Cardinal Lacroix : «Où a-t-on besoin de laïcs? Partout»

Le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec, participe à une rencontre sur la coresponsabilité des laïcs et religieux organisée par le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie au Vatican du 16 au 18 février 2023. Il a expliqué à I.MEDIA pourquoi les laïcs sont «beaucoup plus» que des «collaborateurs» des prêtres et combien ils sont nécessaires à la mission de l’Église.

Vous faites partie des participants de ce congrès sur le partage des responsabilités entre prêtres et laïcs. Dans son discours introductif, le cardinal Kevin Farrell a critiqué «l’attitude de supériorité« des clercs empêchant les laïcs de trouver leur place en son sein. Est-ce un constat que vous partagez?
Le Saint-Chrême [l’onction d’huile, Ndlr] que nous recevons au baptême est le même qui est utilisé pour ordonner des prêtres et des évêques, et pour confirmer. Il n’y a pas de supériorité ici: nous sommes tous oints, et ce sont le baptême et la confirmation spécialement qui font de nous ce que nous sommes. La question de la supériorité ne devrait pas exister. Nous avons divers rôles, diverses responsabilités, comme dans une famille. Mais nous sommes tous égaux devant Dieu. Apprendre à travailler ensemble est essentiel.
Cela fait 60 ans que le Concile Vatican II est passé et que nous avons réfléchi à ces questions. C’était révolutionnaire ! Le Père Luis Navarro [recteur de l’Université Pontificale de la Sainte-Croix, Ndlr] a souligné dans son intervention ce matin, combien le Concile avait permis de remettre les pendules à l’heure, et de rappeler cette communion, parce que nous sommes tous des baptisés.
Oui, il y a encore trop de cléricalisme, de sentiment de supériorité… On pense trop souvent que les laïcs rentrent dans une case de personnes et les ministères ordonnés dans une autre case. Mais on est tous ensemble ! Le pape François, lorsqu’il parle du rôle des évêques, des pasteurs, explique qu’ils sont parfois en avant pour guider le peuple, parfois au milieu pour être avec lui, et parfois derrière pour que personne ne soit laissé pour compte.

Le pape demande au pasteur de se démultiplier. Cet appel n’est-il pas difficile à mettre en pratique?
Ce que demande le pape, c’est d’être avec les gens. Je vois chez moi de très belles expériences depuis le Concile, où l’on porte ensemble la mission de l’Église. Les laïcs ne sont pas les collaborateurs des prêtres, ils ne sont pas à leur service. C’est beaucoup plus que cela. Nous portons ensemble la mission, nous la réfléchissons, la discernons et la vivons ensemble. Selon nos responsabilités, c’est sûr. Mais sur cela, nous avons fait beaucoup de chemin.
Le cardinal Farrell le disait ce matin: l’Église est très grande, se déploie sur cinq continents avec des cultures tellement diverses. On n’est pas à la même page. Il y a des sensibilités sociales et culturelles différentes et il faut respecter cela. Il faut arriver à laisser l’Évangile nous convertir à la façon de voir de Jésus, à sa manière d’être avec ses disciples et avec les gens.

Cette «marche-ensemble« est le leitmotiv de la grande expérience en cours du synode sur l’avenir de l’Église. Cette rencontre s’inscrit-elle selon vous dans ce processus synodal?
Je salue grandement l’audace de vivre ce colloque alors que nous sommes en plein processus synodal. Il avait été programmé bien avant le synode, et il s’inscrit pourtant parfaitement dans cette démarche. Cela faisait longtemps que nous pensions à cela, mais la pandémie ne nous a pas permis de le faire avant. Nous avions senti l’importance de ce thème de la coresponsabilité: les laïcs ont beaucoup à apprendre des ministres ordonnés, et nous, ministres ordonnés, avons beaucoup à apprendre des laïcs. C’est ensemble, en marchant ensemble, qu’on va y arriver.

Où l’Église a-t-elle besoin de laïcs aujourd’hui?
Nous avons besoin que les laïcs s’investissent dans la mission. Parfois cette mission est à l’intérieur de nos murs. On a besoin de catéchistes, d’évangélisateurs, des gens qui vont soutenir et organiser la communauté avec les ministres ordonnés. Nous avons besoin de baptisés laïcs, engagés au cœur de la mission dans le monde, dans toutes les sphères de la vie humaine. Ils ne sont pas moins importants dans l’Église s’ils sont médecins, ouvriers, travailleurs, enseignants… Ils sont l’Église là où ils sont. Et leur témoignage est fondamental.
Alors où a-t-on besoin de laïcs ? Partout ! Malheureusement, beaucoup de gens pensent qu’être dans l’Église, c’est être au service, être lecteur, occuper une position quelque part dans l’Église. Oui, cela en fait partie, et c’est heureux qu’il y ait des laïcs avec nous, ministres ordonnés, pour partager notre discernement et organiser la mission.
À Québec, nous avons beaucoup d’agents et d’agentes de pastorale qui ont fait leur théologie, sont engagés et travaillent à plein temps, soit dans les paroisses, dans des ministères spécialisés comme la pastorale carcérale ou auprès des pauvres et dans les services diocésains.
Mais nous avons une foule de laïcs convaincus qu’ils sont au cœur du monde en mission, et c’est notre devoir de les soutenir. Il faut reconnaître leurs dons, encourager leur présence, et se réjouir qu’ils soient au cœur des réalités humaines, sociales, politiques, communautaires, tous engagés au nom de leur foi.

N’y a-t-il pas aussi une confusion entre la question du pouvoir et de l’autorité et celle du service?
Oui. Nous avons, comme Église – pas seulement les clercs – un défi énorme : bien former l’ensemble du peuple de Dieu, laïcs comme clercs, à cette vision de la coresponsabilité. Nous devons aussi aider chacun et chacune à découvrir leur place. Des ministres ordonnés n’ont pas encore découvert, ou ont oublié l’importance et le respect à avoir avec les frères et sœurs laïcs. Des laïcs n’ont parfois pas découvert non plus leur place… Ou bien il arrive que des clercs ne leur laissent pas de place.

Il y a aussi du cléricalisme laïc…
Oui, cela existe, et cela a été mentionné ce matin. Il y a un cléricalisme laïc dans certains milieux qui est parfois pire que le nôtre ! Enfin, je ne dirais pas « pire », mais existant, c’est certain. Il y a un énorme défi devant nous, et je pense que ce colloque va nous aider à l’affronter, mais surtout le processus synodal qui va de 2021 à 2024. C’est long pour un synode. Cela veut dire qu’il y a là un nœud à dénouer, sur lequel nous sommes en train de travailler. Il y a des centaines de lieux d’accueil, d’écoute, de partage, de prière ensemble… Le synode a commencé, nous sommes dedans, et déjà nous nous parlons de choses dont nous n’avions jamais parlé ensemble.

Le manque de prêtres touche de nombreux pays de l’hémisphère nord, mais aussi d’autres régions du monde, comme l’Amazonie. Faut-il donner plus de place aux laïcs parce qu’il n’y a plus assez de vocations de prêtres?
Non. Si nous disons cela, nous faisons des laïcs des suppléants. Et les laïcs ne sont pas des suppléants dans l’Église, que ce soit clair. Ils ont une mission, un rôle à jouer dans l’Église. Qu’il y ait beaucoup de prêtres ou qu’il y en ait moins, ils ont un rôle et doivent l’exercer.
Mais cela n’empêche pas les laïcs de s’engager. Quand j’étais curé en Amérique latine, j’avais 85 villages dans ma paroisse et j’étais le seul prêtre. Mais dans tous les villages, dans toutes les communautés, il y avait des délégués de la Parole. Des laïcs, formés et accompagnés, qui rassemblaient la communauté pour la célébration dominicale de la Parole, qui accompagnaient les gens sur la durée. Avec 85 villages, je ne pouvais pas célébrer la messe partout chaque dimanche ! Je faisais le tour continuellement, pour les encourager, les soutenir, mais ce sont eux qui entretenaient la communauté.

Parmi les évolutions qui ont pu être demandées par certains au sein de l’Église, on a parlé du vote des laïcs lors des synodes. En Allemagne, les membres du chemin synodal national demandent pour leur part un conseil synodal permanent composé de laïcs et d’évêques. Que pensez-vous de ces propositions?
Je sais que ces questions-là sont en train d’être étudiées. Je ne suis pas à la page sur cette réflexion pour le moment, même si je suis membre du conseil ordinaire pour le Synode, et fais partie de l’équipe qui aide à préparer. Je vais laisser avancer la réflexion avant d’exprimer un avis là-dessus. Je trouve qu’il y a beaucoup d’évolutions et qu’on est au moment de l’écoute et du discernement. Je n’avancerai pas plus aujourd’hui, non pas parce que je ne veux pas répondre, mais parce que je veux continuer d’écouter avant de donner mon opinion.

Lors de cette rencontre sur la coresponsabilité, les journalistes ne sont pas admis. N’est-ce pas dommage et paradoxal?
Nous avons donné les grandes lignes hier lors de la conférence de presse. Je ne fais pas partie de l’organisation et n’ai pas décidé de cela. Je vais vous donner mon opinion : je pense qu’ils ont pris en compte la présence de laïcs qui ne sont pas habitués à se confronter à ces questions. Ils ne veulent pas que la présence de journalistes bloque une spontanéité et une liberté de parole, par peur d’être interrogé et cité. (cath.ch/imedia/cd/mp)

I.MEDIA

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