Sally Azar, première femme pasteur ordonnée en Terre Sainte

Sally Azar, 26 ans, a été ordonnée pasteur dans l’Eglise évangélique luthérienne de Jordanie et de Terre Sainte, le 22 janvier dernier à L’église du Rédempteur, dans la vieille ville de Jérusalem. Dans une région où les mentalités sont encore très conservatrices, la première palestinienne à avoir été ordonnée pasteur se prépare à rencontrer des résistances.

Propos recueillis par Clémence Levant, à Jérusalem, pour cath.ch

Le moment est historique. L’imposition des mains prend fin et le cercle formé par le clergé luthérien s’ouvre sur celle qui est désormais la première femme pasteur palestinienne de Jordanie et de Terre Sainte. Sally Azar a le visage rayonnant et les yeux brillants d’émotion, alors que la foule venue célébrer son ordination remplit l’église luthérienne du Rédempteur d’applaudissements nourris et de youyou chaleureux. La célébration de déroulait le 22 janvier dernier à l’église du Rédempteur, dans la vieille ville de Jérusalem. La Palestinienne revient sur cette ordination et la manière dont elle reçue en Terre Sainte.

La nouvelle de votre ordination a fait le tour des médias israéliens et internationaux. Comment analysez-vous cette viralité?
Sally Azar: C’est en partie lié à une certaine méconnaissance. Les gens ont redécouvert que les Palestiniens n’étaient pas seulement musulmans. Ils sont aussi chrétiens, et mon ordination dit qu’ils peuvent être ouverts, alors qu’on est habitué à une Terre sainte patriarcale, ancrée dans les traditions. C’est un nouveau chemin qui s’ouvre, une perspective différente. Et je comprends que ça intrigue. On verra dans quelle mesure cela va vraiment changer.

«En Terre Sainte, les Églises et leurs hiérarchies ont un fonctionnement très patriarcal. C’est un état d’esprit qu’on ne peut pas changer du jour au lendemain.»

Qu’est ce qui vous a motivée à devenir pasteur?
Le fait de grandir ici, en Terre sainte et dans l’environnement de l’Eglise. Mon père, Sani Azar, a servi 30 ans en tant que pasteur de la congrégation de l’église du Rédempteur, dans la vieille ville de Jérusalem. Avec mes sœurs, on l’accompagnait partout. Il était occupé, c’était une manière de passer du temps avec lui. J’ai beaucoup appris en l’observant. Il m’a beaucoup inspiré, et surtout il m’a laissé la liberté de poursuivre mes études en théologie. J’ai senti un appel de plus en plus fort à devenir pasteur. Je savais que je le ferai ici, en Terre Sainte. C’est aussi une manière de rendre ce que ma communauté m’a donné, de contribuer à ma société.

«Me tenir ici devant vous, c’est un sentiment indescriptible, Le chemin a été long et pavé d’incertitudes», a lancé Sally Azar, dans un discours emprunt d’émotion | © Clémence Levant

Cela fait 17 ans que les femmes peuvent être ordonnées pasteur en Terre sainte. Pourquoi est-ce que cela a pris du temps?
En Terre Sainte, les Églises et leurs hiérarchies ont un fonctionnement très patriarcal. C’est un état d’esprit qu’on ne peut pas changer du jour au lendemain. Le fait que d’autres Églises luthériennes à l’international aient déjà franchi le pas, ça a ouvert la voie au Moyen-Orient. Il a fallu un temps de préparation, avec des ateliers, des discussions… Toujours aujourd’hui, beaucoup de femmes sont réticentes à l’ordination d’autres femmes. Elles estiment que Jésus n’avait pas de femmes parmi ses disciples, ou que leur place n’est pas derrière un autel. Quand je me promène dans la rue avec mon col romain, les gens me regardent et me parlent en anglais. Je leur réponds en arabe (rires). Il y en d’autres qui vont venir me féliciter, avant de murmurer: «Mais c’est terrible». Je sais que des critiques plus ouvertes vont arriver.

«Toujours aujourd’hui, beaucoup de femmes sont réticentes à l’ordination d’autres femmes.»

Comment comptez-vous répondre à ces critiques?
Pour l’instant je ne rentre pas dans les débats théologiques. Il suffit d’ouvrir la bible pour voir qu’il y a des femmes comme Marie-Madeleine, Marthe… qui font partie de la vie de Jésus et qui le guident. Je ne vois pas la validité des commentaires et critiques de certaines femmes. Elles peuvent critiquer autant qu’elles veulent. Je respecte. D’ailleurs ce n’est pas tant ma personne qu’elles visent, que l’idée de manière générale. La nouveauté fait toujours peur. Elle n’est pas comprise et donc critiquée. D’un certain côté, ces critiques me rendent plus forte. C’est pour cela que je suis venue ici, pour ouvrir un chemin. Cela ne sera pas facile, mais c’est pour cela que je me bats.

Quatre autres femmes ont été ordonnées au Moyen-Orient depuis 2017. Trois au Liban et une en Syrie. Sont-elles un soutien?
J’ai étudié avec Mathild Sabbagh, qui a été ordonnée en Syrie l’année dernière. Rima Nassralah a été mon professeur au Liban et j’ai eu l’occasion d’échanger quelque fois avec elle. J’espère qu’on pourra toutes se rencontrer un jour et partager nos expériences. Ce n’est pas seulement nouveau ici, c’est nouveau dans tout le Moyen-Orient. Elles m’ont prévenu qu’une fois ordonné, je risquais d’être attaquée, notamment sur les réseaux sociaux. Ça a été leur cas. Je n’ai pas encore ouvert mes profils sur les réseaux sociaux. Je vais attendre un peu. Je sais que c’est un contenu qui peut intéresser les gens, que c’est un moyen de les embarquer dans cette expérience, de leur faire comprendre ce que c’est d’être pasteur.

Sally Azar dirigera la communauté anglophone de l’église du Rédempteur, dans la vieille ville de Jérusalem | © Clémence Levant

Souhaitez-vous axer votre ministère sur une problématique en particulier?
La moitié de mon temps sera dédié à la communauté anglophone de l’Eglise du Rédempteur à Jérusalem, et l’autre moitié à la congrégation de Beit Sahour, près de Bethléem. Je travaillerai en collaboration avec deux autres pasteurs. Il ne s’agit pas tant de choisir une «bataille» que d’être un bon pasteur. Je veux montrer que les femmes peuvent tout faire comme les autres pasteurs. Je pense faire le tour des différentes congrégations, écouter les gens et comprendre leurs besoins pour tenter d’y répondre au mieux.

«Je sais déjà que certains prêtres vont refuser qu’on travaille ensemble et je n’étais pas surprise qu’aucun représentant des Eglises orthodoxes ne soient présents lors de mon ordination.»

La Terre sainte est riche d’une variété d’Églises et de communautés chrétiennes qui n’ont pas toutes la même ouverture au sujet des femmes. Comment abordez-vous la question du dialogue oecuménique?
Pour le moment je n’ai pas eu de contact avec les autres Églises. Je sais déjà que certains prêtres vont refuser qu’on travaille ensemble et je n’étais pas surprise qu’aucun représentant des Eglises orthodoxes ne soient présents lors de mon ordination. Je respecte chaque décision, ils sont libres de penser ce qu’ils veulent. Mais j’espère qu’avec le temps, ils verront le travail qu’on fait en tant qu’Eglise.

Ce que je souhaite surtout, c’est que le dialogue ne se crée pas parce que je suis la fille de l’évêque luthérien. Les chefs des autres Églises le connaissent. Ils ne feront rien pour l’offenser. C’est une forme de protection. Mais en même temps, je ne veux pas que cela soit seulement à cause de ça. D’où l’importance d’encourager les filles à se lancer dans des études de théologie. (cath.ch/cl/bh)

| © Clémence Levant

Une palestinienne pasteur
Sally Azar est une chrétienne palestinienne née à Jérusalem en 1996. Après une enfance en immersion dans l’Eglise luthérienne où son père, Sani Azar a servi en tant que pasteur 30 ans dans la vieille ville de Jérusalem avant d’être nommé évêque en 2018, Sally s’est lancée dans des études de théologie: licence en théologie obtenu à la Near East School of Theology of Beirut au Liban puis un master de théologie avancée en Allemagne. En mai 2017, elle a été élue représentante des jeunes au conseil de la Fédération luthérienne mondiale (FLM). Le 22 janvier 2023, elle a été ordonnée pasteur dans l’Eglise évangélique luthérienne de Jordanie et de Terre Sainte. Elle devient ainsi la cinquième femme ordonnée au Moyen-Orient. CL

Rédaction

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