«Regardez cet archer au corps de lion, ce lapin luttant contre un chien, ce chevalier en armure, ce roi sur son trône, ces signes du zodiaque, ces ramures dorées», explique Nicolas Ducimetière, commissaire de l’exposition. Devant les vitrines de la Fondation Bodmer, l’oeil du spectateur est d’abord attiré par la calligraphie et les nombreux décors et dessins qui illustrent ces parchemins, du petit livre ›de poche’ au monumental ouvrage fait de 500 feuillets de vélin.
«Le Moyen-Age est une période de l’image», explique Nicolas Ducimetière, commissaire de l’exposition. Décors stylisés, rehaussés d’or, scènes de bataille ou d’apparat aux couleurs rutilantes, animaux fantastiques, mais aussi tableaux, schémas, cartes, foisonnent dans ces précieux ouvrages faits pour durer. «Il n’est pas rare qu’ils aient servi pendant plusieurs siècles. Comme ce manuscrit du Xe siècle que l’humaniste florentin Pétrarque acquiert lorsqu’il s’établit à la Fontaine-de-Vaucluse, près d’Avignon vers 1330.»
L’exposition présente des ouvrages dont la production s’étale sur près d’un millénaire, de la fin de l’Empire romain à l’invention de l’imprimerie au XVe siècle. Les formats, les styles, les décors, les contenus présentent un aperçu du foisonnement du savoir et de la pensée médiévale. De quoi définitivement ranger aux oubliettes l’idée d’un Moyen-Age obscur, ignorant et barbare.
«Les ouvrages présentés concernent la production profane», précise le commissaire. Littérature, poésie, philosophie, histoire, musique, épopées, romans de cour, mais aussi droit, astronomie, géographie, mathématiques… tous les domaines de la culture médiévale sont présents, en grec et en latin, mais aussi en français ou en allemand.
«Ces ouvrages sont les véhicules d’un savoir hérité et sauvé de l’Antiquité ou les reflets d’une époque à la fois rude et raffinée, ils matérialisent une civilisation plus livresque qu’on ne le croit souvent», commente Nicolas Ducimetière.
Dans son roman Le Nom de la Rose (plus que dans le film qui en a été tiré), le médiéviste Umberto Eco avait offert une plongée parmi les livres du Moyen Age, à la rencontre des hommes qui les fabriquaient, qui les lisaient et qui les conservaient. Ces générations de scribes, d’enlumineurs, de bibliothécaires et d’érudits ont souvent laissé des traces surprenantes: plainte d’un scribe transi dans son atelier glacé, demande de la bénédiction divine en fin d’ouvrage, malédictions contre les potentiels voleurs, notes de lecture marquées d’une manicule – ces mains à l’index tendus désignant un passage important –, déchirure du parchemin raccommodée au point de croix. «Ou encore cette note d’un scribe qui indique à l’illustrateur qu’il doit représenter dans cette case un roi avec une grande barbe dans une grande salle.»
Le manuscrit médiéval profane se développe dans deux secteurs spécifiques, explique le commissaire. Celui de l’enseignement dans les écoles cathédrales et les universités où il est un support de l’apprentissage et celui des cours aristocratiques où il revêt davantage un aspect de prestige. Dans les deux cas, il reste un objet précieux auquel on apporte le plus grand soin. La production de manuscrits subsistera d’ailleurs près d’un siècle après l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle.
«Certains des manuscrits exposés proviennent du monastère d’Engelberg (OW). Cachés dans un plafond devant l’arrivée des troupes françaises en 1798, on ne les a retrouvés qu’en 1963», raconte Nicolas Ducimetière.
Deux sections sont également à remarquer. Celle consacrée à la collection électronique e-codices. «C’est un outil extraordinaire qui permet de feuilleter tous les manuscrits de Suisse. Il intéresse les amateurs d’art, mais aussi les chercheurs. Beaucoup de ces documents médiévaux n’ont encore jamais été étudiés», note Nicolas Ducimetière.
La deuxième rassemble les ingrédients et les outils des scribes et des enlumineurs: pigments minéraux, animaux ou végétaux, encrier plumes stylets… Des démonstrations pédagogiques seront également au programme.
L’exposition des manuscrits est enfin complétée par une présentation d’objets du Moyen-Age provenant des collections du Musée d’Art et d’Histoire de Genève. «Nous avons répondu avec plaisir à l’invitation de la Fondation Bodmer», explique le commissaire Alexandre Fiette. «L’idée a été d’apporter quelques-uns des objets souvent représentés dans les manuscrits: armes et armures, boucles de ceinture, croix de procession ou encore une curieuse enseigne de maison close. (cath.ch/mp)
L’exposition de la Fondation Bodmer a connu une genèse mouvementée. Conçue en 2019 en partenariat avec la Bibliothèque de l’Abbaye de Saint Gall, elle devait marquer le 15e anniversaire du projet national de numérisation de manuscrits e-codices; St-Gall présentant le patrimoine religieux et la fondation Bodmer l’héritage profane. Mais l’épidémie de covid en a décidé autrement. Quasiment à la veille de l’ouverture, il a fallu tout bloquer. La prochaine période disponible était le printemps 2023. Il est rare que le public puisse avoir accès à ce précieux patrimoine livresque, très peu, voire jamais, exposé. MP
Après son exposition à Sion, le manuscrit des six âges du monde, provenant de la collection Supersaxo a rejoint la fondation Bodmer. Déroulé sur environ 1 de ses 7,8 mètres, le rouleau permet d’admirer le récit et les illustrations de la création du monde. MP
Maurice Page
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