Diocèse de Matagalpa: suppléer à Mgr Álvarez, une question politique

Mgr Rolando Álvarez, évêque nicaraguayen de Matagalpa, a été condamné à 26 ans de prison le 10 février 2023, pour s’être opposé au gouvernement Ortega. Il se retrouve donc en incapacité à gérer son diocèse. La lenteur du Saint-Siège à décider que faire face à cette situation s’explique, pour The Pillar, par la situation politique difficile de l’Église dans le pays.

Le droit canonique est censé assurer une continuité presque automatique de la gouvernance dans les diocèses lorsque les évêques sont «entravés» dans leur ministère. Cela paraît manifestement le cas ici, même si le Vatican ne l’a pas officiellement déclaré. Pour le média américain catholique The Pillar, cela «signifie que le Saint-Siège est probablement en train de délibérer entre plusieurs options». «Chaque possibilité offre des avantages et des inconvénients, mais finalement quelqu’un devra décider quelle solution essayer, et cette personne sera probablement le pape François.»

Ce que prévoit le droit canon

Selon le droit canon (canon 412), un diocèse est légalement  «empêché» lorsque, «pour cause de captivité, de bannissement, d’exil ou d’incapacité, un évêque diocésain est manifestement empêché d’exercer sa fonction pastorale dans le diocèse, de sorte qu’il ne peut communiquer avec ceux dans son diocèse, même par lettre». Or depuis son emprisonnement, Mgr Álvarez n’a toujours pas publié de lettre et ne semble pas autorisé à communiquer librement avec le monde extérieur.

Mais le droit canonique ne précise pas combien de temps l’évêque doit rester sans communication avant que le siège ne soit déclaré «entravé». Ni qui est habilité à trancher, en dehors du Saint-Siège lui-même.

Les options qui s’offrent au Vatican

Si le diocèse de Matagalpa est déclaré siège entravé, le Vatican dispose d’un certain nombre d’options pour assurer la gouvernance du diocèse. «La première, et la plus dramatique, serait que le Vatican annonce la destitution d’Álvarez comme évêque diocésain en raison de son incarcération, puis procède à la nomination soit d’un administrateur pour le siège vacant, soit à la nomination d’un nouvel évêque pour lui succéder», analyse The Pillar. Cette option, la moins probable, pourrait être avancée par le gouvernement nicaraguayen comme un entérinement de la sanction pénale prononcée contre Mgr Álvarez.

Une telle décision mettrait également le Vatican en porte-à-faux face à sa gestion dans d’autres affaires passées d’évêques emprisonnés.

Le cas du cardinal hongrois József Mindszenty

Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le cardinal hongrois József Mindszenty a été arrêté, torturé et reconnu coupable de diverses infractions par le gouvernement communiste, lors d’un procès-spectacle. Il a ensuite été emprisonné durant plusieurs années dans son pays. Pourtant Mindszenty est resté l’archevêque d’Esztergom et officiellement le primat de l’Église en Hongrie, bien après sa libération en exil, et même après l’âge normal de la retraite épiscopale de 75 ans.

Il est donc plus probable que Rolando Álvarez reste l’évêque du diocèse et que l’Église  se contente de nommer un administrateur apostolique sede plena -un chef temporaire pour un siège empêché. Et ce jusqu’à ce qu’Álvarez obtienne le droit de reprendre ses fonctions.

Un risque pour les catholiques du pays

Mais pour The Pillar, cette mesure elle-même pourrait être jugée comme «inutile, voire contre-productive», par le Vatican. Celui-ci se verrait en effet dans l’obligation de la justifier, ce qui passerait probablement par la reconnaissance du statut de prisonnier politique d’Álvarez. Ce que le Vatican n’a pas encore fait.

«Il est largement rapporté, peut-on lire sur le site de The Pillar, que les diplomates du Vatican sont sensibles au fait que s’opposer ouvertement au régime d’Ortega pourrait conduire à davantage de répression contre les catholiques au Nicaragua. Dans cette optique, nommer un administrateur apostolique spécial et reconnaître la situation d’Álvarez pour ce qu’elle est, pourrait faire plus de mal que de bien, tant qu’il a d’autres options.»

D’autant plus que le tribunal nicaraguayen a également imposé la peine de «mort civile» à l’évêque Álvarez, le privant de tous ses droits de citoyen, y compris celui d’avoir une pièce d’identité. Même s’il était libéré demain, il serait donc toujours pratiquement empêché de reprendre la gouvernance du diocèse de Matagalpa.

Compte tenu de cette situation, une nomination administrative temporaire par le Vatican -jusqu’à ce qu’Álvarez puisse reprendre ses fonctions officielles- pourrait se transformer en problème diplomatique. (cath.ch/the pillar/lb)

Lucienne Bittar

Portail catholique suisse

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