Venu en « pèlerin de réconciliation » avec l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’Église d’Écosse, il a exhorté le président Salva Kiir et les vice-présidents à se préoccuper enfin d’un peuple assoiffé de paix, à respecter les principes d’un État de droit et à reprendre le processus de paix laissé en jachère.
«Marais de la corruption», «inondation de la violence», «débordement de la pauvreté». Sous le soleil brûlant de Djouba où il est arrivé dans l’après-midi après sa visite de quatre jours en RDC, le pape François a employé des mots très durs devant les dirigeants du pays qui continuent de se déchirer sur fond de lutte ethnique et d’intérêts financiers. Dans son discours, l’évêque de Rome a même reconnu que certaines de ses expressions peuvent avoir été franches et directes. Mais pour lui, la situation dramatique dans laquelle s’est enlisée le pays exige une transformation urgente et nécessaire.
Au Soudan du Sud, la lutte intestine entre le président Salva Kiir – de l’ethnie Dinka – et son vice-président Riek Machar – de l’ethnie Nuer – a dégénéré en guerre civile moins de deux ans seulement après la fondation du pays, en 2011. Près de 400’000 personnes seraient mortes. Des chiffres qui s’ajoutent aux 2 millions de morts provoqués par les conflits qui se sont succédés dans la deuxième moitié du XXe siècle. En tout, 4 millions de Sud-Soudanais sur 12 millions seraient aujourd’hui réfugiés dans les pays limitrophes ou déplacés internes.
«Les années de guerres et de conflits ne semblent pas connaître de fin et même, récemment, de durs affrontements ont eu lieu alors que les processus de réconciliation semblent paralysés et que les promesses de paix restent inaccomplies», a déploré le pape François qui avait pourtant reçu en 2019 les deux opposants au Vatican pour une retraite spirituelle pour la paix.
Souhaitant secouer la conscience des dirigeants, il les a pris à partie en les convoquant devant le tribunal de l’histoire. «Les générations futures honoreront ou effaceront la mémoire de vos noms en fonction de ce que vous faites maintenant», leur a-t-il lancé, les implorant de ne pas réduire leur pays créé en 2011 «à un cimetière».
«Il est temps de dire «assez», sans «si» et sans «mais» : assez de sang versé, assez de conflits, assez de violences et d’accusations réciproques sur ceux qui les commettent, assez d’abandonner le peuple assoiffé de paix. Assez de destructions, c’est l’heure de la construction ! Que le temps de la guerre soit rejeté et que se lève un temps de paix! », a tonné le pape, qui avait rencontré le président à huis clos quelques minutes plus tôt, avant de s’entretenir avec les vice-présidents du pays aux côtés de l’archevêque de Canterbury et du modérateur de l’Église d’Écosse.
Dans son discours, le pape a tenu à mettre sous les yeux des autorités des pistes pour une sortie de crise. D’abord, le pape a rappelé les principes élémentaires d’une république. «Cela signifie se reconnaître comme une réalité publique, affirmer que l’État est pour tous», a-t-il enseigné. Ceux qui sont à la tête de l’État «ne peuvent que se mettre au service du bien commun. Voilà le but du pouvoir : servir la communauté», a-t-il insisté, soulignant que «la tentation qui guette toujours est de s’en servir pour ses propres intérêts».
Il s’est alors permis de d’espérer que les ressources abondantes du pays ne soient pas réservées à quelques-uns, en prenant soin de préciser que les projets de répartition équitable des richesses correspondent bien aux plans de relance économique. Sous-entendant que des pratiques mafieuses persistaient, il a aussi proposé une liste de fléaux qui polluent toute société : « circuits financiers injustes, intrigues cachées pour s’enrichir, affaires clientélistes, manque de transparence ».
Dans un second temps, il a souligné que le développement démocratique était fondamental pour la vie d’une république. Celui-ci protège la «distinction bénéfique des pouvoirs». Ainsi, celui qui administre la justice «peut l’exercer sans conditionnement de la part de celui qui légifère ou gouverne», a-t-il ajouté.
«La démocratie suppose également le respect des droits humains, protégés par la loi et son application, et en particulier la liberté d’exprimer ses idées», a détaillé le pape François, assurant que sans liberté, il ne pouvait y avoir de justice.
Souhaitant faire de cette visite historique à Djouba l’occasion d’un nouveau départ pour le pays, le pape argentin a plaidé pour que le processus de paix et de réconciliation trouve «un nouveau sursaut». «Que l’on s’entende et que l’on fasse avancer l’Accord de paix, ainsi que la Feuille de route !», a-t-il martelé, alors que le gouvernement a récemment annoncé qu’il suspendait sa participation aux pourparlers de paix de Rome dans lequel s’implique notamment la communauté catholique Sant’ Egidio.
Dans ce pays où se côtoie une soixantaine d’ethnies, le pape a insisté sur la nécessité de mettre un terme au tribalisme. «Se respecter, se connaître, dialoguer», quitte parfois à faire des concessions, telle est la voie pour s’en sortir, a ajouté l’auteur de l’encyclique Fratelli tutti, sur la fraternité humaine.
Dans cette perspective, le pape a plaidé pour la cause des jeunes dont le rôle peut être décisif pour le pays. Il a aussi mis en avant les femmes et les mères en souhaitant qu’elles puissent s’impliquer davantage dans les processus politiques, elles qui «savent comment l’on donne et conserve la vie».
Reconnaissant que «beaucoup de choses sont nécessaires ici», il a enfin proposé un certain nombre de digues qui permettront à la société sud-soudanaise de repartir de l’avant. «Je fais référence au développement de politiques de santé adéquates, au besoin d’infrastructures vitales et, en particulier, au rôle primordial de l’alphabétisation et de l’éducation». Sur ce sujet, il a affirmé que, «comme tous les enfants de ce continent et du monde, ils ont le droit de grandir avec en main des cahiers et des jouets, pas des instruments de travail ni des armes».
Dans son discours, l’archevêque de Canterbury a souligné pour sa part combien le peuple du Soudan du Sud était fatigué, faisant référence à des massacres encore survenus la veille dans le pays. Rappelant leurs engagements pris en 2019, il déclaré aux leaders politiques qu’ils avaient « promis plus » que ce qu’ils ont fait depuis, leur demandant de reprendre le travail de pacification de leur pays. «C’est à votre portée», a-t-il insisté.
Justin Welby a aussi souligné combien la présence à ses côtés de ses «chers frères en Christ», le pape François et le modérateur Iain, était «pour lui une réponse à une autre prière ; non pas ma prière, mais celle qui est aussi vieille que l’Église, la prière de Jésus en Jean 17 : ‘que tous soient un’ », a-t-il déclaré. Une citation reprise aussi par le modérateur de l’Église d’Écosse lors de son intervention.
Le président Kiir, dans son discours, a reconnu qu’on pouvait être mécontent du rythme de la mise en œuvre des accords de paix signés en 2018, mais a estimé que «ce qui est important, c’est que nous travaillons ensemble». Il a notamment souligné la présence dans le gouvernement et dans l’assemblée de son «frère Riek Machar», son opposant politique, vice-président du pays.
Après son discours, le pape François s’est rendu à la nonciature apostolique du pays où il va dîner en privé. Le 4 février dans la matinée, il retrouvera les évêques, prêtres, diacres, religieux et séminaires du pays dans la cathédrale Sainte Thérèse située non loin du Nil Blanc, le fleuve qui borde la ville.
Dans l’après-midi, il prononcera un discours devant des personnes déplacées internes. Puis le pape participera à une prière œcuménique au Mausolée «John Garang» de Djouba aux côté de Justin Welby et Iain Greenshields. (cath.ch/imedia/hl/cd/mp)
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