Le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio sj devenait pape sous le nom de François. Premier pape jésuite de l’histoire, son élection avait pris de cours nombre de familiers de la Compagnie de Jésus. Les Constitutions rédigées par saint Ignace de Loyola, son fondateur, ne contre-indiquent-elles pas formellement toute «prélature ou dignité en dehors de la Compagnie»? La réponse est plus nuancée.
Pour intégrer définitivement la Compagnie de Jésus, les jésuites doivent prononcer trois ou quatre vœux, qu’ils devront respecter toute leur vie. Les trois premiers, chasteté, pauvreté et obéissance, sont plutôt «classiques». «Certains d’entre nous, désignés par l’Ordre, sont appelés à prononcer un quatrième vœu spécifique: l’obéissance au Souverain Pontife face à toute mission dont il les chargerait», explique le jésuite suisse Bruno Fuglistaller. Ce sont les profès.
Or, paradoxalement, l’article 817 des Constitutions de la Compagnie de Jésus stipule que tous les profès «promettront à notre Dieu ou Seigneur de ne rien faire pour obtenir une prélature ou une dignité en dehors de la Compagnie, et de ne pas consentir à ce que leur personne soit choisie pour une telle charge, autant qu’il dépendra d’eux, à moins d’y être contraints par l’obéissance envers qui peut leur commander…»
Les Constitutions avancent pour ce faire des arguments à la fois moraux et utilitaires. Il s’agit, d’un côté, d’«exclure très soigneusement l’ambition, mère de tous les maux en toute association et congrégation que ce soit», et de l’autre de veiller à ce que «la Compagnie ne soit pas privée des hommes qui lui sont nécessaires pour la fin qu’elle s’est proposée».
Comment se fait-il alors que Jorge Mario Bergoglio, un jésuite profès, ait accepté d’endosser l’épiscopat, puis le cardinalat et enfin la papauté, le plus haut «grade» de l’Église? Interrogé à ce propos par les jésuites de la République démocratique du Congo lors de son récent voyage dans ce pays, il s’en est clairement expliqué, comme le rapporte Antonio Spadaro sj, directeur de la Civiltà Cattolica.
Le pape a dit croire «à la singularité jésuite» de ce quatrième vœu. Il a ajouté qu’il a fait de son mieux pour ne pas accepter l’épiscopat. «Quand ils m’ont proposé d’être évêque auxiliaire de San Miguel, je n’ai pas accepté. Puis on m’a demandé d’être évêque d’une région du nord de l’Argentine, dans la province de Corrientes (…) et j’ai refusé. J’ai refusé ces deux demandes en raison du vœu que j’avais fait. La troisième fois, le Nonce est venu avec l’autorisation signée par le Supérieur général, le Père Kolvenbach.» C’est donc par «esprit d’obéissance» que Bergoglio a accepté de devenir évêque auxiliaire à Buenos Aires, puis archevêque, puis cardinal en 2001, et enfin pape en 2013.
Ignace de Loyola, lui-même, avait dessiné des exceptions à la règle. Il avait accédé de son vivant à la demande du pape Jules III de voir des jésuites être ordonnés patriarche et évêques d’Éthiopie. Ainsi un jésuite peut-il accéder à une prélature en cas de grande urgence ou nécessité dans l’Église, à condition d’avoir l’accord de son Supérieur général.
Pour les religieux affiliés à l’Ordre des Prêcheurs ou à la Confédération des chanoines réguliers de saint Augustin, les choses sont plus simples. Rien dans les Constitutions de leurs ordres ne leur interdit d’accepter des dignités ecclésiastiques. «Plus fondamentalement, note le dominicain suisse Jean-Michel Poffet op, l’organisation chez nous est plus horizontale que chez les jésuites où la gestion du pouvoir est verticale. Toute charge chez eux fait suite à une nomination, tandis que chez nous elle résulte d’une élection.» Ainsi quand en 2011 le nonce en Suisse a proposé au pape de nommer Charles Morerod op évêque de LGF, ce dernier n’a pas eu besoin de demander son aval à Bruno Cadoré, alors Maître de l’Ordre des Prêcheurs.
Il en a été de même en 2014 pour Jean-Marie Lovey, alors abbé-prévôt de la Congrégation du Grand-St-Bernard, quand il a été nommé évêque de Sion. L’autorisation de l’abbé-primat de sa congrégation n’a pas été nécessaire. Comme l’explique Jean-Michel Girard, l’actuel abbé-prévôt du Grand-St-Bernard, «les attributions de charges dans notre congrégation reposent le plus souvent sur une décision consensuelle».
Mais qu’ils soient dominicains, chanoines ou jésuites, les évêques ou autres prélats religieux ne risquent-ils pas de se retrouver dans les rets de redoutables conflits de loyauté entre leur communauté et leur charge dans l’Église? Le droit canon prévient ces problèmes en soustrayant tous les religieux élevés à l’épiscopat à l’autorité du supérieur de leur Ordre. Comme le stipule le canon 705, «un religieux élevé à l’épiscopat reste membre de son institut, mais en vertu de son vœu d’obéissance, il n’est soumis qu’au seul Pontife Romain et n’est pas tenu aux obligations que, dans sa prudence, il estime ne pouvoir être compatibles avec sa condition».
Une fois à la retraite ou démis de leurs fonctions, rien ne les empêche de réintégrer leur congrégation. Mais cela reste un choix. Ainsi, relate l’abbé Jean-Michel Girard, «lorsque Mgr Nestor Adam, chanoine du Grand-Saint-Bernard et évêque de Sion de 1952 à 1977, a pris sa retraite à l’âge de 74 ans, il a préféré ne pas réintégrer la communauté. Il est devenu curé de la petite paroisse de montagne de Bourg-Saint-Pierre.» (cath.ch/lb)
Lucienne Bittar
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