La 44e audience de ce procès, longue de 7 heures, a en effet été particulièrement animée. Le juge Giuseppe Pignatone a eu le plus grand mal à faire respecter le calme dans la salle. Une agitation due principalement à la personnalité des témoins, en particulier à celle de Francesca Immacolata Chaouqui, condamnée en 2014 par le tribunal du Vatican pour son rôle dans l’affaire Vatileaks 2. La lobbyiste avait préalablement mis en scène son retour devant les juges de la cité papale (cette fois-ci comme témoin), en organisant une conférence de presse avant l’audience.
Genoveffa Ciferri Putignani, 74 ans, célibataire, s’est présentée pour sa part comme une amie des parents de Mgr Alberto Perlasca, qu’elle aurait rencontré en personne en 2012. Cette ex-analyste au sein des services secrets –mais pas une «007», a-t-elle insisté–, rapporte s’être prise d’affection pour le Monsignore responsable du Département économique de la Secrétairerie d’État.
Cette grande estime, explique-t-elle, l’a poussée à lui léguer sa maison familiale, dans le nord du Latium. Elle a aussi déclaré, lors de l’audience, s’être beaucoup investie dans le soutien aux prêtres à travers un institut religieux et que, n’ayant pas d’héritier naturel, elle avait souhaité exaucer le vœu de sa mère qui souhaitait que cette demeure soit reprise par l’Église.
En 2020, Genoveffa Ciferri apprend que son «protégé» est mis en cause par les enquêteurs du Saint-Siège dans le cadre de l’enquête sur l’affaire de l’immeuble de Londres. Elle décide de contacter le cardinal Angelo Becciu, qui fut le supérieur du prêtre pendant six ans, pour qu’il vienne en aide à Mgr Perlasca. «J’ai souvent agi pour le bien de Perlasca… il y a des moments où malheureusement je me suis substitué à Perlasca lui-même», a-t-elle déclaré lors de l’audience.
À cette même époque, Francesca Chaouqui entre en contact avec elle par l’intermédiaire d’une de ses proches, la journaliste Maria Giovanna Maglie. Cette lobbyiste calabraise d’origine marocaine affirme avoir été initiée aux arcanes du Vatican en 2006 par le cardinal Jean-Louis Tauran (décédé en 2018), alors archiviste et bibliothécaire du Saint-Siège. Elle prétend que ce dernier aurait eu recours à ses services après la démission de Benoît XVI.
Nommée membre de la Commission d’étude sur la réforme financière et administrative du Vatican (COSEA), l’entité créée en 2013 pour réformer la Curie, par le pape François alors tout juste élu, elle est mise en cause l’année suivante dans le cadre de l’affaire Vatileaks 2 et condamnée par la justice pour avoir participé à la fuite de documents confidentiels du Saint-Siège. Elle clame depuis régulièrement son innocence via les médias italiens.
Francesca Chaouqui est entrée en contact avec Genoveffa Ciferri quand elle a appris que Mgr Perlasca était sous enquête. Affirmant agir «par amour pour le pape François», elle a expliqué, lors de l’audience du 13 janvier 2023, être intervenue afin de venir en aide à Mgr Perlasca et Genoveffa Ciferri qui étaient terrifiés par «le pouvoir du cardinal Becciu dans la presse».
Mais pour Genoveffa Ciferri, Francesca Chaouqui les aurait manipulés, elle et Mgr Perlasca, en affirmant qu’elle travaillait de concert avec la gendarmerie vaticane, le promoteur de justice de l’État de la Cité du Vatican Alessandro Diddi et le pape François en personne. «Nous sommes passés pour les idiots du village», a déploré Genoveffa Ciferri, qui a alors rapporté une phrase qu’elle avait entendue dans la résidence Sainte-Marthe, lieu de résidence de Mgr Perlasca: «Chaouqui est comme le charbon: qui la touche se tache et se salit.»
Il a été aussi question, lors de cette audience, du rôle éventuel joué par les deux femmes dans l’élaboration du «Mémorial» remis aux enquêteurs par Mgr Perlasca, le 30 août 2020. Lors de son audition du 30 novembre 2022, Mgr Perlasca avait déclaré avoir rédigé ce texte sous la direction de Genoveffa Ciferri, qui avait été elle-même conseillée par Francesca Chaouqui. Les deux femmes ont contesté cette version, affirmant qu’il l’avait rédigé lui-même. Francesca Chaouqui, en revanche, a confirmé lui avoir fourni une liste de sujets sur lesquels elle estimait que le pape aurait besoin d’éclaircissements.
À la fin de l’audience, le cardinal Becciu a tenu à réagir à toutes ces déclarations, en particulier à celles de Francesca Chaouqui, relevant que celle-ci éprouve du ressentiment à son encontre. Non sans raisons, a-t-il précisé. En 2013, en effet, apprenant que Francesca Chaouqui était nommée membre de la COSEA, il avait signalé à la Secrétairerie d’État qu’elle n’était «pas digne de travailler au Vatican» car il avait déjà reçu des rapports à son sujet. De plus, a rapporté le cardinal, il a participé à la réunion lors de laquelle il a été décidé de porter plainte contre ceux qui étaient soupçonnés d’avoir participé aux fuites de Vatileaks 2.
Le cardinal Becciu a ensuite expliqué avoir écrit au pape François le 19 août 2022 –lettre qu’il a lue durant l’audience- pour lui faire part de sa «profonde consternation» après avoir appris qu’il avait reçu et salué Francesca Chaouqui lors d’une audience générale. Il lui a reproché cet acte, considérant avoir été «publiquement contredit» par le pontife.». Le cardinal Becciu a ensuite lu la réponse du pape François, dans laquelle ce dernier s’excuse, affirmant qu’il avait accepté de la recevoir parce qu’il avait «presque oublié ›l’aventure’ de cette dame».
Les prochaines audiences auront lieu les 26 et 27 janvier, avec l’audition de témoins moins importants mais aussi la fin de celle de l’architecte Luciano Capaldo, gestionnaire de l’immeuble de Londres. Le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, qui aurait dû participer aux audiences fin janvier, ne pourra pas venir et sera entendu ultérieurement. (cath.ch/imedia/lb)
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