Luc Balbont, pour cath.ch
«Mes visites et mes premières recherches m’ont révélé l’humilité et tout le dépouillement de la Qadicha. Cette foi sans artifice, accessible aux villageois, qui vivaient les mêmes persécutions que leurs patriarches. Rendez-vous compte qu’au XVIIe siècle, dans la Vallée, l’évêque d’Ehden travaillait comme tisserand pour gagner sa vie.»
Natif d’un village proche de Rouen, en Normandie, Yves Prévost s’occupe depuis 1977 d’un centre pour handicapés, près de Beyrouth. Il aime le Liban, mais la découverte de la Qadicha sera pour lui une révélation. Plus que la beauté du site c’est surtout la simplicité qui s’en dégage qui l’émeut.
Il rend visite à Mgr Sfeir, Patriarche maronite à l’époque. Ce dernier le reçoit chaleureusement et encourage fortement son projet. Finalement, après maintes péripéties, et plusieurs échecs et déménagements dans ses démarches, les moines mariamites (1) lui permettent d’habiter l’ancien monastère de Mar Licha en 2012 (2).
A Mar Licha, le Français vit seul, dans une cellule du monastère, un ancien ermitage transformé en chambre, avec le strict minimum. «De 6 heures du matin à 22h30, je passe mes journées à lire. J’approfondis mes connaissances sur l’Orient chrétien et sur l’Église maronite. J’écris. Je reçois aussi des groupes de visiteurs intéressés par l’histoire de la Vallée. J’effectue aussi des travaux de maintenance dans le bâtiment.»
L’hiver est glacial dans la Qadicha. Les montagnes sont recouvertes de neige. Et le minuscule chauffage électrique en butte à de nombreuses coupures de courants quotidiennes, ne suffit pas à réchauffer l’atmosphère.
L’histoire de la Vallée (lire l’encadré ci-dessous), Yves Prévost la retrace dans ses moindres détails. Il en connaît tous les secrets. Dès qu’il le peut, il l’arpente de long en large et de haut en bas, pataugeant dans les cours d’eau, dormant dans les forêts. Sans hésiter, Il peut expliquer les origines d’une chapelle en ruines, d’une peinture à moitié effacée, reconstituer le récit d’un ermitage tombé en désuétude, d’une tombe inconnue, énumérer des évènements heureux ou tragiques vécus par les habitants.
Les anecdotes fourmillent: la tombe du Père Antoun, décédé en 1998, sur laquelle viennent se recueillir des familles musulmanes. Yves Prévost en profite pour expliquer que les 800 ermitages de la vallée n’accueillaient pas seulement des maronites mais aussi des orthodoxes et même des musulmans, «l’écrivain andalou Ibn Jubayr raconte qu’au XIIe siècle, il a rencontré des ermites musulmans (3)».
Durant des heures il détaille les événements marquants: les attaques des mamelouks, et des ottomans contre les couvents et les églises; la vie de sainte Marina, qui pour vivre la vie monastique auprès de son père, moine dans le couvent de Qannoubine, s’était fait passer pour un garçon jusqu’à ses derniers jours.
Yves Prévost s’attarde longuement sur la personnalité de l’ermite français François de Chasteuil, docteur en droit, bibliste hébraïsant, devenu ermite. Inhumé à Mar Licha en 1644, il a marqué l’histoire de la Vallée.
Des ermites il ne reste aujourd’hui que le Père Dario, 88 ans, un Colombien qui a étudié à Rome et à Paris et habité aux Etats-Unis. En tête à tête avec Dieu, le priant douze heures par jour. L’isolement ne lui pèse pas. Tout heureux de l’existence qu’il mène, Yves Prévost se défend pourtant de vivre en ermite. «Je ne pourrais pas vivre comme le Père Dario. Moi, je vois des gens, je les emmène visiter la Vallée. J’ai beau aimer la solitude, sortir des futilités de la vie quotidienne, penser à des choses essentielles, j’ai besoin des autres. Ici, l’environnement est propice, à la réflexion, au silence et à la prière, mais je reste en contact avec le monde.»
L’été, l’ermite reçoit des centaines de visiteurs qu’il guide sur les chemins escarpés de la Qadicha. L’homme aime transmettre l’amour de la Vallée, faire sentir l’héritage de ce lieu unique, et parler de la vie de ces hommes et de ces femmes, qui ont tenu une si grande place dans l’histoire du christianisme oriental et du Liban. Une vraie chaine humaine. Yves ne s’attarde pas sur les visiteurs peu motivés, qui sont juste là pour prendre des photos, et rentrer chez eux sans avoir ressenti et compris le message transmis par la Qadicha; «Quel dommage de passer à côté», regrette l’historien de la Vallée.
Yves Prévost n’aime guère la superficialité. Il mène un combat constant contre ceux qui détruisent sa vallée. Les pillards qui profanent les ermitages, dans l’espoir d’y trouver des trésors; les vandales qui graphitent les oratoires, et les chasseurs qui pourrissent la plénitude du site, la faune et l’écosystème à coups de fusil. «Dans la Vallée, inscrite depuis 25 ans au patrimoine mondial de l’Unesco, une loi interdit pourtant la chasse, ce qui n’empêche pas les amateurs de s’adonner à leur sport favori», se désole notre homme. Pour lui la préservation de la Qadicha est capitale, la Vallée ne doit pas devenir un parc d’attraction comme Disneyland. (cath.ch/lbo)
(1) Ordre religieux catholique oriental appartenant à l’Eglise maronite
(2) Mar Licha ou Saint Elisée, Yves Prévost a écrit un essai sur Saint Elisée, non encore publié
(3) Lire Si la Qadicha m’était contée de Yves Prévost, aux éditions Scouts du Liban. Se connecter au site de Yves Prévost: ouadiqadisha.com
La Qadicha, une image de paix dans l’Orient arabe
Guerres, destructions, violences, crises, corruptions, terrorisme, intégrisme, dictatures, émigrations … ce sont là les images et les commentaires habituels que nous renvoient les médias occidentaux de l’Orient arabe. Aucun pays n’échappe à ces analyses, pas même les richissimes pays du Golfe. Des constats délétères, qui oublient les richesses culturelles et spirituelles de ces pays qui constituent une grande partie de notre histoire. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1998, la Qadicha, la Vallée sainte du nord Liban témoigne des premiers pas du christianisme oriental.
Un site d’une beauté exceptionnelle. 16 kilomètres de long, encaissés entre deux versants abruptes, baignée par le fleuve du même nom (le Saint Fleuve Qadicha) c’est là que, dès le IVe siècle de notre ère, des chrétiens se réfugient dans les nombreuses grottes qui truffent les montagnes, pour se sentir plus proche de Dieu, logeant dans les grottes creusées aux flancs des rochers.
Des ermites, jusqu’au début du VIIIe siècle, la Vallée en comptera jusqu’à 800, des mystiques autour desquels furent bâti plus tard des monastères plus ou moins importants. Sur les 120 sites répertoriés, il n’en reste aujourd’hui que trois habités par des communautés de moines. Des autres, ils ne subsistent que des cryptes délabrées, des pans de murs, des tombes profanées, des refuges décorés de peintures souvent graffitées… Des lambris d’histoire.
La préservation de ce trésor est un souci constant pour ses amoureux. Dans les cartons des promoteurs touristiques, des projets sont à l’étude. Elargir la route à sept mètres de large pour laisser passer les cars. Si ce projet est heureusement bloqué, la Qadicha continue pourtant d’attiser les appétits des marchands du temple: aménager des parkings, créer des restaurants, ouvrir des routes d’accès plus faciles, relier les ermitages et les monastères par des ponts hideux et hâtivement construits, et même aménager une ligne de tramway.
C’est dans cet environnement précieux que se retrouve les valeurs de la spiritualité maronite des premiers temps. En 1998, son classement au patrimoine mondial de l’Unesco (6e site libanais à obtenir le Label*) la préserve plus efficacement, mais n’empêche pas les dégradations. Sur un panneau aujourd’hui disparu, se lisait ce rappel: «Si pour les non croyants, la Qadicha est à admirer, les croyants doivent continuer à y prier…» A méditer. LBA
*Avec Tyr, Anjar, Baalbeck, Byblos, et le bâtiment de la foire de Tripoli.
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/yves-prevost-lermite-laic-de-la-vallee-sainte-du-liban/