Le seuil à peine franchi, une chaleur bienfaisante nous enveloppe. Surplombant une vaste cour intérieure embellie de colonnes et bordée de bureaux, d’une bibliothèque, de salles de classes et de la mosquée, une coupole vitrée protège les visiteurs des intempéries, tout en laissant généreusement passer les rayons du soleil. Des écoliers qui se rendent à leurs leçons d’arabe et de coran et des femmes voilées la traversent. Dépaysement garanti!
Organisées par la Communauté de travail interreligieuse en Suisse Iras-Cotis et la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR), les journées «Dialogue en route» sont animées par des jeunes. «Ce que nous voulons, explique Julien Norberg, notre guide du jour, diplômé d’un master en sociologie et sciences des religions de l’Université de Lausanne, c’est déconstruire les stéréotypes religieux qui habitent tout un chacun, en organisant des visites guidées de lieux culturels et cultuels et des rencontres avec des responsables religieux.»
Ce sont en effet l’imam lui-même, Noureddine Fergani, et Tarik Benhattat, le conseiller du directeur de la Fondation culturelle islamique de Genève, qui nous accueillent et nous font visiter la mosquée, la plus grande de Suisse.
Nous voilà comme téléportés à l’Alhambra de Grenade! Un moelleux tapis bleu nuit recouvre la salle octogonale, découpée par sept piliers et éclairée par un lustre central en verre de Murano, «si lourd qu’il a nécessité l’usage d’un hélicoptère pour être accroché lors de la construction du bâtiment en 1978», explique l’imam. Les hauts des murs revêtus de plâtre blanc sont ornementés de motifs floraux ou géométriques, et les bas de mosaïques colorées qui renvoient aux fameux azulejos andalous, ces carreaux de céramique typiques de l’art et de l’architecture andalous. «Il a fallu faire venir 120 artisans marocains pour les fabriquer», précise encore l’imam, qui nous invite à lever la tête pour observer la coupole.
Au milieu de chaque losange qui la compose, nous découvrons le nom d’Allah, calligraphié en arabe. Le tout forme une sorte de longue litanie écrite, qui surplombe et renforce les prières récitées plus bas par les fidèles.
Une discussion s’engage alors entre les visiteurs et leurs hôtes autour de ce qui devient l’axe central de ce «Dialogue en route»: la représentation figurative artistique dans les religions. Son interdiction dans l’art sacré islamique est justifiée par certains hadîths, qui avancent qu’elle détournerait l’attention des fidèles lors des prières et créerait un terrain favorable à la pratique de l’idolâtrie.
Cette règle n’a pas toujours été suivie dans l’islam, indique toutefois Julien Norberg, qui fait circuler deux reproductions de miniatures du 16e siècle, respectivement ottomane et persane, où le prophète est représenté.
Notre petit groupe se met ensuite en marche en vue de la deuxième «station», le Centre bouddhiste international de Genève. En chemin, Julien Norberg rappelle que les chrétiens se sont eux aussi battus au sujet des représentations figuratives sacrées. Sont évoqués, comme autant de pistes de réflexion, la Querelle des images dans l’Empire byzantin du 8e siècle, la vénération par les orthodoxes d’icônes saintes dont la réalisation est strictement codifiée, l’utilisation au Moyen-Âge d’images religieuses comme supports visuels des récits bibliques oralement transmis aux ouailles illettrés, l’iconoclasme de la Réforme protestante du 16e siècle (qui se traduit notamment par des temples protestants dénudés de toutes représentations figuratives)…
Mais nous voilà arrivés devant la petite maison avec jardin du Centre bouddhiste international de Genève, dans le quartier de Cointrin. Nous sommes accueillis par deux moines sri-Lankais, Bhanté Dhammika, qui fait partie des fondateurs de la Plateforme interreligieuse de Genève, et son assistant Bhanté Sujatha.
Dans la salle de méditation, entouré de bouquets de fleurs, trône un grand Bouddha blanc, aux yeux mi-clos comme de juste et la main droite dirigée vers le sol. Une autre grande et sobre statue en bois de Bouddha, originaire du Laos, et d’autres plus petites décorent la salle adjacente.
«Ces statues sont très importantes, explique Bhanté Dhammika. On ne peut s’en passer en tant que bouddhiste. Elles inspirent la paix. Observer le visage, les mains du Bouddha est propice au calme. Certains artistes ont même trouvé la libération en créant une statue de Bouddha. Ce sont des objets sacrés, dont les retombées dépendent de l’expérience vibratoire personnelle qu’ils inspirent à chacun.»
Les représentations de Bouddha, explique-t-il encore, obéissent à des codes précis (tout comme pour les icônes) et ont notamment pour but d’éveiller par la vue des personnes non instruites.
Arrive le moment de se quitter, non sans une certaine frustration par rapport au thème annoncé. Les questions de notre petit groupe et les réponses de nos hôtes, en effet, ont souvent tourné autour de connaissances plus générales sur l’islam et le bouddhisme. Reste que le but ultime de ces journées est justement la rencontre, et donc l’ouverture à d’autres modes de penser -et donc de découvrir aussi! Ici, et pas seulement lors de voyages à l’étranger. Une vraie réussite somme toute. (cath.ch/lb)
Liberté académique et représentation du prophète
Une enseignante d’histoire de l’art a décidé, le 23 janvier 2023, de poursuivre en justice son ancien employeur, l’Université méthodiste Hamline (Minnesota, États-Unis). Celle-ci l’avait licenciée pour avoir présenté à ses étudiants un tableau du 14e siècle représentant Mahomet. On y voit l’ange Gabriel ordonnant au prophète de réciter les paroles de Dieu. L’affaire remonte à octobre 2022. L’un de ses élèves, président de l’association des étudiants musulmans de l’Université, s’était plaint à l’administration de l’Université de cette atteinte à ses croyances, puisque l’islam rigoriste interdit toute représentation du prophète. Consciente de l’émoi que cela pouvait provoquer parmi ses étudiants musulmans, l’enseignante avait pourtant précisé que la participation à ce cours était optionnelle.
Le débat autour des motifs de ce licenciement a vite pris une ampleur nationale. L’Academic Freedom Alliance a exigé la réintégration de l’enseignante: «Si un professeur d’histoire de l’art ne peut pas montrer à des étudiants d’université une œuvre d’art essentielle de peur que des étudiants ou un groupe offensés puissent le faire renvoyer, alors il n’y a aucune garantie de liberté académique.» (cath.ch/ag/lb)
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/geneve-dialogue-en-route-et-art-dune-mosquee-a-un-centre-bouddhiste/