Clémence Levant à Jérusalem, pour cath.ch
La statue du Christ flagellé gît au sol, brisée au niveau des pieds et du visage, après avoir été décrochée et abîmée par un juif radical. Jeudi 2 février, aux alentours de 8h30, un homme d’une quarantaine d’années à la longue barbe poivre et sel a vandalisé la chapelle de la Condamnation, ouverte au public dans le couvent franciscain de la Flagellation, situé à la deuxième station de la Via Dolorosa dans la vieille ville de Jérusalem.
Immobilisé par le gardien musulman du lieu saint, l’individu a été arrêté par la police avant d’être conduit dans un hôpital psychiatrique. «On ne peut pas avoir d’idoles à Jérusalem. C’est une question très sérieuse. On ne peut pas adorer des représentations de faux dieux à Jérusalem», a expliqué le quadragénaire dans un anglais au fort accent américain alors que la police le menottait. Pour de nombreux juifs, les chrétiens sont des idolâtres. Et les statues sont, de leur point de vue, le signe évident de cette idolâtrie.
C’est le cinquième acte touchant des lieux, sanctuaires ou membres de la communauté chrétienne et perpétrés par des juifs, dans les cinq premières semaines de 2023. L’année s’était ainsi ouverte sur la profanation, le 1er janvier, d’une trentaine de tombes dans un cimetière chrétien du Mont Sion par deux jeunes juifs radicaux (15 ans et 18 ans) issus du centre du pays.
Un centre communautaire maronite a également été saccagé à Ma’alot, dans le nord d’Israël, le 12 janvier. Le même jour, des graffitis «Mort aux arabes et aux non-juifs» ont été retrouvés au couvent arménien de Jérusalem, et les membres de leur communauté ont été pris au moins deux fois à partie par de jeunes juifs, le 28 janvier. Le 26, c’est un restaurant de la porte Neuve, l’entrée du quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, qui a été la cible de violences.
Ces événements surviennent alors que les Territoires palestiniens, Israël et Jérusalem connaissent un regain de violence inédit depuis la deuxième intifada, qui se solde depuis le 1er janvier, par la mort de près de 40 Palestiniens et sept Israéliens.
Toutes les Églises font bloc face à ces méfaits qui les touchent avec une intensité et une régularité jamais observées auparavant, alors même que les actes anti-chrétiens sont une réalité depuis des années. Statistiquement, l’augmentation est indubitable: neuf actes touchant des chrétiens ou la présence chrétienne ont été recensés en 2021, treize en 2022. Déjà cinq en 2023.
«Ce n’est pas une coïncidence que la légitimation de la discrimination et de la violence dans l’opinion publique et dans l’environnement politique actuel en Israël se traduisent en actes de violence contre la communauté chrétienne», a affirmé le custode de Terre Sainte, frère Francesco Patton dans un communiqué condamnant l’incident et appelant le gouvernement israélien à garantir la sécurité des différentes communautés et minorités religieuses.
Il convient cependant de nuancer l’aspect purement «anti-chrétien» de ces incidents. Un terme dont les réseaux sociaux sont prompts à s’emparer. Les derniers en date, généralement perpétrés par de jeunes juifs radicaux, ne visent pas explicitement les chrétiens, mais plutôt tout ce qui n’est pas juif.
Si les Arméniens, leurs cimetières et leur couvent sont régulièrement pris pour cible, c’est parce qu’ils sont aux portes du Mont Sion, une zone de frictions fréquentée par de nombreux étudiants des yeshivot (écoles religieuses juives) radicales qui y sont implantées.
Le restaurant de la porte Neuve, tenu par des Arméniens, se trouvait quant à lui sur le chemin d’un groupe de jeunes manifestants sionistes-religieux interdits par la police de se rendre à la Porte de Damas (l’entrée principale du quartier musulman) et qui est alors entré par le quartier chrétien. «Nous étions le seul commerce de la rue encore ouvert. C’est tombé sur nous, raconte la gérante, qui décrit des scènes d’une grande violence. Ils étaient 40 contre 5, hurlaient ‘Mort aux arabes’, ‘Retournez en Syrie’…»
Les adolescents manifestaient avec des drapeaux du parti Otzma Yehudit (Force juive en hébreu), mené par le sulfureux Itamar Ben-Gvir, nouveau ministre de la Sécurité Nationale et successeur idéologique du kahanisme, un courant ultra-nationaliste qui promeut la suprématie juive sur le pays. Ses partisans sont les mêmes que ceux qui défilent à Jérusalem le jour de la fête des drapeaux, et qui s’en prennent aux commerçants du quartier musulman.
La minorité chrétienne, relativement pacifique et dont les lieux de culte sont accessibles et ouverts à tous, est une cible facile. Provocations d’adolescents, radicalisation des consciences, préservation de la sainteté juive d’Israël… Les dernières exactions s’expliquent par des motivations distinctes. Reste qu’elles sont perçues comme de l’anti-christianisme par une communauté chrétienne dont la frustration ne cesse de grandir face au silence assourdissant de la communauté internationale et des autorités israéliennes.
Si la police affirme prendre «très au sérieux les dommages causés aux institutions et aux sites religieux» et continuer à «agir contre les actes de violence et de vandalisme dans les lieux saints de toutes les religions», les auteurs d’actes anti-chrétiens restent largement impunis. Un laisser-faire qui indigne les responsables des Eglises de Jérusalem. «Les chrétiens sont le cadet des soucis du gouvernement israélien. Jérusalem, c’est un équilibre entre différentes communautés religieuses, entre juifs, chrétiens et musulmans. Or cet équilibre entre les différentes communautés n’existe plus et la règle est devenue: qui a le pouvoir décide seul», estimait, le 26 janvier dernier, Mgr Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, lors d’une conférence organisée par le Rossing Center pour l’éducation et le dialogue et l’Institut de Jérusalem pour la recherche politique.
«Dans le cas de vandalisme contre le couvent de la Flagellation, on attend de voir parce que les condamnations internationales et locales sont nombreuses», anticipe Don Binder sous-secrétaire des chefs des Églises de Jérusalem et aumônier pour le diocèse anglican à Jérusalem. Début janvier, les deux adolescents responsables de la profanation du cimetière chrétien avaient été arrêtés par la police puis assignés à résidence, suite au partage massif d’une vidéo issue d’une caméra de sécurité et de l’indignation qu’elle a générée.
Le Rossing Center, une organisation israélienne investie dans le dialogue interreligieux, a prévu de documenter les gestes anti-chrétiens, de publier régulièrement un décompte et d’oeuvrer pour que la communauté internationale fasse pression à leur sujet. (cath.ch/cl/rz)
Rédaction
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