Avril 2019. Le Vatican s’apprête à vivre un événement atypique: une retraite spirituelle à la tonalité diplomatique et œcuménique pour rapprocher les leaders ennemis du Soudan du Sud. Le jeune pays est en effet traversé par une grave crise politique et ethnique depuis sa création en 2011 – la guerre civile y a fait 400’000 morts et 4 millions de réfugiés et de personnes déplacées – et le Saint-Siège n’épargne pas ses efforts pour la réconciliation.
Cet événement, organisé les 10 et 11 avril par la Secrétairerie d’État et le Bureau de l’archevêque de Cantorbéry, a pour objectif d’offrir une «occasion propice à la réflexion et à la prière, ainsi qu’à la rencontre et à la réconciliation, dans un esprit de respect et de confiance». Y sont venus notamment le président catholique Salva Kiir, en poste depuis 2011 et le chef rebelle presbytérien Riek Machar, son principal opposant – devenu vice-président du pays depuis la formation d’un gouvernement d’union nationale en 2020.
Au terme de cette retraite prêchée par Mgr John Baptist Odama, archevêque de Gulu (Ouganda), et le père Agbonkhianmeghe Orobator, président de la Conférence des supérieurs majeurs d’Afrique et de Madagascar, le pape François et l’archevêque de Cantorbéry Justin Welby, côte à côte, exhortent les leaders à faire la paix. Concluant la rencontre, Salva Kiir et Riek Machar signent un engagement commun pour avancer vers une pacification de leur nation.
C’est alors que, prenant ses collaborateurs de court et faisant fi de tout protocole, le pape François se dirige vers les deux hommes politiques et se met à genoux devant eux, leur baisant les pieds, dans une attitude de supplication, provoquant une certaine sidération autour de lui. «Devant le peuple, [ayez] les mains jointes. (…) Permettez-moi de vous demander cela du fond du cœur, de mes sentiments les plus profonds», implorait-il quelques instants auparavant.
Presque quatre ans plus tard, Paolo Impagliazzo, secrétaire général de Sant’Egidio et responsable de la médiation menée par la communauté au Soudan du Sud, y voit un geste «prophétique». Cette initiative de François a été reçue de deux façons, note-t-il: d’abord «avec un grand étonnement, comme si le pape représentait le peuple sud-soudanais qui demandait la paix aux leaders». Ainsi ceux, «qui n’ont pas de voix, ont trouvé leur propre voix dans le pape».
Cependant, certains n’ont «pas immédiatement compris pourquoi un pape devait s’incliner, baiser les pieds de ces leaders», constate encore Paolo Impagliazzo. Ceux-là n’ont réalisé que plus tard «la portée de ce geste, et se sont sentis renforcés».
Afin de donner un horizon positif concret aux leaders du Soudan du Sud, le pape François a exprimé à maintes reprises son souhait de se rendre dans le jeune pays une fois que le conflit serait réglé et que la situation serait plus stable.
Le 24 décembre 2020, puis le 9 juillet 2021, à l’occasion du 10e anniversaire de l’indépendance du pays, dans des messages cosignés avec l’archevêque de Cantorbéry et le modérateur de l’Église d’Écosse, le pape encourageait les dirigeants à «faire des efforts encore plus importants».
Le pontife n’a cessé, ces dernières années, de réitérer son souhait de visiter le pays. Un vœu qui devrait donc bientôt être réalisé. Dès son arrivée au Soudan du Sud, le 3 février, le pape se rendra au palais présidentiel pour rencontrer en privé le président Salva Kiir, puis, dans la foulée, le vice-président Riek Machar. Il fera ensuite un discours aux autorités. (cath.ch/imedia/ak/bh)
I.MEDIA
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/quand-le-pape-embrassa-les-pieds-des-chefs-ennemis-du-soudan-du-sud/