Comment le pape a refusé de défendre le cardinal Becciu

Lors de la 50e audience du procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’, le 9 mars 2023, le promoteur de justice a déposé des lettres montrant que le cardinal Angelo Becciu a bien tenté d’obtenir un soutien écrit du pape François pour l’innocenter de certains faits qui lui sont reprochés, mais que ce dernier n’a pas donné suite aux demandes de l’ancien substitut de la secrétairerie d’État. C’est le pape François qui, à la demande du promoteur de justice, a remis ces échanges de courrier datant de juillet 2021 et en a autorisé la diffusion.

Lors de l’audience, le promoteur Alessandro Diddi a justifié la publication de ces lettres en expliquant qu’elles apportaient des précisions sur le contexte de l’appel téléphonique qui a eu lieu entre le pape François et le cardinal Becciu le 24 juillet 2021, soit trois jours avant l’ouverture du procès de l’immeuble de Londres. L’appel avait été enregistré par un ami de la famille du Sarde à l’insu du pontife, et l’enregistrement avait été diffusé lors de l’audience du 24 novembre 2022.

Dans cette conversation téléphonique, le cardinal Becciu demandait au pape François de lui confirmer qu’il avait personnellement autorisé l’envoi d’environ 500.000 euros à Inkermann, une société de renseignement britannique. Le cardinal Becciu affirmait s’être appuyé sur cette entreprise, sur suggestion de Cecilia Marogna – une experte en «diplomatie informelle» qui se trouve sur le banc des accusés – pour tenter de libérer sœur Gloria Narváez, une religieuse colombienne enlevée au Mali en 2017. 

Au cours de l’appel, le pape disait se rappeler «vaguement» d’avoir parlé avec le cardinal Becciu des sommes envoyées pour cette opération, mais demandait au Sarde de lui envoyer un document écrit pour qu’il puisse étudier ses demandes. Ces écrits forment une partie des lettres révélées par le promoteur de justice du Vatican – deux lettres du pape et une du cardinal Becciu.

Une tentative suspecte de rachat de l’immeuble de Londres 

La première lettre est datée du 21 juillet 2021, donc avant l’appel du 24 juillet. Pour mémoire, le pape François se remettait tout juste d’une lourde intervention au côlon, survenue le 4 juillet. Cette lettre fait référence à un courrier antérieur portant déjà sur les questions liées au procès. Dans cette missive adressée au cardinal Becciu, le pape François déclare qu’il n’a pas l’intention d’entrer dans ses « stratégies procédurales », mais qu’il souhaite clarifier deux points « dans un esprit de vérité ».

Le premier concerne une tentative suspecte de rachat de l’immeuble de Londres par un groupe d’investissement américain, Bizzi & Partners, en avril 2020. À cette période, la justice vaticane enquête déjà sur l’affaire de l’immeuble de Londres, dont le contrôle a été récupéré par le Vatican en 2019 après une tractation douteuse avec Gianluigi Torzi.

Un certain Giancarlo Innocenzi Botti, ancien député de Fratelli d’Italia et ancien sous-secrétaire d’État d’un gouvernement Berlusconi entre 2001 et 2005, contacte le cardinal Becciu pour lui soumettre une proposition d’achat de l’immeuble. 

Le cardinal sarde, qui n’est alors plus substitut mais préfet de la congrégation pour les Causes des saints, transmet l’offre au pape François. Ce dernier lui demande de faire examiner cette offre par les voies ordinaires et les organes compétents, à savoir, le Père Antonio Guerrero, préfet du secrétariat à l’Économie, et du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État. 

Dans sa lettre au cardinal du 21 juillet 2021 le pape réaffirme cette version de l’histoire, qui était aussi attestée par un témoin lors de l’audience du 14 octobre 2022. Cependant, le pontife ajoute que l’offre lui a semblé « immédiatement étrange » et que sa perplexité « s’est renforcée » quand il a vu qu’elle semblait interférer sur les enquêtes du Bureau du promoteur de la justice déjà en cours. C’est ainsi que le pape a rendu un avis négatif à cette offre.

La justice vaticane estime aujourd’hui que cette offre aurait pu provenir de Gianluigi Torzi, le courtier avec lequel la secrétairerie d’État avait déjà négocié.

À propos du secret pontifical sur les questions relatives à Cecilia Marogna 

Le deuxième point clarifié par le pape dans sa lettre du 21 juillet 2021 concerne l’application du secret pontifical sur les questions qui regardent la libération de la religieuse Gloria Narvaez. Le pape y fait la distinction entre l’utilisation du secret pontifical pour les activités institutionnelles menées par des personnes compétentes au Mali pour la libération de la religieuse, et son utilisation pour des ressources détournées de leurs finalités ayant pu satisfaire des besoins personnels luxueux.

Sans la nommer, le pape fait référence à Cecilia Marogna, accusée d’avoir utilisé les fonds de la secrétairerie d’Etat, destinés pour libérer la religieuse, pour des dépenses inappropriées. « Dans ce contexte, vous comprendrez bien qu’aucun secret pontifical ne peut être apposé », écrit le souverain pontife au cardinal Becciu.

Lors de son premier interrogatoire, durant l’audience du 17 mars 2022 le cardinal Becciu avait invoqué le secret pontifical sur ces questions. Le juge avait annoncé que le pape l’en avait dispensé lors de l’audience du 30 mars 2022.

Les insistances du cardinal Becciu et la réponse ferme du pape

La réponse du cardinal Angelo Becciu à ces éclaircissements est datée du 24 juillet 2021. Il commence par remercier le pontife pour l’appel téléphonique passé le même jour entre les deux hommes. Dans sa réponse, le cardinal demande au pontife de déclarer nulle sa lettre précédente du 21 juillet et joint deux documents à signer concernant l’opération de libération de la religieuse et la proposition d’achat de Giancarlo Innocenzi Botti. Dans les deux documents, le cardinal Becciu affirme que le pape l’a autorisé à agir et qu’il suivait ses instructions.

« Je suis accusé par les magistrats de l’avoir trompé tant pour l’affaire de la religieuse colombienne, enlevée au Mali, que pour la proposition d’achat de l’immeuble de Londres que je lui ai présentée au nom d’un fonds américain », résume le cardinal. 

En réponse à cette lettre, le pape a retourné un nouveau courrier dont il n’est pas possible de lire la date. Il y exprime sa « position négative » sur les documents que le Sarde voulait lui faire signer. «Manifestement et étonnamment, vous m’avez mal compris», écrit le pontife, ajoutant au passage qu’il ne peut pas déclarer la lettre du 21 juillet «nulle». «J’espère que vous pourrez comprendre et accepter l’esprit de vérité qui guide ma décision», conclut le pape François. (cath.ch/imedia/ic/mp)

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