d’un côté celui qui sait et de l’autre celui qui ne sait pas.
Vous avez aussi diffusé une vidéo sur la messe tridentine, sujet brûlant en Église… C’était avant le motu proprio Traditionis custodes?
En France, on pensait que cette question était réglée, puis Traditionis custodes est arrivé, qui a enflammé les débats. On est allé sur ce sujet compliqué et sur les questions que se posaient les gens à propos de cette forme du rite. Nous n’avons pas attendu d’avoir une parole trop lisse ou trop institutionnelle. Dans ce cas précis, on a mis du temps à trouver la date de tournage. On a découvert l’église au moment de la réalisation et on a imaginé la vidéo sur place. Il y a un côté improvisé, réalisé avec «les moyens du bord» qui a donné une tournure très spontanée et authentique à la vidéo et qui a contribué à son succès. Un côté très vivant qui correspond à notre foi catholique.
Il y a le montage et l’habillage de la vidéo qui comptent…
Oui, maintenant, nous avons de l’expérience. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes passé par moult canaux pour que ce soit le plus inclusif possible. Il faut qu’on sente la personnalité qui porte ces vidéos. C’est le code des réseaux sociaux: la personnalité est la porte d’entrée d’un sujet. Quand la personnalité passe, on s’intéresse à son message et lorsqu’on s’intéresse au message, on s’intéresse à l’institution qui le porte.
C’est un schéma très différent de la manière de procéder dans l’Église catholique…
En effet, l’institution produit d’abord quelque chose d’officiel pour donner un message qu’elle a au préalable établi comme étant important. S’il reste du temps, on donne un petit habillage pour la forme. C’est exactement le processus inverse sur les réseaux sociaux, ce qui explique la différence entre une prédication institutionnelle et une prédication populaire.
«Souvent en Église, et je m’inclus dans cette Église, notre manière de parler manque d’intelligence émotionnelle.»
Quels ont été les sujets les plus délicats à réaliser?
La sexualité et la politique. J’ai été surpris de constater la violence des catholiques entre eux lorsque j’ai traité des sujets politiques. A l’occasion des élections présidentielles, j’avais invité des représentants de différents partis en leur posant, entre autres, les mêmes questions sur l’immigration, l’euthanasie, etc. J’ai été très étonnés de voir ce que les catholiques pouvaient se jeter à la figure. Très étonné aussi de lire les commentaires violents que j’ai reçus parce que j’avais osé poser des questions aux politiques.
Sur la sexualité, les internautes réagissent très fortement et très rapidement parce qu’ils sont touchés au plus intime. Et il y a aussi une certaine forme de militantisme sexuel sur les réseaux. Ce que je dis sur la sexualité n’est pas d’une violence particulière, mais j’ai constaté la levée de boucliers immédiate. Comme si l’Église n’avait pas voix au chapitre pour aborder certains sujets de société.
L’Église n’a-t-elle plus de message à faire passer?
Dire qu’on n’attend plus rien de l’Église, c’est une chose, mais ça ne fait pas avancer le «schmilblick». Comment avoir une parole percutante? Souvent en Église, et je m’inclus dans cette Église, notre manière de parler manque d’intelligence émotionnelle. D’une part, c’est trop froid, trop abstrait, d’autre part, on parle trop sur des sujets militants et compliqués. Un exemple: quand on pense parler de la société, on pense aux grands débats sur l’euthanasie. Or une des vidéos qui a le plus marché est consacrée aux tatouages chrétiens. «Est-ce qu’on a le droit de se faire tatouer lorsqu’on est chrétien?» On ne s’en aperçoit pas tout de suite, mais c’est un vrai sujet de société. Certes pas aussi brûlant que des sujets militants, mais qui pour beaucoup de personnes est important.
Là-dessus, l’Église n’a pas une parole absolue, mais c’était l’occasion de dire aux gens qu’en tant que prêtre, je leur faisais confiance, que chacun était libre. Juste en rappelant qu’il n’était pas nécessaire de se tatouer tout le corps puisqu’un chrétien est censé considérer son corps comme le temple de l’Esprit. Le tatouage devant être une manière d’embellir son corps, non de le cacher. Cette vidéo a été vue par 100’000 personnes dont 80’000 entendaient pour la première fois un prêtre avoir une parole de bénédiction sur un sujet de société. Cela a fait plaisir à énormément de personnes qui se sont rapprochées de l’Église et de la foi en Jésus-Christ. Autant il y a beaucoup de sujet de société sur lesquels on peut avoir une parole tranchée: «ça on peut, ça on ne peut pas», autant il y a quantité d’autres thèmes sociétaux sur lesquels on peut avoir une parole de bénédiction et c’est ça aussi être catholique. L’Église doit réinvestir la culture populaire. (cath.ch/bh)
Un dominicain 4.0
Le frère Paul-Adrien (de son nom de naissance Adrien du Moulinet d’Hardemare) est né le 28 avril 1981. Il passe son enfance à Bayeux (Normandie). Elevé dans une famille catholique pratiquante, il s’éloigne de la religion à 17 ans avant de s’en rapprocher à 21 ans. Cet ancien élève de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique est basé à Evry, au sud de Paris. Il a auparavant enseigné les mathématiques dans l’enseignement secondaire à Lyon. Il est entre chez les dominicains à 24 ans: «Je ne savais pas vers quel ordre religieux me tourner, mais je voulais prêcher, étudier et chanter des psaumes avec des frères. ‘Va chez les dominicains’, m’a répondu mon père spirituel.» Outre sa chaîne Youtube, le dominicain est présent sur TikTok, Instagram et Facebook et a une chaîne Twitch qui lui permettent la prédication en différents formats pour toucher les 18-35 ans. BH
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/frere-paul-adrien-leglise-doit-reinvestir-la-culture-populaire/