En novembre 2018, la secrétairerie d’État décide de récupérer la gestion du 60, Sloane Avenue, de Londres qu’elle avait confiée depuis 2014 à l’homme d’affaires italo-britannique Raffaele Mincione. Elle se retrouve à devoir payer une hypothèque jugée trop onéreuse, contractée sur l’immeuble auprès du fonds luxembourgeois Cheyne Capital. Elle demande donc à l’IOR un prêt de 150 millions d’euros pour liquider l’emprunt dans une lettre envoyée le 4 mars 2019 par le secrétaire d’État Pietro Parolin.
L’IOR, qui semble favorable à l’opération dans un premier temps, finit par refuser le prêt en juin 2019. Le 2 juillet 2019, le directeur et numéro 2 de l’institution financière, Gian Franco Mammì, décide finalement de déposer une plainte auprès de l’auditeur du Vatican, qui la transmet à la justice vaticane. C’est le début de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’.
Interrogé comme témoin le 1er décembre dernier, le numéro 2 de l’IOR avait expliqué avoir ressenti des pressions exercées par des membres de la secrétairerie d’État, mais aussi par René Brülhart, président du bureau anti-blanchiment d’argent du Vatican, l’Autorité d’information financière (AIF, aujourd’hui ASIF), et par son directeur Tommaso di Ruzza. Les deux hommes, désormais écartés de leurs responsabilités, sont aujourd’hui sur le banc des accusés.
Lors de cette nouvelle audience, le supérieur de Gian Franco Mammì, Jean-Baptiste de Franssu, a largement confirmé la version présentée par ce dernier, décrivant une série de pressions exercées sur son organisation. Il a confié n’avoir été mis au courant du signalement à la justice vaticane de Mammì que plus tard et a affirmé considérer qu’il avait bien fait.
Le président de l’IOR a souligné combien cette demande de prêt était inhabituelle pour son organisation rappelant qu’elle est appelée « banque du Vatican » à tort et ne propose plus de prêt – sinon sous la forme de « crédits lombards » – depuis son arrivée à sa tête en 2014. Il a aussi insisté sur le fait que la somme demandée, 150 millions d’euros, dépassait très largement les volumes habituellement gérés par son institution.
Le président, s’exprimant en anglais avec un interprète, a insisté sur le fait que l’IOR n’avait jamais accepté la demande de prêt en mai 2019, mais avait simplement signalé à la secrétairerie d’État l’avis positif rendu par l’AIF sur la faisabilité du prêt. « La principale préoccupation était d’éviter d’encourir une accusation de blanchiment d’argent », a-t-il expliqué. Il assuré que l’AIF l’aurait poussé à plusieurs reprises à accepter le prêt en assurant qu’il était « protégé ».
Jean-Baptiste de Franssu a affirmé ne pas avoir eu connaissance à cette époque que René Brülhart était consultant auprès de la secrétairerie d’État en même temps que président de l’AIF. Il a décrit la situation comme un conflit d’intérêts « total ».
L’IOR aurait cependant fait vérifier la demande de transaction par la suite par ses services de « compliance », comme le prévoient ses statuts. L’opération a pris plusieurs mois car la secrétairerie d’État ne transmettait pas les documents nécessaires.
Ces vérifications ont abouti au choix de refuser l’emprunt, a raconté Franssu, notamment en raison de l’apparition des noms de Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione sur une base de données anti-blanchiment d’argent, mais aussi d’autres irrégularités repérées par ses bureaux. Non signalées par l’AIF, ces dernières ont convaincu l’IOR que l’entité anti-blanchiment d’argent du Saint-Siège adoptait une « position incohérente » dans cette affaire.
Le président de l’IOR a aussi souligné combien les irrégularités financières autour de l’immeuble de Londres lui avaient paru « semblables » à celles observées dans une autre affaire financière sur laquelle il avait dû faire un rapport à son arrivée en 2014. Celle-ci concernait un investissement problématique effectué en 2012-2013 dans l’immeuble de la Bourse de Budapest.
Quelques jours plus tard, le 25 juillet 2019, le Français a été convoqué par le cardinal Parolin pour une réunion visant à trouver une solution. Lors de celle-ci, le substitut de la secrétairerie d’État Mgr Edgar Peña Parra a décrit les membres de l’IOR comme des « incompétents», a affirmé Jean-Baptiste de Franssu. Les deux chefs de l’AIF, silencieux pendant les échanges, l’ont approché à la fin de la rencontre pour l’assurer à nouveau qu’ils l’auraient « protégé ».
Le président de l’IOR a vu ces remarques comme une illustration des pressions graduelles auxquelles son organisme a été confronté dans cette affaire. Il estime avoir été personnellement mis sous pression par Tommaso Di Ruzza qui a envoyé à l’IOR des questions sur un petit investissement que le Français avait effectué dans une ancienne entreprise dans laquelle il avait travaillé, Investco.
Alessandro Nardi, ancien chef du bureau de compliance de l’IOR, a lui aussi été entendu au cours de l’audience. Il a rapporté s’être entretenu à plusieurs reprises lors de l’été 2019 avec Fabrizio Tirabassi, fonctionnaire de la secrétairerie d’État aujourd’hui sur le banc des accusés, afin d’obtenir les documents nécessaires pour faire les vérifications concernant le prêt demandé par ses supérieurs.
L’ancien fonctionnaire de l’IOR a confié s’être senti « menacé » lors d’une de ces rencontres pendant un déjeuner organisé au restaurant romain ›Lo Scarpone›. Il affirme que Tirabassi lui aurait dit qu’il y avait derrière l’opération de Londres « des gens dangereux, qui peuvent aussi commettre des meurtres ».
« Elles pouvaient savoir où j’habitais, où j’envoyais mes enfants à l’école », a encore affirmé Alessandro Nardi. Il a déclaré que Fabrizio Tirabassi n’avait pas fait mention des noms explicitement. Au cours de l’audience, Alessandro Nardi a estimé que ces personnes dangereuses pouvait être Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione. « Je déclare que je ne l’ai jamais menacé et que je n’ai jamais fait référence à d’éventuelles menaces de la part de tiers », a affirmé Fabrizio Tirabassi à la fin de l’audience.
Lors de l’audience ont également été entendus deux témoins appelés par la défense de Fabrizio Tirabassi, Giorgio Cutrona et Piergiorgio Cupidi. Ces deux retraités avaient tous les deux travaillé dans le domaine de la numismatique et de la philatélie et connaissaient bien le père décédé de l’accusé, Onofrio Tirabassi, qui avait une entreprise spécialisée dans ces domaines de collections, opérant notamment en lien avec le Gouvernorat de la Cité du Vatican.
Lors d’une perquisition au cours de l’enquête menée le 6 novembre 2020 par la Guardia di Finanzia, 200.000 euros en espèces et un million d’euros en pièces de collection ont été trouvés dans la maison de la famille Tirabassi, dans les Abruzzes. Pendant son interrogatoire, celui qui est aujourd’hui accusé a précisé que cette fortune appartenait à son père et qu’il avait tous les justificatifs prouvant que son père en était le propriétaire légitime avant sa mort.
Piergiorgio Cupidi, qui fut chef du bureau numismatique et philatélie du Vatican de 2005 à 2016, a confirmé qu’Onofrio Tirabassi était l’un des plus « importants acheteurs » dans le domaine de la numismatique et philatélie, ayant plusieurs magasins à Rome et étant un opérateur privilégié du Vatican.
Pendant l’audience, le juge Giuseppe Pignatone a aussi déclaré que l’actuel substitut de la secrétairerie d’État, Mgr Edgar Peña Parra, devrait témoigner le 16 mars prochain.
La prochaine audience a lieu ce 17 février et doit permettre d’entendre les témoins pour la défense du cardinal Angelo Becciu. Sept personnes doivent être auditionnées, dont deux évêques : Mgr Corrado Melis, actuel évêque d’Ozieri en Sardaigne et Mgr Sebastiano Sanguinetti, administrateur apostolique du même diocèse de 2012 à 2015. (cath.ch/ic/cd/mp)
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