Les jeunes Congolais invités à se dresser contre la corruption

«Indignez-vous, sans jamais céder aux flatteries, séductrices mais empoisonnées, de la corruption», a demandé le pape François. Il s’adressait aux milliers de jeunes Congolais rencontrés le 2 février 2023 au stade des Martyrs de Kinshasa.

Le stade des Martyrs de Kinshasa était bouillant pour accueillir le pape François. Chauffés à blanc par les speakers et la musique, plus de 65’000 jeunes et catéchistes ont offert un accueil spectaculaire au pontife de 86 ans, arrivé en papamobile dans un vrombissement étourdissant.

«Cette journée est historique pour moi», hurle Cardelin, dont la voix est étouffée par le son des amplis qui inonde le stade. Le jeune homme est fier de rencontrer «un pape qui a le courage de demander au monde d’enlever ses mains de l’Afrique». À 26 ans, cet ingénieur électro-technicien de formation n’a toujours pas trouvé d’emploi stable. «Ici, on ne mise pas sur les jeunes. Nous avons des minerais mais nous n’avons pas d’investisseurs locaux», déplore-t-il, alors que seuls deux de ses frères – sur six – ont un emploi. «Mon rêve pour ce pays serait que Dieu nous face la grâce de bons emplois», glisse Cardelin.

Le pape, «porte-parole» de la cause des jeunes

Dans les tribunes du stade, la joie est de mise mais les jeunes congolais ne cachent pas leurs craintes quand on les interroge sur leur avenir. Comme Cardelin, Brenda, 27 ans, en veut aux gouvernements successifs «qui ne font rien pour les jeunes». «Ce qui tue le pays, c’est que tout le monde veut devenir fonctionnaire. Personne n’encourage les entrepreneurs», déplore celle qui a toutefois réussi à trouver un poste en tant qu’agent commercial.

«C’est bien que le pape vienne nous parler mais il faudrait surtout que les élites l’entendent!», insiste Brenda. Elle voit dans le pontife un «porte-parole de la cause des jeunes en RDC». «Lui peut le faire car personne ne lui fera du mal… Nous, si nous manifestions, la police sortirait les gaz lacrymogènes… Je ne veux pas risquer ma vie».

À côté d’elle se trouve Louisine, 30 ans, mère de deux enfants avec un mari au chômage. « On a du mal à se nourrir, à nourrir nos enfants… Comment envisager notre avenir dans un pays qui nous rejette ? », s’interroge la jeune femme qui a déjà pensé à s’exiler en Europe.

La charge contre la corruption

Face à la perplexité de ces jeunes, le pape François les a exhortés à ne pas baisser les bras et à se battre pour bâtir un avenir différent en RDC. L’UNICEF rapportait en 2021 que les deux tiers de la population congolaise étaient représentés par les jeunes de moins de 24 ans.

«À quoi servent mes mains? À construire ou à détruire, à donner ou à amasser, à aimer ou à haïr?», a demandé le pape. Il a tracé cinq axes prioritaires à travers la métaphore des cinq doigts de la main: la prière, la communauté, l’honnêteté, le pardon, et le service.

Son appel le plus fort a été sa dénonciation musclée de la corruption dans le pays, un cancer selon lui. «Sans honnêteté, nous ne sommes pas disciples ni témoins de Jésus; nous sommes des païens, des idolâtres qui adorent leur propre moi au lieu de Dieu, qui se servent des autres au lieu de servir les autres», a fulminé le pontife.

Faisant répéter à la foule en français: «Pas de corruption», son appel a été accueilli par une grande liesse dans tout le stade où étaient présents des membres du gouvernement. Des chants et des protestations se sont alors élevés contre la corruption, et ce durant de longues secondes. Le traducteur a alors expliqué au pape que la foule évoquait les partis politiques.

Faire communauté

Le pape les a invités à cultiver le sens de la communauté, contre les impasses de l’individualisme, qui conduit vers «de faux paradis égoïstes, construits sur les apparences, l’argent facile ou sur une religiosité déformée». Il a alors enjoint chacun à prendre la main de son voisin avant de demander à l’organisation de lancer un chant, repris avec ferveur dans tout le stade. Puis a conclu: «Vous voyez comment c’est beau de faire communauté».

Le pontife a ensuite alerté les jeunes contre «la dépendance à l’occultisme et à la sorcellerie, qui enferment dans l’emprise de la peur, de la vengeance et de la colère». «Prenez garde à la tentation de désigner quelqu’un du doigt, d’exclure l’autre parce qu’il est d’une origine différente de la vôtre», a-t-il martelé. Le pape a aussi appelé les jeunes à résister «au régionalisme, au tribalisme», qui donnent l’illusion de renforcer l’identité du groupe, mais qui constituent au contraire «la négation de la communauté».

Soutien à l’engagement des jeunes catholiques pour les droits de l’homme

Le pape a salué le courage des jeunes Congolais qui ont su «se lever pour défendre, même au prix de grands sacrifices, les droits de l’homme et l’espoir d’une vie meilleure pour tous dans le pays». Dans un contexte marqué par l’engrenage de la violence, les jeunes catholiques ont été aussi appelés à «donner et recevoir le pardon». En effet, le chrétien «n’aime pas seulement ceux qui l’aiment, mais il sait arrêter la spirale des vengeances personnelles et tribales par le pardon».

François a particulièrement mis en en valeur la figure d’Isidore Bakanja, un jeune catéchiste laïc battu à mort en 1909 par le patron belge de l’entreprise qui l’employait. Il fut béatifié par Jean Paul II en 1994 à Rome, à l’occasion du Synode sur l’Afrique. «Il n’a jamais cédé aux sentiments de haine et, en donnant sa vie, il a pardonné à son bourreau», a rappelé le pape François.

En évoquant celui qui a été proclamé, 90 ans après sa mort, patron des laïcs de la République démocratique du Congo, le pontife a rendu hommage au rôle des catéchistes, qui sont «vitaux comme l’eau pour beaucoup de communautés», a-t-il souligné. «La République Démocratique du Congo attend de vos mains un avenir différent, car l’avenir est entre vos mains», a martelé François. Il s’est adressé aux milliers de jeunes en espérant qu’ils feront de leur pays un «jardin fraternel, le cœur de paix et de liberté de l’Afrique». (cath.ch/imedia/cd/rz)

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