Hugues Lefevre, I.MEDIA à Kinshasa
Devant les autorités civiles réunies au Palais de la Nation, le pape a rejoint le président Félix Tshisekedi dans la défense de la souveraineté congolaise face aux convoitises des pays extérieurs, mais il a appelé à des élections « transparentes et crédibles », exprimant sa fermeté face à un président dont l’élection avait été contestée par l’Église locale. Venu en « pèlerin de réconciliation et de paix », le pape a aussi déploré la violence qui « dévore » la RDC dans l’indifférence de la communauté internationale ainsi que le fléau du travail des enfants, du tribalisme ou encore du prosélytisme.
Le pape n’a pas mâché ses mots devant les autorités de la RDC. Sans les mentionner directement, le pape François a tancé les forces qui mettent en péril « l’intégrité territoriale » de la RDC à coup de « méprisables tentatives de fragmentation du pays ». L’Est de la RDC est actuellement sous le joug de plusieurs milices. La région de Goma est depuis plusieurs mois menacée par le M23, un groupe armé essentiellement composé de rwandophones du nord du Congo et qui pourrait être aux ordres du Rwanda.
Quelques minutes auparavant, dans son discours d’accueil, le président Félix Tshisekedi s’était attristé de l’existence en République démocratique du Congo d’une « zone en rupture de paix où, outre les groupes armés, les puissances étrangères avides des minerais contenus dans notre sous-sol commettent, avec l’appui direct et lâche de notre voisin le Rwanda, de cruelles atrocités ».
« À la faveur de l’inaction et du silence de la communauté internationale, plus de 10 millions de personnes ont déjà été arrachées à la vie », s’est insurgé le président, évoquant les trois décennies de guerre qui affligent la population congolaise.
« D’innocentes femmes, même enceintes, sont violées et éventrées, des jeunes gens et enfants égorgés, des familles, des vieillards ainsi que des enfants condamnés à braver la fatigue et l’épuisement afin d’errer hors de leurs maisons à la recherche de la paix, en raison des exactions commises par ces terroristes au service des intérêts étrangers », a tonné le chef de l’État.
Le pape s’est aussi lamenté sur l’attitude de la communauté internationale qui s’est « presque résignée à la violence » et « au sang qui coule dans ce pays ». « Il faut que l’on sache ce qui se passe ici », a insisté François, faisant état de « millions de morts ». Dans l’Est du pays, la longue présence des Casques bleus des Nations Unies – très décriés par une partie de la population locale – n’a pas permis de faire baisser les tensions. Là-bas, l’insécurité, la pauvreté, la faim, les maladies et les migrations sont le lot de centaines de milliers de Congolais.
« Monsieur le président, vous avez mentionné le génocide oublié dont la République démocratique du Congo est en train de souffrir », a lancé le pape François en sortant de son texte, sous les applaudissements des quelque 1.000 personnalités réunies au Palais de la Nation.
Dans un pays laminé par la violence, le pape a dénoncé vigoureusement le « colonialisme économique » qui a succédé en Afrique au « colonialisme politique » et qui est selon lui « tout aussi asservissant ».
« Ôtez vos mains de la RDC, ôtez vos mains de l’Afrique », a-t-il ainsi insisté en s’adressant « au monde économiquement plus avancé », un monde qui ferme « les yeux, les oreilles et la bouche » devant le drame du pillage du sous-sol congolais. Dans son discours, le pape a relevé le paradoxe de ce pays qui regorge de ressources naturelles mais dont la population reste pauvre – la RDC était classée 175e sur 189 par l’indice 2020 de développement humain des Nations Unies.
Des paroles qui résonnent alors qu’une vaste économie souterraine s’est installée dans l’Est de la RDC où les groupes armés se partagent le territoire, activés dans l’ombre par les puissances voisines qui servent ensuite d’intermédiaire avec le reste du monde.
Dans son discours, le pape a également fustigé « le fléau du travail des enfants », ceux qui travaillent dans les mines et qui ne peuvent pas être scolarisés. « Combien de jeunes filles sont marginalisées et violées dans leur dignité », s’est-il scandalisé, insistant sur la nécessité d’investir dans l’éducation. « Elle est la voie de l’avenir, la route à emprunter pour atteindre la pleine liberté de ce pays ».
« Le pouvoir n’a de sens que s’il devient service », a confié le pape devant un parterre de responsables politiques. Le chef de l’Église catholique, qui venait de s’entretenir à huis clos avec le président Tshisekedi, a rappelé les principes élémentaires d’un État de droit, où les dirigeants doivent s’efforcer de favoriser des « élections libres, transparentes et crédibles ».
Une critique semi-voilée à l’endroit de Félix Tshisekedi. Lors des élections de la fin d’année 2018, la conférence des évêques du pays, qui avait déployé 40’000 observateurs pour s’assurer du bon déroulement du scrutin, n’avait pas reconnu la victoire de Tshisekedi. Par la suite, la Conférence épiscopale, voyant les puissances occidentales valider son accession à la présidence, avait dû se résoudre à l’accepter et à travailler avec le président.
Cette remarque du pape vient conforter l’attitude des évêques de RDC vis-à-vis du pouvoir. Elle met aussi la pression sur le gouvernement pour que des élections aient bien lieu à la fin de l’année civile, alors que certaines voix commencent à envisager un report du scrutin, arguant de la situation chaotique à l’est du pays. Sans entrer dans les détails, le pape a encore fustigé la « corruption », « l’impunité », et « la manipulation des lois et de l’information ».
Comme il l’avait fait lors de son voyage au Kenya, en 2015, le pape a appelé à rejeter le tribalisme qui fragmente la société congolaise. « Prendre obstinément parti pour sa propre ethnie […] alimente des spirales de haine et de violence », a-t-il prévenu. Un peu plus tôt, il avait mis en garde les chrétiens – largement majoritaires en RDC – contre ce genre de sentiments « inhumains et anti-chrétiens ». Au contraire, l’auteur de l’encyclique Fratelli tutti sur la fraternité humaine leur a demandé de s’accueillir « comme les frères et sœurs d’une même famille ».
Au sujet du rôle de la religion dans le pays, le pape François n’a pas pris de précaution pour dénoncer l’« agressivité » et le « prosélytisme » de certaines d’entre elles. « Quand on en vient à imposer de manière aveugle par la ruse ou par la force, on ravage la conscience d’autrui et on tourne le dos au vrai Dieu », a-t-il taclé.
Si les catholiques représentent encore près de 50% de la population du pays, les sectes évangéliques montent en puissance ces dernières années. Dans le viseur des évêques catholiques : les « Églises du réveil » qui concurrencent fortement la communauté catholique.
Enfin, le pape n’a pas oublié de mentionner le défi écologique qui touche le pays et toute l’Afrique. « La RDC abrite l’un des plus grands poumons verts du monde, qui doit être préservé », a expliqué le chef de l’Église catholique, soulignant que la région avait besoin de modèles sanitaires et sociaux qui ne répondent pas seulement aux urgences du moment. Il a plaidé pour des « structures solides et du personnel honnête et compétent pour surmonter les graves problèmes comme la faim et la malaria qui entravent le développement à sa naissance ». (cath.ch/imedia/hl/mp)
I.MEDIA
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/a-kinshasa-le-pape-francois-denonce-lexploitation-de-la-rdc/