Mgr Ngumbi emmènera à Kinshasa une délégation de victimes des conflits de l’est de la RDC pour une rencontre avec le pape qui sera l’un des temps forts du voyage papal. Entretien.
Quelle est la situation sécuritaire dans votre diocèse?
Mgr Ngumbi: Le diocèse de Goma est actuellement coupé en deux. Toute une partie est occupée par les rebelles du M23 [Groupe armé formé en mars 2009 et essentiellement composé de rwandophones du nord du Congo qui accusent la RDC de marginaliser les Tutsis, NDLR]. Je ne peux donc pas me rendre dans ces zones occupées et les prêtres qui sont de ce côté ne peuvent pas venir me voir. Mon diocèse compte environ 1 million de fidèles, et près de 250’000 se trouvent aujourd’hui dans la partie contrôlée par le M23. Pour l’heure, ces hommes leur laissent la liberté de célébrer les messes. Les rebelles forment un mélange. Il y a parmi eux des catholiques.
Comment vit la population?
La situation est difficile. Ce qui nous préoccupe particulièrement est le problème des écoles. Elles ne fonctionnent plus depuis près d’un an. Le M23 voudrait les faire rouvrir mais les parents se méfient et préfèrent ne pas laisser leurs enfants aller à école. Il y a donc des milliers d’enfants déscolarisés. C’est un grand malheur.
«Toute une génération n’a jamais connu la paix!»
En juillet 2022, le pape devait venir dans votre diocèse. Ce déplacement en Afrique a finalement été annulé. L’étape de Goma a été supprimée dans le deuxième programme du voyage. Est-ce que vous comprenez cette décision?
À l’annonce du report du voyage, les gens ont été déçus. Mais comme la rébellion du M23 se poursuivait, les gens ont compris la difficulté de faire venir le pape, en plus de ses ennuis de santé. Maintenant, on voit bien que la raison sécuritaire a été la raison principale de la suppression de l’étape de Goma. Par exemple, le site sur lequel le pape devait célébrer la messe en juillet dernier se situe désormais sur la ligne de front. Cela aurait été impossible d’organiser une messe à cet endroit.
Vous allez donc accompagner à Kinshasa des personnes qui ont été victimes des violences dans la région…
C’est une demande du Saint-Père lui-même. Comme il ne pouvait plus venir, il a émis le vœu de rencontrer des victimes de l’est du pays à Kinshasa. Ainsi, des victimes vont venir de l’Ituri, de Bunia, de Butembo, de Beni, de Goma et puis Bukavu ou bien Uvira, au Sud Kivu. En tout, il y aura une cinquantaine de victimes. Elles sont en train d’arriver à Goma. Nous passerons quelques jours ensemble pour faire connaissance et nous partirons à Kinshasa pour rencontrer le pape.
Qui sont ces victimes qui rencontreront le pape?
Il y a des jeunes filles qui ont été abusées, emmenées dans les forêts par des rebelles pour servir comme esclaves sexuels. Certaines en sont revenues avec des grossesses. Il y a aussi des hommes victimes de violences, qui ont échappé à la mort. Le pape entendra des témoignages de gens qui ont réussi à s’échapper des ADF [groupe de rebelles que certains affilient à l’État islamique, NDLR]. Seront présents également des enfants qui ont été enrôlés par des forces armées, d’autres emmenés pour travailler dans les mines. Et puis il y aura des victimes de l’éruption volcanique de mai 2021 qui avait touché la région de Goma.
Dans cette délégation de victimes, tous ne sont pas chrétiens. Il y a par exemple des musulmans qui ont subi les violences des ADF. Les violences ne concernent pas que les chrétiens, elles touchent tout le monde.
Qu’attendez-vous de la venue du pape en RDC?
Nous attendons qu’il donne un message qui nous parle de réconciliation. Dans cette région, avec toutes ces guerres et cette violence, il y a beaucoup de blessures. Les groupes armés présents ici sont pour la plupart des groupes de défense. À chaque fois, ils veulent protéger leur communauté des autres. Le pape va envoyer un message de réconciliation, de paix et de justice. Il y a tant d’injustices ici, au niveau de la répartition des richesses par exemple. Nous avons besoin de paix. Cela fait presque 30 ans que nous n’avons pas de paix, depuis le génocide au Rwanda voisin. Toute une génération n’a jamais connu la paix!
Espérez-vous un appel du pape à la communauté internationale?
Bien sûr. D’abord, le plus urgent serait que la communauté internationale nous aide sur un plan humanitaire. Avec le conflit en Ukraine, le monde nous a oubliés. Si je prends seulement la ville de Goma et sa périphérie, nous avons 150’000 déplacés de guerre. Aujourd’hui, ce sont seulement les habitants de la ville qui viennent en aide aux déplacés, en leur donnant un peu de nourriture, quelques habits, des couvertures. Nous n’avons pas l’impression qu’il y ait un engouement du monde extérieur sur le plan humanitaire.
«Nous attendons du pape qu’il rappelle que des élections doivent être libres et transparentes»
Ensuite, nous savons que derrière les groupes armés, dont le M23 fait partie, il y a des commanditaires qui viennent de l’extérieur. Nous avons parlé il y a peu de temps du massacre de Kishishe par le M23, en décembre. Ce village était juste à côté d’une zone de minerai stratégique… C’est autour de ces zones que se déroulent des massacres. Et on sait aussi que ces minerais ne profitent pas au Congo, ni même au Rwanda, mais finissent leur course en Occident.
Le pape dénonce régulièrement l’exploitation de l’Afrique par l’Occident…
Oui, c’est un soutien très important. Il faut que l’exploitation des ressources profite à notre peuple, à nos enfants, à nos écoles et hôpitaux. Nous n’avons pas de route ici! Pour visiter certaines paroisses, je dois prendre un hélicoptère, avec la protection de la Monusco.
Et puis le pape déplore aussi le trafic d’armes en Afrique. Nous ne fabriquons pas d’armes ici! Elles viennent de l’Occident. À qui ces guerres profitent-elles?
Des élections présidentielles sont prévues cette année en RDC. Le pape pourra-t-il encourager le bon respect de l’État de droit, alors que les résultats des précédentes élections avaient été contestés par les évêques de RDC?
Nous attendons du pape qu’il rappelle que des élections doivent être libres et transparentes, sans corruption ni trafic. Nous rêvons de cela. Je crois que le pape en parlera. En cette année électorale, il ne peut pas ne rien dire à ce sujet. Mais nous savons que pour que ces élections se passent bien, il faudrait que la paix revienne… (cath.ch/imedia/hl/rz)
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