2013-2023: Comment François a lutté contre les abus dans l’Église

Depuis son élection en 2013, et comme l’a fait son prédécesseur Benoît XVI, le pape François a souhaité mener une «bataille totale» contre les abus sexuels dans l’Église sur les personnes mineures et vulnérables. Prônant une politique de «tolérance zéro», il a mis en place dès 2014 une commission chargée de lui proposer «les initiatives les plus opportunes» afin que ces crimes «ne se répètent plus». Mais durant ses 10 ans de pontificat, un certain nombre de dysfonctionnements dans la manière de gérer les abus à Rome et dans le monde, ont fait surface. 

Pour le prêtre missionnaire d’Afrique Stéphane Joulain, consultant sur la prévention des abus auprès de congrégations religieuses, le bilan de l’action du pape est «positif». François a fait progresser l’Église notamment dans «l’attention aux victimes» et «la réforme du droit de l’Église», souligne l’expert contacté par I.MEDIA.

Le cléricalisme, à la source des abus

En août 2018, alors que des révélations se multiplient, le pontife publie une Lettre au peuple de Dieu dans laquelle il désigne le cléricalisme comme étant une cause majeure des abus et appelle les catholiques au jeûne et à la prière. Cette lettre est suivie par la convocation, en février 2019, d’un sommet exceptionnel sur les abus à Rome, avec tous les présidents des conférences épiscopales du monde. 

En mai 2019, le motu proprio Vos estis lux mundi est une étape importante dans cette lutte, obligeant par exemple tous les clercs et religieux à dénoncer les abus dont ils auraient connaissance. La nouvelle législation contraint chaque diocèse du monde à mettre en place des «dispositifs stables et facilement accessibles» afin de permettre le signalement d’abus sexuels sur mineurs. Il met aussi sur pied une procédure pour enquêter sur des évêques ou supérieurs soupçonnés de crimes ou de couverture de crimes. 

Abolition du secret pontifical

François ne s’arrête pas là. En décembre 2019, il abolit le secret pontifical couvrant les procédures en matière de pédo-criminalité. Et en mai 2021, il opère une révision majeure d’un chapitre du code de droit canon portant sur les sanctions graves. Les crimes sur des mineurs y sont enfin inscrits. Par ailleurs, la parution en 2020 d’un rapport inédit sur l’ex-cardinal McCarrick – coupable de nombreux abus sexuels – manifeste la volonté du pontife de faire toute la vérité sur les failles du Saint-Siège qui durant des années n’a rien fait pour freiner l’ascension du prélat américain.

Mgr Charles Scicluna (g.) et Jordi Bertomeu ont déjà enquêté sur les abus sexuels au Chili | © AP /Esteban Felix/Keystone

Le pontife «a eu des prises de conscience, assumé des responsabilités, pris des décisions», constate encore le père Joulain, lui-même accompagnateur de victimes et d’auteurs d’abus sexuels. Il n’est pas resté «passif par rapport à ce qu’il a découvert». En 2018, le pape a saisi à bras-le-corps les dissimulations d’abus généralisées dans l’Église au Chili, après avoir reconnu ses propres aveuglements dans cette affaire. «J’ai commis de graves erreurs», s’accuse-t-il alors qu’il avait défendu un évêque soupçonné d’avoir couvert un prêtre pédophile – ce qu’un rapport confirmera. 

L’affaire chilienne marque un tournant important dans la gestion des abus par le pape François. La Lettre au Peuple de Dieu, le sommet sur les abus ou bien le fameux Motu prorio Vos estis lux mundi suivront d’ailleurs de quelques mois ce qui restera comme une des crises importantes du pontificat de François.

Peu de résultats concrets

Le pontificat souffre toutefois de certaines critiques, des victimes dénonçant une certaine lenteur ou tiédeur dans la prise de décision. La Commission pour la protection des mineurs, analyse le Père Joulain, est restée pendant longtemps «une vitrine» avec peu de résultats concrets, hormis «quelques guides» et une journée de prière pour les victimes. 

«Pour que cette commission soit crédible, il faut plus de propositions concrètes», estime l’expert. De même, le rapport annuel sur l’état de la lutte contre les abus commandé par le pape à la commission est «important» mais difficile à réaliser dans les faits. «La remontée d’information prend du temps», explique celui qui a participé à un audit sur ces questions-là dans sa congrégation. 

Le Père Blanc salue cependant de récentes initiatives de la commission vaticane, entre autres de nouvelles nominations d’experts régionaux pour épauler les conférences épiscopales. Le Vatican a fait des efforts sur la communication, reconnaît-il aussi, malgré «une culture du secret sur les affaires, pour respecter tout le monde et ne blesser personne.»

Des pistes d’amélioration

Selon le Père Joulain, il reste encore des pistes d’amélioration, notamment dans le domaine du Droit canonique. «Les abus sont classés aujourd’hui comme des crimes contre le 6e commandement («Tu ne commettras pas l’adultère»). Mais un adulte qui viole un enfant n’est pas une question d’adultère. Ce serait plutôt de l’ordre de ›tu ne tueras pas ton prochain’», analyse-t-il. Il souhaite également davantage de transparence dans la Justice. La question de la «responsabilité» des évêques mérite de «passer des textes aux procédures et aux actions concrètes.»

Jean-Marc Sauvé, qui a dirigé la CIASE, ne devrait pas rencontrer le pape prochainement | © MEDEF/Flickr/CC BY 2.0

Dans l’Église, certains s’étonnent aussi du manque de moyens alloués au traitement des dossiers qui remontent à Rome. En 2020 par exemple, plus de 1.000 nouveaux cas étaient parvenus sur les bureaux de la section disciplinaire du dicastère pour la Doctrine de la foi. Or, cette section compte moins d’une vingtaine d’employés. 

La question française 

Au sujet des affaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années, le Père Joulain juge que le pape François est «très mal conseillé» sur le dossier français. En 2021, le pontife a dit sa honte devant les résultats du rapport de la Ciase sur les abus sexuels commis dans l’Église en France. Mais alors qu’il devait rencontrer les membres de la commission Sauvé, le rendez-vous a été finalement ajourné sine die

Certains verront dans cette annulation un camouflet pour la Ciase dont les conclusions seraient allées trop loin pour Rome. Mais certains conseillers du pape dans cette affaire ont créé «une cabale sans aucun fondement scientifique», en refusant «d’accepter le réel», tance le missionnaire d’Afrique, assurant que la Ciase a fait «un excellent travail». Dans les mois suivants, l’affaire Santier et l’affaire Ricard ont révélé à nouveau des dysfonctionnements dans le traitement des abus, notamment au niveau de la transparence des sanctions. Sur cette question sensible, le pape François n’a pas encore apporté de réponse concrète.  

Le Père Hans Zollner est l’un des organisateurs du sommet sur la protection des mineurs | © wikimedia/Rebecski/CC BY-SA 4.0

Le Père jésuite Hans Zollner, président du Centre pour la protection de l’enfance de l’Université pontificale grégorienne et membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, a récemment dénoncé des failles dans l’application de Vos estis lux mundi. Ainsi les voies de recours pour les victimes fonctionnent mal. En outre, la définition de «personne vulnérable» susceptible d’être victime d’abus est «trop large», selon lui. 

Pour le Père Zollner, l’Église doit faire du soutien aux survivants une priorité absolue. «Aujourd’hui, c’est notre mission d’écouter les survivants et cela signifie investir de l’espace, du personnel, de la formation», martèle celui qui vient d’être nommé consultant au bureau du diocèse de Rome chargé de cette lutte. Le pape François, tout comme son prédécesseur, a d’ailleurs rencontré à plusieurs reprises des victimes, en Irlande, aux États-Unis, et à Rome. (cath.ch/imedia/ak/bh) 

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