Ukraine, synodalité... Le pape répond à la presse catholique belge

Dans la perspective du 10e anniversaire de son pontificat le 13 mars prochain, le pape François a accordé le 19 décembre 2022 un long entretien conjoint aux hebdomadaires belges Tertio (néerlandophone) et Dimanche (francophone), diffusé par le portail Cathobel en deux parties, les 28 février et 1er mars 2023.

Dans ce dialogue avec le journaliste Emmanuel Van Lierde, le pape revient sur plusieurs sujets d’actualité, notamment la guerre en Ukraine et la démarche synodale, et il précise sa vision de l’engagement social de l’Église. 

Interrogé sur la guerre en Ukraine, le pape précise que «le Vatican a pris ce conflit à cœur dès le premier jour». L’évêque de Rome a envoyé des cardinaux sur le terrain afin d’exprimer sa compassion pour le peuple ukrainien. «Je suis également en contact avec des Ukrainiens. Le président Volodymyr Zelensky a envoyé plusieurs délégations pour me parler», explique François. Le pontife ne cite pas Vladimir Poutine mais évoque la nécessité «de parler avec le peuple russe afin d’entreprendre quelque chose».

Bouleversé par les faits de torture commis par les forces russes en Ukraine, notamment à l’égard d’enfants, le pape situe également ce conflit dans le contexte d’une guerre mondiale en cours, citant à nouveau les exemples de la Birmanie, de la Syrie et du Yémen et dénonçant la puissance de l’industrie de l’armement. «Lorsqu’un pays riche commence à s’affaiblir, on dit qu’il a besoin d’une guerre pour tenir bon et redevenir plus fort. C’est à cela que les armes préparent», s’insurge le pape, inquiet d’un risque d’extension du conflit.

«On dit que la guerre civile espagnole a servi à tester des armes pour la Seconde Guerre mondiale. Je ne sais pas si c’est vrai, mais les armes sont toujours testées, n’est-ce pas? C’est l’industrie de la destruction, l’industrie de la guerre, d’un monde en guerre», s’afflige le pontife de 86 ans, toujours ému par ses visites dans des cimetières militaires. «Pour moi, c’est très douloureux, très douloureux, et je ne peux pas choisir un camp, la guerre est mauvaise en soi», insiste-t-il.

Le Synode tenté «par l’esprit malin»

Le pape François situe la démarche synodale actuelle dans la filiation du Concile Vatican II. «À la fin du Concile, Paul VI a été très choqué de constater que l’Église d’Occident avait presque perdu sa dimension synodale, alors que les Églises catholiques orientales avaient su la conserver», explique le pape. Il rappelle que son prédécesseur avait donc créé le secrétariat du Synode des évêques qui a évolué au fil des 60 dernières années.

Clarifiant un point de controverse, le pape laisse entendre que, lors des prochaines assemblées, le vote ne sera plus réservé aux seuls évêques. «Il n’était pas clair de déterminer si les femmes pouvaient voter… Lors du dernier synode sur l’Amazonie, en octobre 2019, les esprits ont mûri dans ce sens», précise-t-il.

«Les deux synodes sur la synodalité nous aideront à clarifier le sens et la méthode de prise de décision dans l’Église », précise François, tout en répétant que «considérer un synode comme un parlement est une erreur». Il s’agit avant tout d’une «assemblée de croyants», rythmée par des prises de parole mais aussi par des temps de silence et de prière, insiste-t-il. Il reconnait toutefois que cette «assemblée de foi conduite par l’Esprit Saint» est «également tentée et séduite par l’esprit malin».

Concilier engagement spirituel et engagement social

«Une Église qui ne célèbre pas l’eucharistie n’est pas une Église. Mais une Église qui se cache dans la sacristie n’est pas non plus une Église», explique par ailleurs François, en soulignant que «la fraction du pain» implique «une obligation sociale, l’obligation de prendre soin des autres». 

«L’engagement social de l’Église est une réaction, une conséquence du culte. Il ne faut donc pas confondre cet engagement avec l’action philanthropique qu’un non-croyant peut également poser», explique le pape. 

S’adressant aux médias catholiques d’un pays qui a libéralisé l’euthanasie, le pontife de 86 ans rappelle aussi la responsabilité de prendre soin du lien entre les générations. «L’aîné ne doit pas être conservé dans un entrepôt ou dans un musée, mais doit pouvoir continuer à donner à la société ce qu’il a en lui. Il y a une mission pour l’aîné », qui doit être considéré avec soin, «même s’il n’est plus en bonne santé ou s’il n’est plus pleinement conscient».

Dialogue intergénérationnel

Le pape insiste également sur la fécondité «prophétique» du dialogue entre les jeunes et les personnes âgées. «Je me souviens d’une activité où nous avons proposé à des jeunes de jouer de la guitare dans une maison de repos. ›Pfff, pfff, ça va être ennuyeux’… ›Allons-y quand même’. Et puis ils n’ont plus voulu partir, ils ont commencé à chanter et le dialogue avec les personnes âgées a commencé», raconte le pape avec amusement.

Il se dit toutefois «très triste que certaines maisons de retraite adoptent une ligne trop commerciale, avec pour conséquence la perte de la tendresse». Plus largement, il assure soutenir le développement de l’économie sociale de marché, un thème développé par son prédécesseur Jean-Paul II. François cite l’exemple d’un entrepreneur belge qui avait développé une entreprise textile en Argentine en faisant en sorte que ses employés en soient aussi des actionnaires.

Le pape exprime également son soutien à l’idée de faire du saint néerlandais Titus Brandsma (1881-1942) le co-patron des journalistes, avec saint François de Sales. «Je vais contacter le dicastère pour les Causes des Saints pour voir ce qui est possible. Ce serait en tout cas un plaisir pour moi», assure le pape François, invitant les journalistes à poursuivre leur «noble métier» de «transmettre la vérité» sans perdre leur sens critique. 

Le regard du pape sur sa propre mort

Cet entretien de trois quarts d’heure en espagnol s’était tenu au lendemain de la victoire argentine lors de la finale de la Coupe du monde de football, face à la France. Dans un article relatant le contexte de cet entretien, le journaliste explique qu’en comprenant que l’interview serait publiée plusieurs mois plus tard, le pape a «froncé les sourcils» en disant: «Et s’il m’arrive quelque chose entre-temps?» Il a toutefois affirmé qu’une publication posthume lui permettrait de dire un dernier mot «de la tombe, desde la tumba». 

Le journaliste témoigne également de la souffrance palpable du pape face aux «horreurs incessantes de la guerre en tant de lieux dans le monde». «Il considère comme une défaite personnelle de ne pouvoir empêcher de nouvelles effusions de sang et que ses appels au dialogue restent sans réponse», insiste Emmanuel Van Lierde. 

Le pape avait déjà répondu en novembre 2016 à l’hebdomadaire Tertio, là aussi par l’entremise de Mgr Luc Van Looy, évêque émérite de Gand, qui a également participé à l’entretien. L’évêque belge de 81 ans est demeuré proche du pontife argentin malgré son renoncement au cardinalat prévu lors du consistoire de l’été 2022, en raison d’accusations de couverture d’abus dans son diocèse. (cath.ch/imedia/cv/bh)

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