«Criminaliser les personnes de tendance homosexuelle est une injustice», a déclaré le pape François, le 5 février, dans l’avion qui le ramenait du Soudan du Sud et de République démocratique du Congo (RDC). Le Saint-Père y avait effectué une visite apostolique de six jours.
François avait fait la même affirmation dans un récent entretien accordé à l’agence de presse américaine AP. «Condamner ainsi une personne, c’est un péché», a-t-il même jugé, soulignant que le Catéchisme de l’Église catholique invitait à ce que les homosexuels ne soient pas marginalisés ni discriminés. Le pontife a cependant fait une distinction entre les «personnes» homosexuelles, qui sont des «enfants de Dieu», et les lobbys.
Des déclarations que l’on peut qualifier «d’historiques», puisque François est le premier pape à demander une telle dépénalisation des relations entre personnes de même sexe, rappelle le journaliste Felix Neumann dans le média allemand katholisch.de. Le Saint-Père s’est montré conscient qu’un certain nombre d’évêques n’étaient pas sur la même longueur d’ondes. «Ces évêques doivent passer par un processus de conversion», a-t-il souligné.
La concomitance de son voyage en Afrique et de son engagement contre la criminalisation de l’homosexualité n’est sans doute pas un hasard. Car, comme le note Felix Neumann, les évêques qui, ont besoin «de se convertir» sont nombreux, surtout en Afrique. Selon une dernière étude, les actes homosexuels sont punis par la loi dans 69 États membres de l’ONU. Parmi eux, 32 se trouvent sur le continent africain. Une situation légale qui rencontre en général le soutien de l’Église locale.
En 2014, les évêques nigérians ont notamment remercié le gouvernement pour avoir réformé la loi afin de criminaliser les relations homosexuelles. En 2016, la Conférence épiscopale camerounaise a appelé à une politique de «tolérance zéro» à l’égard de l’homosexualité, un «acte abominable contre la nature, qui risque de s’enraciner dans la société».
«Avant les déclarations de François, l’Église a dû parcourir un long chemin»
En 2019, le cardinal kényan John Njue s’est félicité que la Cour suprême du Kenya ait accepté les longues peines de prison pour les homosexuels. En Ouganda, où le pape s’est rendu en 2015, la répression – particulièrement sévère – de l’homosexualité se fait également avec le plein soutien de l’Église catholique. Lors de son voyage, les milieux homosexuels ougandais, avaient déjà espéré une condamnation par le pape des lois «anti-gays», estimant que de telles paroles amélioreraient les conditions des LGBTQ dans le pays. Elles n’étaient cependant pas arrivées.
Encore aujourd’hui, le pape évite une attitude frontale. C’est ainsi qu’il a attendu d’être dans l’avion du retour avant de faire une telle déclaration. En RDC, l’homosexualité est légale. Mais au Soudan du Sud, les actes homosexuels sont passibles de 10 ans de prison. Dans ce pays, les propos tenus à l’AP avaient déjà suscité des protestations. «S’il vient nous dire que le mariage homosexuel et l’homosexualité sont autorisés, nous répondrons par la négative», a déclaré le ministre sud-soudanais de l’Information Michael Makuei Lueth. La Constitution du pays est claire et, aux yeux du politicien, «Dieu n’a pas fait d’erreur en créant l’être humain en tant qu’homme et femme».
Mais même si la réalité africaine semble encore très réfractaire face à l’homosexualité, une évolution semble se faire dans d’autres pays du Sud, note Felix Neumann. Le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Bombay, avait signifié déjà en 2013 que l’Église n’avait jamais été opposée à la dépénalisation de l’homosexualité, car elle n’a jamais considéré les homosexuels comme des criminels. Il s’est publiquement opposé à une décision de la Cour suprême de rétablir une loi contre l’homosexualité. Au Belize, l’Église catholique a retiré en 2018 des recours contre une décision de justice annulant la criminalisation. A Singapour, l’archevêque William Goh a soutenu le principe d’une dépénalisation, tout en mettant en garde contre le danger d’ouvrir la voie à des droits plus étendus pour les personnes LGBTQ.
Mais avant les déclarations de François, l’Église a dû parcourir un long chemin, note katholisch.de. En 1986, le cardinal Joseph Ratzinger, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), avertissait contre la menace sérieuse de la «pratique de l’homosexualité" pour «la vie et le bien-être d’un grand nombre de personnes». Le pontife décédé le 31 décembre 2022 estimait toutefois «regrettable et condamnable que les personnes homosexuelles aient été et soient encore l’objet de diffamation et d’actions violentes».
«Il est possible que la position désormais claire du pape François soit un effet du processus de dialogue»
Felix Neumann
En 1992, la CDF réaffirmait la position de 1986 selon laquelle il peut y avoir de justes discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. «Ainsi, il est accepté que l’État, par exemple dans le cas de personnes atteintes de maladies contagieuses ou de maladies mentales, puisse restreindre l’exercice de droits afin de protéger le bien commun», peut-on lire dans la lettre contenant des «remarques concernant les propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles».
Il a fallu attendre 2008 pour une prise de distance explicite. La délégation du Saint-Siège à l’Assemblée générale des Nations Unies estimait alors: «Le Saint-Siège continue à s’engager pour éviter tout signe de discrimination injuste à l’égard des homosexuels et invite les États à abolir les sanctions pénales à leur encontre».
Dès le début, le pontificat de François a été associé à des espoirs d’amélioration pour l’attitude de l’Église envers les personnes homosexuelles. Une évolution pourtant pas évidente, alors qu’en tant qu’archevêque de Buenos Aires, il avait encore qualifié en 2010 l’ouverture du mariage aux partenaires de même sexe de «manœuvre du diable». En 2020, il plaidait néanmoins pour la reconnaissance des partenariats civils entre personnes de même sexe.
En 2019, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin avait reçu une délégation de la fédération mondiale d’associations LGBTQ dénommée ILGA. Le thème de la dépénalisation de l’homosexualité était à l’ordre du jour.
Pour Felix Neumann, «il est possible que la position désormais claire du pape François soit également un effet de ce processus de dialogue». L’ILGA s’est ainsi montrée satisfaite des dernières déclarations du pape. «Nous apprécions ces paroles au plus haut point, a signifié l’association dans un communiqué de presse. La simple déclaration du pape a le potentiel d’initier un changement dont le besoin est urgent, qui peut aider des millions de personnes de la communauté». L’ILGA appelle toutefois le Vatican à «ne pas se reposer sur ses lauriers. Les bonnes paroles ne suffiront pas à aider les personnes dont la vie et l’existence sont toujours menacées». Et de demander à l’Église de traduire ces paroles en «actes concrets», entre autres des plaidoyers à l’ONU.
Malgré tous les rapprochements et les signaux bienveillants, le pape François reste cependant fidèle à l’enseignement fondamental de l’Eglise, rappelle katholisch.de. «Le pape ébranle au mieux la constatation du Catéchisme selon laquelle les penchants homosexuels sont ›objectivement désordonnés’ en affichant une plus grande empathie envers les personnes homosexuelles».
«L’évêque de Rome ne peut se soustraire à son rôle d’instrument de communion de l’Église»
Ed Condon
Les inégalités de traitement restent donc autorisées sous François, tant qu’il ne s’agit pas de rejets injustifiés, comme le dit le Catéchisme. Le pape place en fait les actes homosexuels illicites sur un pied d’égalité avec les actes hétérosexuels illicites: «C’est un péché, comme tout acte sexuel en dehors du mariage», a-t-il relevé en parallèle de ses appels à la dépénalisation de l’homosexualité.
Le Saint-Père prend donc garde, dans ce dossier, de ménager les diverses sensibilités. Certains observateurs font la comparaison de ces évolutions avec celles réalisées sur l’homosexualité dans l’Eglise d’Angleterre, dont le primat, Justin Welby, accompagnait le pape au Soudan du Sud.
Récemment, l’Église anglicane en Ouganda a mis fin à sa communion ecclésiale avec Canterbury, après que l’Église d’Angleterre a autorisé la bénédiction des couples de même sexe. Suite à cela, Justin Welby a déclaré être prêt à retirer l’Église d’Angleterre de son rôle «d’instrument de communion» pour la fédération mondiale des communautés anglicanes. Des évolutions qui font craindre une implosion de la communion anglicane.
Pour Ed Condon, journaliste du média américain The Pillar, le prochain Synode des évêques sur la synodalité, qui débutera en automne 2023, pourrait forcer le pape François à se positionner plus clairement sur les questions de morale sexuelle. «Quoi que François choisisse de faire ou de ne pas faire, si, à l’issue du synode, il est contraint de se retrouver dans la même situation que Justin Welby, deux choses sont sûres, relève Ed Condon: il s’agira d’une situation créée par le pape lui-même et, contrairement à l’archevêque de Canterbury, l’évêque de Rome ne peut pas se soustraire à son rôle d’instrument de communion de l’Église». (cath.ch/katholisch/thepillar/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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