Au Congo, Jean Paul II avait soutenu une Église «africanisée»

En se rendant en République démocratique du Congo, du 31 janvier au 3 février 2023, le pape François marchera sur les pas de son prédécesseur Jean Paul II. Il était venu à deux reprises, en mai 1980 et en août 1985, dans ce vaste pays qui s’appelait alors le Zaïre.

Le pontife polonais s’était par ailleurs rendu au Soudan en 1993, sans toutefois pouvoir se rendre au Sud, alors en conflit contre le régime de Khartoum. Du 3 au 5 février, le Soudan du Sud, qui a accédé à l’indépendance en 2011, recevra ainsi sa première visite pontificale.

Pour la première étape de sa première tournée en Afrique, Jean Paul II, dans la pleine vigueur de ses 59 ans, embrasse la terre zaïroise à son arrivée à Kinshasa le 2 mai 1980. Avec la double commémoration du 20e anniversaire de l’indépendance et du centenaire de l’arrivée des Pères blancs, le pontife polonais saisit l’occasion de redonner à l’Église locale son souffle et sa visibilité, après une période durant laquelle le président Mobutu s’était dressé contre un catholicisme associé à l’ancienne puissance coloniale belge.

Un régime Mobutu hostile à l’Eglise

Au début des années 1970, le dictateur avait pris une série de mesures visant à effacer le catholicisme de la vie sociale du pays. Ainsi, la fête officielle de Noël avait été supprimée, l’enseignement religieux interdit, tout comme la possibilité de donner un prénom chrétien aux enfants.

Devant cette situation, le Saint-Siège n’a toutefois jamais coupé les ponts avec le régime. Le dirigeant zaïrois trouve en Jean Paul II un interlocuteur respecté, venant à sa rencontre au Vatican dès 1979, avant plusieurs autres entretiens durant lesquels le pape fera preuve d’une grande fermeté sur la défense de la liberté religieuse. Le soutien du pontife polonais à l’émancipation des nations africaines vis-à-vis de l’Europe redonne alors à l’Église catholique une légitimité dans l’espace public, en tant qu’institution faisant désormais pleinement partie de l’identité africaine. 

Mobutu, dont le régime était alors proche du monde communiste, sera confronté à l’humour quelque peu désarçonnant de Jean Paul II à son arrivée à Kinshasa. Après qu’une jeune fille ait offert au pontife un bouquet de fleurs tout en chantant les louanges du Parti unique zaïrois, le pape polonais lance au président: «Elle sait fort bien prêcher l’Évangile, cette demoiselle!».

«Dieu n’a pas ménagé ses grâces pour le Zaïre»

«Je salue chacune des nations africaines. Je me réjouis avec elles qu’elles aient pris en mains leur propre destin», déclare Jean Paul II dès son arrivée au Zaïre, le 2 mai 1980. Dans un contexte de grande fragilité institutionnelle, le pape se montre respectueux de l’identité africaine. «Chaque nation a encore une longue marche à parcourir pour forger son unité; approfondir sa personnalité et sa culture; réaliser le développement qui s’impose en tant de domaines, et cela dans la justice, avec le souci de la participation et de l’intérêt de tous», déclare-t-il à l’aéroport de Kinshasa.

Il émet aussi un message d’encouragement aux catholiques locaux. «Dieu n’a pas ménagé ses grâces pour le Zaïre: une pléiade d’ouvriers de l’Évangile sont venus de loin, ont consacré leur vie pour que vous aussi, vous ayez accès au Salut en Jésus-Christ. Et les fils et les filles de ce pays ont accueilli la foi», déclare le pontife polonais dans ce pays qu’il considère comme l’exemple d’une évangélisation réussie. 

Dans son discours devant le président Mobutu, Jean Paul II dit espérer que les relations avec les autorités civiles amèneront à «échanger des vues, de façon constructive, sur les problèmes les plus fondamentaux pour l’homme, sa dimension spirituelle, sa dignité et son avenir» ainsi que «sur la liberté que demande l’Église d’annoncer l’Évangile au nom du respect des consciences inscrit dans la plupart des constitutions ou des lois organiques des États».

La promotion d’une Église émancipée

Devant les ambassadeurs, Jean Paul II souligne que l’Afrique a connu, depuis la décolonisation, «des modifications indéniables de sa structure politique et sociale». Il exprime cependant sa «grave préoccupation» en voyant que ces jeunes nations éprouvent «quelques difficultés à atteindre en une si brève période leur équilibre intérieur», évoquant le manque de garanties internationales dans leur «processus de souveraineté».

Cette question de la prise en main de l’Afrique par les Africains eux-mêmes ne se situe pas seulement sur un plan politique, mais aussi ecclésial. Elle sera au cœur d’une messe célébrée par Jean Paul II, durant laquelle il consacre huit nouveaux évêques du continent: quatre pour le Zaïre, deux pour le Burundi, un pour le Soudan et un pour Djibouti. Devant 500’000 fidèles, le pape met en valeur «l’africanisation» de la liturgie, qui s’exprime notamment dans une procession des offrandes dansée, au rythme du tam-tam. 

Cependant, avec une tonalité proche de celle du cardinal Ratzinger lorsqu’il viendra sur place, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour évaluer la validité théologique du rite zaïrois, le pape rappelle aux évêques africains que cette inculturation doit s’exprimer dans la fidélité «au patrimoine identique essentiel de la même doctrine du Christ». Jean Paul II invite particulièrement les nouveaux évêques à miser sur le temps long, dans la communion avec Rome. «Cette œuvre, pour laquelle je tiens à vous exprimer toute ma confiance, requiert beaucoup de lucidité théologique, de discernement spirituel, de sagesse et de prudence et aussi de temps», insiste-t-il dans son homélie.

Une visite endeuillée

Cette visite du pape fut endeuillée par une bousculade qui fit neuf morts et environ 500 blessés, piétinés dans un mouvement de foule, le long des grilles du Palais du peuple à Kinshasa, le 4 mai 1980. Après ce drame, le pape annulera une rencontre culturelle prévue à la nonciature, et confiera sa douleur et sa proximité pour les victimes. «C’est comme dans le mystère pascal, où la Passion se mêle avec la Résurrection. Notre foi nous aide à passer par des douleurs, et aussi à porter aux âmes qui sont tristes la consolation et l’espérance de la résurrection», confiera-t-il en quittant Kinshasa.

Jean Paul II se rendra ensuite au Congo-Brazzaville, tout proche, où il rencontrera notamment le président Denis Sassou N’Guesso, alors à la tête d’un régime d’obédience marxiste-léniniste, et toujours en poste actuellement. Il reviendra ensuite en territoire zaïrois pour une étape à Kisangani, la grande ville du centre du pays, jusqu’au 6 mai 1980. Cette première tournée africaine l’amènera ensuite au Kenya, au Ghana, en Haute-Volta (pays qui sera rebaptisé Burkina Faso quatre ans plus tard) et en Côte d’Ivoire.

1985: la béatification d’une religieuse martyre

Sa deuxième visite au Zaïre, plus courte, du 14 au 16 août 1985, s’était intégrée dans une vaste tournée sur le continent africain, qui l’a également conduit au Togo, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, en République centrafricaine, au Kenya et au Maroc.

Le pontife polonais avait notamment procédé à la béatification de Marie Clémentine Anwarite, lors d’une messe célébrée en la Solennité de l’Assomption, à Kinshasa. Cette religieuse des sœurs de la Sainte-Famille, née en 1939, avait été assassinée en 1964 à coups de lance par un milicien de la rébellion Simba qui voulait la violer. «Je te pardonne parce que tu ne sais pas ce que tu fais», lui aurait-elle déclaré avant de mourir.

Le pontife polonais s’était officiellement associé, au nom de l’Église, au pardon accordé par la religieuse à son assassin. Anonymement, cet ancien milicien rebelle était présent dans la foule lors de la béatification de cette religieuse présentée par Jean Paul II comme une «martyre de la pureté».

Le message de réconciliation dans un Soudan alors unifié

Le second pays visité par le pape François lors de son 40e voyage apostolique sera le Soudan du Sud, du 3 au 5 février. Ce pays indépendant depuis 2011 recevra ainsi sa première visite papale. Son grand voisin du nord, le Soudan, dont ce pays s’est scindé après un long combat pour l’indépendance, avait quant à lui reçu une visite de Jean Paul II dans la capitale, Khartoum, le 10 février 1993.

Durant ce court et délicat voyage dans un régime islamique, le pape était resté prudent quant aux revendications indépendantistes des États du Sud, majoritairement chrétiens. «Écoutons les voix de nos frères et sœurs, en particulier ceux qui sont opprimés par la pauvreté, la faim et la violence, qui réclament la justice et la paix, et une nouvelle ère de dialogue et d’entente», lancera-t-il toutefois au président Omar El-Béchir venu l’accueillir à sa descente d’avion. 

«Je suis heureux d’avoir pu venir à Khartoum, même s’il n’a pas été possible d’envisager une visite plus étendue dans d’autres régions du pays, afin d’offrir le message de réconciliation et d’espoir qui est au cœur du catholicisme et que je porte à tout le peuple soudanais, indépendamment des différences de religion ou d’origine ethnique», précisera-t-il lors de son passage au palais présidentiel. (cath.ch/imedia/cv/rz)

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