L’audience au Vatican, à laquelle a assisté I.MEDIA, a aussi été l’occasion d’entendre la fin du témoignage du successeur du cardinal sarde au poste de substitut de la secrétairerie d’État, Mgr Edgar Peña Parra.
Lors de l’audience du 9 mars dernier, le promoteur de justice avait dévoilé trois lettres échangées par le pape et le cardinal. Dans la première lettre, datée du 21 juillet 2021, le pape clarifie deux points concernant le procès, visiblement à la demande du cardinal. La seconde, datée du 24 juillet 2021, était une réponse du haut prélat dans laquelle il enjoignait le pape à souscrire à sa défense en signant deux textes qu’il avait rédigés. Le pontife refusait finalement dans un troisième courrier envoyé le 26 juillet 2021, veille du lancement du procès.
Le cardinal Becciu, dans une déclaration spontanée au début de l’audience du 17 mars, a critiqué l’utilisation de ces courriers par le promoteur de justice, affirmant que cet échange n’avait pas été présenté dans son contexte. Niant être un «manipulateur», il s’est appuyé sur une lettre inédite qu’il déclare avoir envoyée au pape François le 20 juillet, soit un jour avant le premier courrier présenté lors de la précédente audience.
«Comme vous me l’avez demandé, je vous envoie les deux déclarations à signer dès que possible, car je dois les déposer au tribunal», déclare le cardinal Becciu au pape dans cette lettre. Le pontife, assure-t-il, l’aurait en effet enjoint de lui soumettre ces deux déclarations par lettre pour qu’il les signe lors d’un échange téléphonique survenu le 19 juillet 2021.
Le cardinal Becciu a expliqué avoir été très surpris par la réponse que lui a faite le pape le 21 juillet, estimant qu’elle n’avait pas été écrite par le pontife – qui, à l’époque, se remettait encore de sa lourde opération au côlon survenue le 1er juillet. Pour le cardinal sarde, le «style» de ce courrier, comme de celui du 26 juillet, n’était pas celui du pontife et les versions des faits que les missives exposaient rentraient en «contraste total» avec l’entretien téléphonique du 19 juillet.
Les deux points que le cardinal souhaitait voir confirmer par le pape étaient d’abord que le pontife l’avait bien autorisé à mener l’opération de libération de la religieuse colombienne Gloria Narvaez – en employant les services de Cecilia Marogna. Il voulait aussi que le pape confirme qu’il lui avait demandé de faire examiner une offre de rachat de l’immeuble de Londres faite par l’homme politique italien Giancarlo Innocenzi Botti – que Becciu avait présentée au pontife.
Lors des audiences des 16 et 17 mars, Mgr Edgar Peña Parra a évoqué deux propositions suspectes de rachat de la propriété parvenues au Saint-Siège en 2020. Outre celle mentionnée ci-dessus, une autre proposition avait été effectuée par une société appelée Fenton Wheelan.
Le substitut déclare avoir immédiatement trouvé ces offres «très étranges» parce qu’elles proposaient des prix trop élevés – 300 millions de livres sterling. La secrétairerie d’État avait effectué une «due diligence" – enquête – sur l’immeuble et savait qu’il valait entre 140 et 160 millions de livres sterling ; les offres étaient donc «hors marché».
Le Vénézuélien avait alors demandé que soit informé le promoteur de justice. C’est le secrétaire d’État, le cardinal Pietro Parolin, ainsi que le secrétariat pour l’Économie qui ont traité ces questions, a-t-il expliqué. Le secrétariat pour l’Économie l’aurait informé que ces propositions semblaient provenir des milieux connectés à Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione, ce qui justifiait qu’elles soient écartées.
Le substitut a aussi reconnu avoir demandé à la gendarmerie vaticane d’enquêter sur l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la ›banque privée’ du Vatican. Le comportement de l’IOR, a-t-il expliqué, lui avait en effet paru «anormal».
La secrétairerie d’État avait demandé en mars 2019 un prêt de 150 millions d’euros à l’IOR pour faire face à une hypothèque onéreuse qui pesait sur le bâtiment. Après plusieurs mois d’attentes, il avait finalement été refusé par l’IOR. Pendant la même période, la secrétairerie d’État se retrouvait sous pression, devant payer 1 million d’euros par mois à cause de l’hypothèque.
Le Vénézuélien a expliqué s’être demandé si les tergiversations de l’IOR ne cachaient pas un lien possible d’un de ses membres avec Gianluigi Torzi. En mai, la secrétairerie d’État était parvenue à racheter les parts de l’immeuble de Londres détenues par ce courtier molisan après cinq mois d’âpres négociations – dans des conditions qui valent à l’Italien d’être aujourd’hui accusé d’extorsion par la justice vaticane.
Ces préoccupations ont amené le substitut à demander au commandant de la gendarmerie vaticane un rapport sur le comportement de l’IOR. «Je l’ai fait et si c’était à refaire, je le referais parce que j’ai senti que c’était une question de devoir», a-t-il expliqué, insistant sur le fait qu’il visait l’institution et non une personne en particulier. Sa crainte, a-t-il précisé, était liée à des rumeurs affirmant que Gianluigi Torzi «sortait par la porte, mais rentrait par la fenêtre».
Il a cependant nié avoir demandé une enquête spécifiquement sur Gian Franco Mammì, directeur de l’IOR, en ayant recours aux services de Giovanni Ferruci Oriente, un ancien membre des services secrets italiens. C’est ce qu’avaient affirmé son secrétaire Mgr Mauro Carlino – accusé – ou encore l’architecte Luciano Capaldo, entendu comme témoin. Mgr Peña Parra a en revanche reconnu que Mgr Carlino avait envoyé les numéros de téléphone de Gian Franco Mammì à sa demande et qu’il pensait que les ›enquêtes’ de Giovanni Ferrucci Oriente concernaient davantage Gianluigi Torzi que l’IOR.
Le substitut a apporté quelques détails sur l’hypothèque qui pesait sur l’immeuble. Après que l’IOR a refusé d’accorder le prêt de 150 millions d’euros en juin 2019, il affirme avoir très vite trouvé une autre institution, sans préciser laquelle, qui était disponible pour aider la secrétairerie d’État à faire face à cette hypothèque. Cependant, une solution interne a été privilégiée et c’est finalement l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA), la ›banque centrale’ du Vatican, qui a racheté l’hypothèque.
«L’APSA a tout examiné et, au final, ils ont trouvé une ligne de crédit, qui n’était pas une hypothèque. Nous sommes passés de 1 million d’euros par mois à 800’000 euros par an», a expliqué le substitut. Ce dernier avait évoqué un an de pertes, soit 12 millions d’euros, à cause de cette hypothèque.
Mgr Peña Parra a ensuite confirmé ce que le cardinal Becciu avait affirmé sur les paiements versés à l’accusée Cecilia Marogna. Entre fin 2018 et 2019, alors que le cardinal Becciu n’était plus substitut, la secrétairerie d’État a versé 570’000 euros à cette femme, employée par le Sarde pour effectuer des opérations de « diplomatie informelle », notamment la libération d’une religieuse colombienne kidnappée au Mali. La justice du Vatican accuse Cecilia Marogna d’avoir utilisé l’argent versé pour des dépenses personnelles ostentatoires.
Si Mgr Peña affirme qu’il ignorait tout de Cecilia Marogna – il déclare avoir découvert son nom dans la presse – il s’est interrogé sur les versements. Il a alors été informé par le cardinal Becciu et par le pape du but poursuivi.
Les prochaines audiences auront lieu le 29, 30 et 31 mars. On devrait entendre le témoignage de l’architecte Luciano Capaldo, ainsi que ceux appelés par la défense du cardinal Becciu – notamment son frère Antonino – et de Gianluigi Torzi. (cath.ch/imedia/ic/cd/mp)
I.MEDIA
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