«Pour moi, Franz Stock est l’un des plus importants bâtisseurs de ponts entre les Allemands et les Français»: c’est ainsi que, le 24 février 1998, l’ancien chancelier Helmut Kohl décrivait l’action du prêtre allemand, à l’occasion des 50 ans de son décès. Le 1er mars 1998, le politicien déposait une gerbe sur la tombe de son compatriote enterré à la cathédrale de Chartres.
D’originer allemande, la Lausannoise Myriam Polla-Lorz, 92 ans, a bien connu l’abbé Stock. Elle se souvient avec émotion de cet homme dont «la vie intérieure profonde, l’esprit de charité et l’action pacifiante a aidé bien des exclus à porter leur croix». «Mais discrètement», ajoute-t-elle.
Si la mémoire du prêtre allemand est restée vive auprès de ceux qui l’ont rencontré, c’est que son action a revêtu divers aspects, avant, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Né à Neheim le 21 septembre 1904, Franz Stock entre au séminaire de Paderborn en 1926. La même année, il prend part près de Paris au 6e Congrès démocratique international pour la paix où se retrouvent des milliers de jeunes. Il y croise le Père Joseph Folliet qui fonde en 1927 les Compagnons de Saint François, mouvement de jeunesse axé sur la paix et l’amitié entre les peuples.
Franz Stock a ensuite la chance de suivre des études à l’Institut catholique de Paris, alors que son pays adhère progressivement aux idées nazies. Il est ordonné prêtre le 12 mars 1932 et exerce d’abord divers ministères dans des paroisses rurales. En 1934, il devient «Rektor» de la Mission allemande de Paris, à la rue Lhomond. Parmi ses paroissiens se trouvaient des membres de l’ambassade allemande, des jeunes filles au pair, des étudiants allemands. Mais aussi des «paroissiens» particuliers, les juifs allemands fugitifs qu’il aidait en toute discrétion.
Fille du chancelier de l’ambassade d’Allemagne à Paris, Myriam Polla-Lorz a connu les cours de catéchisme de l’abbé Stock. «Il nous exposait l’enseignement de l’Eglise mais sans la rigidité des questions-réponses à savoir par cœur, se souvient-elle. Il cherchait plutôt à ouvrir nos âmes d’enfant à la prière et à la piété mariale».
En 1939, l’abbé Stock doit quitter Paris à cause de la guerre. Mais il y revient l’année suivante. Mais tout a changé. «Nous étions alors devenus adolescents et nous sentions que la situation générale était tout autre, plus grave», se rappelle Myriam Polla. «Nous ne savions que vaguement que le Rektor Stock était aussi aumônier de prison. Et c’est là que cet homme exceptionnel a donné la pleine mesure de son esprit de charité. Il était tout à tous».
Les détenus français, résistants arrêtés pour la plupart, réclament un aumônier. Pas question pour la Gestapo d’y introduire un Français. C’est donc Franz Stock qui put y pénétrer. Il est aussitôt saisi par les conditions de détention épouvantables. Bravant les interdits, proche des prisonniers, il passe les messages, les lettres, la nourriture. Donné à tous, sans sentiment de haine, il accompagne également les condamnés à mort de la prison de Fresnes au poteau d’exécution. Jusqu’au bout, il les soutient: beaucoup, même athées ou communistes l’embrassaient avec de tomber sous les balles. Puis il escortait, seul, la dépouille jusqu’au cimetière.
«Pas étonnant qu’il arrivait las et triste aux leçons de catéchisme, indique Myriam Polla-Lorz. Avec des nuits sans sommeil et le souvenir de tous ces suppliciés enfouis dans son cœur!».
A la Libération de Paris, l’abbé Stock reste sur place, apportant son aide aux soldats allemands blessés. Mais il est capturé par les Américains qui l’envoient en captivité en Normandie. Là, il retrouve de nombreux séminaristes allemands, qui avaient été mobilisés après leur entrée au séminaire. On confie donc à l’abbé, qui avait la confiance des autorités françaises, une caserne éventrée qui accueille bientôt les séminaristes, à Orléans.
Franz Stock organise les cours. Ce «Séminaire des barbelés» est bientôt transféré à Chartres où il accueille un jour le nonce apostolique de Paris: c’est l’abbé Roncalli, le futur Jean XXIII, qui en est bouleversé. Se dévouant corps et âme à ses futurs prêtres, Franz Stock s’épuise. A la dissolution du camp en 1947, près de 1000 prisonniers avaient passé par Chartres.
Retournant à Paris, l’abbé Stock décède le 24 février 1948 à l’Hôpital Cochin. Dans le contexte de l’après-guerre, sa dépouille est traitée sans égard. Sa famille n’obtient pas de visa pour les funérailles, célébrées par le nonce et quelques rares amis. Il est enterré à Thiais, au sud de la capitale. Cependant les témoignages de reconnaissance commencent à affluer et en 1949, d’anciens résistants organisent une messe à St-Louis-des-Invalides à Paris.
La mémoire de Franz Stock n’a cessé de se perpétrer. En 1961, son corps est enterré à l’église Saint-Jean Baptiste de Rechèvres, près de Chartres. Beaucoup d’anciens détenus et leurs proches assistent à la messe de transfert de la dépouille. Une veuve témoigne de la «nuit qu’elle a passée, avec l’abbé Stock, auprès de mon mari et de mon fils, avant de les accompagner à l’aube jusqu’au poteau du Mont-Valérien», lieu d’exécution des condamnés.
Bien des ouvrages ont depuis retracé l’épopée pacifique de celui qui fut qualifié d’«apôtre de la réconciliation franco-allemande» et de «médiateur entre deux peuples ennemis».
«Par sa seule présence à la prison de Fresnes, il affirma la grandeur de la nature humaine dans un moment où par la sottise et la brutalité, des millions d’hommes paraissaient se ravaler au rang de la bête», écrit René Closset dans son livre L’aumônier de l’enfer, Franz Stock (Salvator, 1965). Le pape Jean XXIII contribua également à faire connaître la vie et l’action de ce saint prêtre dont le procès en béatification a été ouvert en 2014. (cath.ch/bl)
Bernard Litzler
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/franz-stock-apotre-de-la-reconciliation-decedait-il-y-a-75-ans/