La direction spirituelle mise en cause dans une BD

Le 12 février dernier, je capte sur Espace 2 l’émission Babel qui retransmet un entretien avec le sociologue français Olivier Bobineau consacré à L’Incroyable histoire de l’Eglise. Il s’agit d’une BD de 580 pages, parue en 2022 aux éditions Les Arènes. Olivier Bobineau en est le scénariste et Pascal Magnat le dessinateur. Je précise – et cette précision n’est pas gratuite – que l’émission Babel est une production de RTS religion dont la finalité est «le décryptage religieux ou spirituel».

Sans être un fanatique de la BD, je m’y suis toujours intéressé comme à un genre littéraire particulier qui porte un double regard sur la société et son histoire: celui du scénariste et celui du dessinateur, son complice. L’un et l’autre peuvent être d’authentiques artistes. La plume jointe au crayon les autorise à révéler ou à suggérer sous un air léger des vérités que d’autres médias hésitent à aborder.

Parmi les multiples sujets traités par la BD francophone, personne ne s’étonnera que la religion attire mon attention. Non pas les hagiographies pieuses de mon enfance, mais les productions sérieuses de l’âge «adulte» qui ont l’art d’allier la connaissance au plaisir de la découvrir. Je cite en exemple des publications récentes comme Histoire de Jérusalem, de Vincent Lemire et Christophe Gauthier, la série Un pape dans l’histoire, aux éditions Glénat et même, au risque de faire sursauter quelques lecteurs de ce blog, La Bible selon le chat du fameux Geluck.

Je ne déteste ni ne crains la caricature en matière religieuse. Je l’apprécie même. Mais je ne la supporte pas quand elle devient haineuse. C’est ce travers que je reproche à la BD de Bobineau, même si le scénariste prétend être fidèle à la vérité historique, certifiée dans une série de notes annexées au volume. 

Un a priori commande et traverse de part en part sa BD: l’institution de la papauté trahit depuis ses origines la personne et l’enseignement du Christ. Et Bobineau, comme le dessinateur, s’en donnent à cœur joie à caricaturer en traits grotesques cette «bête immonde» plusieurs fois centenaire et plus repoussante, si c’est possible, que les créatures monstrueuses mises en scène par l’Apocalypse. De préférence, les auteurs de la BD sélectionnent et offrent en spectacle les épisodes les plus scabreux de cette longue histoire. Espèrent-ils susciter ainsi les rires gras de leurs lecteurs? Je me permets d’en douter.

«La direction ou la paternité dites ‘spirituelles’ constituent un héritage enraciné dans la tradition catholique»

Bobineau dans l’entretien retransmis par l’émission Babel dénonce l’origine de ce qu’il faut bien appeler une institution perverse. Alors que le Christ interdit à tout humain de s’attribuer le nom de «père», puisque seul «le Père qui est aux cieux» mérite de porter ce vocable, ses disciples se sont arrogés ce privilège et en ont fait l’instrument de leur domination sur ceux qui leur étaient confiés. Le cléricalisme dans ses manifestations les plus crasses illustre cette déviance originelle. Elle explique la fréquence des abus physiques ou spirituels que déplore l’Eglise d’aujourd’hui.

Laissons à Bobineau la paternité de cette hypothèse, mais reconnaissons tout de même que la direction ou la paternité dites «spirituelles» constituent un héritage enraciné dans la tradition catholique. Il en est de même de la présence de starets dans l’orthodoxie russe. Sans nier les réels bienfaits qu’on est en droit de lui reconnaître, cette tradition n’est pas à l’abri de toute dérive. Le père ou le directeur «spirituel» doit respecter la liberté de son «dirigé» et s’effacer dès qu’il a parlé. La tentation est grande pour lui d’exercer une emprise qui réduit en servitude mentale et parfois physique celui qui désire simplement être conseillé. Si ce dernier n’y prend garde, un «maître» pervers peut s’installer chez lui comme à demeure et détruire sa liberté d’agir et de penser.

«Malgré ses insuffisances et ses préjugés, la BD de Bobineau pourrait nous alerter sur de possibles et graves déviances dans notre Eglise»

Un livre récent qui évoque la personnalité de l’abbé Marc Passera, décédé subitement en 2020, prêtre bien connu dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, aborde ces réflexions. Son auteur, Valentin Roten, se reconnaît «fils spirituel» de l’abbé Passera qui a toujours respecté son autonomie spirituelle. Les circonstances, il est vrai, ont pu faciliter ce passage. L’abbé est décédé brusquement après avoir transmis à Valentin son «testament spirituel». De même, dans les récits de la «Sainte Russie», le starets disparaît sitôt après la visite du pèlerin et Aliocha Karamazov demeure seul après la mort inopinée du sien.

Ces éloignements discrets ou manifestes sont bien dans la ligne de l’Evangile. Après leur avoir confié leur mission, Jésus disparaît aux yeux des disciples qui auraient bien voulu le retenir au moment de son Ascension. Il leur appartient désormais de vivre par eux-mêmes ce qu’il leur a lui-même transmis. Même si sa mémoire demeure vive dans leurs gestes, leur cœur et leurs prières.

Alors, malgré ses insuffisances et ses préjugés, la BD de Bobineau pourrait nous alerter sur de possibles et graves déviances dans notre Eglise. Acceptons la leçon avec humilité, si possible avec humour, mais restons clairvoyants. Il n’est jamais interdit de se faire corriger par qui que se soit. A condition, bien sûr, de l’avoir mérité.

Guy Musy

8 mars 2023

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