L'avenir du patrimoine religieux fribourgeois en questions

Avec ses 189 églises, ses 330 chapelles, ses monastères, ses couvents, et ses institutions religieuses, le canton de Fribourg est profondément marqué par la présence catholique. Mais les temps changent, les communautés et les paroisses peinent désormais à maintenir cet imposant patrimoine. Un colloque a débattu, les 9 et 10 mars 2023 de «l’avenir du patrimoine religieux».

Convoqué à l’invitation du Service des biens culturels du canton de Fribourg (SBC), le colloque a rassemblé une cinquantaine de personnes au couvent des cordeliers, à Fribourg. Représentants de l’Etat, du diocèse, des congrégations religieuses et des paroisses ont échangé avec des spécialistes du patrimoine sur les enjeux et les défis de la conservation.

Stanislas Rück, chef de service des biens culturels du canton de Fribourg | Maurice Page

«Le patrimoine religieux fribourgeois est encore assez majoritairement en usage, mais les choses changent vite. Diminution du nombre des fidèles, disparition de congrégations religieuses font que la charge de son maintien devient trop lourde pour les communautés», a relevé Stanislas Rück, chef de service du SBC. Il s’agit donc d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le léguer aux générations futures.

«Sans l’Eglise, Fribourg ne serait pas Fribourg»

«Sans l’Eglise, Fribourg ne serait pas Fribourg», a souligné Jean-Baptiste Henry de Diesbach, président du Conseil d’administration du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). Outre les églises, on ne compte pas les institutions ecclésiales dans le domaine de l’enseignement, de la santé, de l’accueil des personnes handicapées, de la presse, etc. L’Eglise retient trois points d’attention: le lien avec le vivant, c’est-à-dire le maintien de la mission; l’histoire et la finalité première de l’objet et enfin la volonté des donateurs et des bénévoles. En 2001, la Commission pontificale pour les biens culturels a fixé trois objectifs: la conservation matérielle, la protection juridique et la mise en valeur d’un point de vue pastoral.

900 bâtiments religieux dans le canton

Laurence Cesa, du service des biens culturels fribourgeois | Maurice Page

Laurence Cesa, du SBC, a dressé une rapide topographie de la situation. Le canton de Fribourg compte 189 églises (dont 10% de protestantes) 330 chapelles et 33 congrégations religieuses. En y ajoutant les monastères, les couvents, les pensionnats et autres institutions, on arrive à un total de près de 900 bâtiments. Ce corpus n’est pas homogène. Il s’est constitué au fil des siècles avec une grande diversité matérielle et d’usage. A toutes les époques, ces bâtiments ont été transformés, agrandis, modifiés, parfois démolis, aliénés ou vendus, répondant à une évolution des besoins qui se poursuit aujourd’hui.

Un restaurant dans une ancienne chapelle?

Le professeur Johannes Stückelberger, de l’Université de Berne, a évoqué le changement d’affectation des bâtiments sacrés, en rappelant la difficulté de faire du neuf dans des vieux murs, tout en gardant un lien avec l’origine. La pratique depuis un certain nombre d’années en Suisse lui a permis d’élaborer une méthodologie pour la transformation des églises ne servant plus au culte.

Pour lui un des principes est que les anciens bâtiments ecclésiaux devraient garder un usage public ou au moins collectif. Ainsi, une église peut être transformée en salle de concert, un centre paroissial en foyer pour personnes âgés, une chapelle en bibliothèque ou salle de cours, un monastère en habitat collectif. D’autres exemples sont moins heureux, comme cette chapelle privée transformée en restaurant, ou telle autre aménagée en piscine privée.

Questions juridiques et économiques

La transformation d’un bâtiment religieux entraine aussi un grand nombre de questions juridiques et économiques, a rappelé Jean-Baptiste Zufferey, professeur de droit administratif à l’Université de Fribourg.

Fribourg, les clochers des cordeliers et de Notre-Dame au pied de la cathédrale | © Maurice Page

La plupart des bâtiments religieux ne correspondent en rien aux normes actuelles, tant en matière d’aménagement que de droit de la construction. Il faudra donc souvent un long processus pour déterminer ce qu’il est possible de faire au pas. Les transformations sont-elles en conformité avec le règlement de zone? Comment les normes de sécurité, de chauffage, d’isolation, d’épuration des eaux, de protection incendie, d’accessibilité aux personnes handicapées etc pourront-elles être appliquées? Le principe des droits acquis peut-il s’appliquer lors d’un changement d’affectation?

Les questions économiques ne sont pas moindres. Comment estimer la valeur d’un bien ancien et unique? Comment tenir compte de la vétusté? Quelle est la valeur du terrain? Quels impacts économiques auront les contraintes de la protection du patrimoine? Dans quelle mesure l’impôt sur la plus-value s’applique-t-il? Et enfin quel modèle économique permet-il d’assurer un rendement suffisant?

Au service de l’apostolat

Le Frère Daniel Brocca, gardien du couvent des cordeliers, a évoqué la réalité des communautés religieuses. Le premier objectif d’une communauté religieuse n’est pas la préservation du patrimoine, mais l’apostolat. Les bâtiments sont au service de la communauté et de son action pastorale.

Pour le couvent des cordeliers de Fribourg, la réflexion a commencé en 2008. Que faire de bâtiments devenus bien trop grands pour la petite communauté, notamment de l’ancien pensionnat? Une zone de bureaux, un foyer d’étudiants et une hôtellerie occupent désormais les étages de l’immeuble de la rue de Morat. «Sur le papier cela paraissait assez simple, en pratique ce fut autre chose».

«Pour la communauté, le projet nous a davantage sensibilisés au respect du patrimoine, il nous a poussés à l’ouverture vers l’extérieur et nous a fait comprendre que nous ne pouvons pas tout faire tous seuls. Nous sommes les ‘dépositaires’ des donateurs au cours des âges», conclut le Frère. (cath.ch/mp)  

Patrimoine mobilier

Qui dit patrimoine religieux dit aussi les très nombreux objets liés au culte. On en compte au moins une dizaine par bâtiment, soit environ 10’000, relève Laurence Cesa du SBC. Autels, peintures, statues, objets et vêtements liturgiques, mais aussi les vitraux ou les bancs, tous méritent une attention.

Christian Pacco, administrateur du CIPAR, en Belgique | Maurice Page

Pour en parler, le SBC avait invité entre autres Christian Pacco, administrateur du Centre interdiocésain du patrimoine et des arts religieux en Wallonie (CIPAR) à Namur, qui a présenté le travail d’inventaire à conduire dans les 2’500 églises et chapelles de la Région.
Au delà des particularités du système belge de financement et d’organisation des cultes, le spécialiste a souligné que les églises ont plus qu’une signification religieuse, mais aussi sociale et identitaire. A cet égard, la conservation du patrimoine concerne l’ensemble de la société et pas seulement un groupe confessionnel. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/lavenir-du-patrimoine-religieux-fribourgeois-en-questions/