«Souviens-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière», affirme le prêtre en imposant les cendres aux fidèles le Mercredi des Cendres, qui marque l’entrée en Carême. Ce geste apparemment dévalorisant prépare pourtant le croyant à une nouvelle naissance: celle que l’on exprime lors de la Veillée de Pâques, affirme le chanoine Jean-Claude Crivelli (*), ancien directeur du Centre Romand de Pastorale Liturgique (CRPL).
Après les excès de Carnaval, la pénitence du Mercredi des Cendres…
J.-C. Crivelli: Le lien avec Carnaval est possible, mais pas essentiel. Au Moyen Age, les temps de pénitence étaient rudes et strictement contrôlés, ce qui pouvait engendrer les défoulements de Carnaval.
«L’imposition des cendres est à la fois signe de pénitence et de deuil»
Les premières communautés chrétiennes observaient un jeûne absolu vendredi et samedi avant la Vigile pascale. Assez rapidement on en vint à jeûner, moins rigoureusement toutefois, toute la semaine avant Pâques. «Depuis le lundi durant les jours de la Pâque, vous jeûnerez, et vous ne mangerez que du pain, du sel et de l’eau, à la neuvième heure jusqu’au jeudi», indiquait la Didascalie des Apôtres au IIIe siècle. Carême est en quelque sorte l’extension d’un tel jeûne. Notons qu’en dehors du Temps pascal, les chrétiens jeûnaient tous les mercredis et vendredis.
Et pourquoi l’imposition des cendres sur la tête?
C’est un geste qui a des origines bibliques très anciennes. C’était un signe de pénitence que l’on retrouve dans l’Ancien testament, notamment dans Josué 7,6, dans 2 Samuel 13, 19 et dans Ezéchiel 27,30.
Il est à la fois signe de pénitence et de deuil. Lors du Mercredi des Cendres, ce geste est accompli dans la perspective de la mort: c’est la poussière de la mort que l’on retrouve dans l’injonction: «Souviens-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière». Tout comme Carême prépare à la résurrection du Christ, le geste des cendres prépare à une nouvelle naissance: celle que l’on exprime lors de la Veillée de Pâques.
Depuis quand fête-t-on l’entrée en Carême?
Le Carême, avec son jeûne, semble se mettre en place au IVe siècle, du moins à Rome. A la fin de l’Antiquité, il est rythmé par l’ultime étape de préparation des catéchumènes au baptême. Par contre le Mercredi des Cendres apparaîtra plus tard, quand le jeûne quadragésimal durera effectivement 40 jours, commençant alors le mercredi qui deviendra «Mercredi des cendres».
«Le partage, la prière et le jeûne sont en interaction. Ces trois notions sont constitutives du Mercredi des Cendres»
Il s’agit d’un rite qui – quoique pratiqué à titre privé par certains chrétiens de l’Antiquité – arrivera en Italie, en provenance de Rhénanie, au XIIe siècle, puis dans la liturgie papale au XIIIe siècle. «Carême» vient de «Quadragesima» qui signifie «Quarante», et fait référence aux 40 jours de préparation à Pâques. Si l’on tient compte du fait que les dimanches, jours de célébration de la résurrection de Jésus, ne sont pas compris dans Carême et que cette période s’arrête le matin du Jeudi-saint, elle comprend effectivement 40 jours.
Et pourquoi 40 jours?
Cela provient de la symbolique du chiffre 40, notamment dans la Bible. Ainsi le peuple hébreu a séjourné 40 ans dans le désert avant d’atteindre la Terre promise et, avant d’accomplir sa mission, Jésus est resté 40 jours dans le désert. C’est un temps d’épreuve. Et pourquoi 40? Il semble que cela corresponde à la durée d’une vie moyenne à cette époque.
Comment vivez-vous personnellement le Mercredi des Cendres?
J’ai été aumônier durant 15 ans au Centre La Pelouse à Bex, animé par les Soeurs de Saint Maurice. A cette période, nous vivions plusieurs célébrations des Cendres, pas forcément liées à la messe. Le mercredi matin, nous brûlions les rameaux de l’année précédente pour en faire des cendres, qui étaient ensuite déposées sur la tête des fidèles en signe de pénitence.
«C’est également une période tout indiquée pour ranimer la lecture de la Parole de Dieu»
C’est un jour de pénitence et d’abstinence. Nous nous alimentons de façon légère pour laisser davantage de place à la prière. Dans le texte de l’évangile de Mathieu 6, 1 – 18 (recommandations du Christ sur l’aumône), le partage, la prière et le jeûne sont en interaction. Ces trois notions sont constitutives du Mercredi des Cendres: je jeûne pour donner davantage de place à la prière et au partage. Dans les paroisses également, les soupes de Carême sont des repas simples, frugaux. Je suis ensuite invité à donner le prix d’un vrai repas en signe de partage.
Le temps de Carême est indiqué pour une réflexion et une interpellation sur des thèmes comme la justice et la création, comme le propose l’Action de Carême. Un temps où le politique et le religieux se mêlent?
Pour ma part, je suis réticent à assimiler la période de Carême à l’Action de Carême. C’est d’abord un temps de jeûne et de prière à vivre en communauté. C’est de cette attitude que se développe ensuite une réflexion sur la justice et la solidarité, chez nous et dans le monde. Mais en soi, la dimension politique n’est pas extérieure à celle de la foi. Elle est déjà présente dans la Bible. Les fautes des gouvernants – de ceux qui, à la suite de mauvaises alliances, ont provoqué la ruine de Jérusalem et l’exil – sont aussi les fautes du peuple et constituent des péchés.
Carême est aussi un temps liturgique particulier, que faut-il faire ou ne pas faire au niveau des célébrations?
Je recommande surtout une certaine sobriété dans la liturgie. C’est également une période tout indiquée pour ranimer la lecture de la Parole de Dieu, pour prendre davantage de temps pour lire la Bible, seul ou en groupe. Le jeûne nous libère le corps et l’esprit pour écouter la Parole et la partager. Dans ce sens, Carême et un temps idéal pour revitaliser la communauté paroissiale et pour donner une dimension œcuménique à la lecture de la Parole de Dieu. (cath.ch/bb/rz)
(Cet interview a été réalisé en 2015)
(*) Jean-Claude Crivelli est chanoine de Saint-Maurice, docteur en théologie et maître en liturgie, collaborateur scientifique à la Commission épiscopale de liturgie pour les pays francophones, et collaborateur au Centre Romand de Pastorale Liturgique (CRPL).
Rédaction
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