La Mission catholique portugaise dans le canton de Fribourg est accueillie dans six paroisses, à St-Pierre (Fribourg), Morat, Estavayer-le-Lac, Romont, La Tour-de-Trême, et Châtel-St-Denis. Des messes en portugais ne sont célébrées tous les dimanches qu’à St-Pierre. Dans les autres paroisses, c’est un dimanche sur deux. Bien que la Mission soit appelée «portugaise» par défaut, elle regroupe les lusophones du canton, qu’ils soient Capverdiens, Brésiliens, ou personnes provenant d’anciennes colonies portugaises d’Afrique, telles que l’Angola ou le Mozambique.
A Fribourg, aucun chiffre officiel n’existe sur le nombre de personnes attachées à la Mission. «On sait tout au plus qu’environ 15% des 29’000 catholiques déclarés dans le décanat de Fribourg sont de nationalité portugaise», note Daniele Colautti, curé de la communauté. Un nombre donc non négligeable, pour une population traditionnellement très attachée au catholicisme. Selon les derniers recensements au Portugal, plus de 80% des habitants se déclarent encore catholiques. Une proportion qui a, de plus, peu baissé durant les dernières décennies, en comparaison d’autres pays d’Europe de l’Ouest où le nombre de catholiques ne cesse de dégringoler.
Une bonne part des communiants et des confirmands dans le canton sont issus de la communauté.
La communauté portugaise serait-elle encore un «bastion» inébranlable de la pratique religieuse en Suisse romande? L’abbé Colautti tient à relativiser les «mythes» liés à la religiosité portugaise. «Les Suisses perçoivent souvent les Portugais comme étant très attachés au catholicisme, d’une manière très traditionnelle, fervente. Bien sûr que la foi est importante pour beaucoup de Portugais, c’est vrai, ils sont fervents et attachés à leur tradition. Mais, au-delà, nous vivons globalement la même situation que les autres communautés en Suisse», relève le prêtre, depuis deux ans en charge de la Mission à Fribourg. Cet Italien d’origine est en Suisse depuis 20 ans. Il a passé neuf ans de sa vie au Brésil. Avant son affectation actuelle, il a occupé des responsabilités dans les communautés portugaises du canton de Vaud.
Depuis son arrivée en Suisse, il a pu constater l’évolution de sa communauté de cœur. «Les Portugais ont subi la même vague de déchristianisation que dans le reste de l’Europe. Dans les dernières décennies, la perte du sens de la foi a été énorme. Certains continuent à faire baptiser leurs enfants, les envoient faire leur Première communion, leur confirmation, mais c’est souvent une foi qui n’est pas réellement vécue, qui est superficielle, qui est juste pour respecter la tradition.» Pour l’abbé Colautti, le problème est que les gens «sont bombardés d’une infinité de messages venant des mass-médias, qui n’ont rien de chrétiens. Ces messages, à petite dose, empoisonnent l’esprit, et à la fin, on perd le sens de la foi, de la prière, de tout».
Un phénomène qui se reflète par une baisse des baptêmes, mariages, premières communions, ou encore de participation au catéchisme. «Même s’il faut compter par rapport à cela la forte baisse de la natalité», note le prêtre. La fréquentation aux messes a également baissé de 30 à 40%, une tendance partiellement due au Covid. Mais la chute la plus importante et la plus inquiétante pour l’abbé Colautti concerne les confessions: «Moins on se confesse, plus on garde en soi sa culpabilité, ce qui mène à une maladie de l’âme, une souffrance. La crise dans ce sacrement amène la crise dans tous les autres.»
Malgré les difficultés, la Mission portugaise entretient une pastorale jeunesse qui regroupe autour de 25 membres. «Les animateurs font un bon travail et nous essayons de dynamiser le groupe, de faire en sorte que les jeunes restent.»
Ne pas perdre de vue les personnes apparaît à présent comme l’une des principales tâches que s’est donnée l’équipe pastorale. Car beaucoup ne se montrent à l’église que dans le cadre des cours de préparation, notamment au mariage. «Pourtant, nous nous investissons beaucoup plus qu’à l’époque, notamment dans le catéchisme, mais les résultats restent très maigres. Parce que les jeunes sont remplis de la mentalité de cette société. Même ceux qui font leur première communion et confirmation, souvent après 14, 15 ans, on ne les revoit plus».
L’abbé Colautti constate une érosion générale de la culture religieuse. «Certaines personnes qui arrivent ne savent pas prononcer le Notre Père ou le Je vous salue Marie. Un état de fait qui, pour le curé italien n’est toutefois pas entièrement négatif. «Si ces personnes sont tellement éloignées de la religion, cela peut aussi être une chance de les ‘ré-évangéliser’ de leur faire connaître la beauté du message du Christ qu’ils n’avaient pas vu jusque-là. Mais pour cela, il faut trouver un nouveau langage, plus simple, plus accessible et plus existentiel». Et l’abbé Colautti d’appeler à «une catéchèse des adultes», car «il faut reconstruire les bases».
Pour le prêtre italien, les missions linguistiques ne sont pas une fin en soi, et il n’est pas impossible qu’elles disparaissent un jour. Mais la structure lusophone est en tout cas encore nécessaire, notamment en rapport au 30% de personnes qui, avec toute leur bonne volonté, ne parlent pas encore suffisamment le français. Ce sont surtout des Portugais de la première génération, qui sont en Suisse depuis 40 à 50 ans. Pour ceux-ci, le fait de pouvoir notamment professeur leur foi dans leur langue maternelle est très rassurant.
La Mission sert également à faire le lien entre les nouveaux arrivants et la communauté locale. «Sans cela, de nombreux Portugais auraient sans doute été complètement déphasés dans leur pratique religieuse en arrivant en Suisse et auraient complètement laissé l’Eglise de côté».
Malgré ces constatations parfois douloureuses, le prêtre italien tient à souligner les forces vives à l’œuvre dans la communauté. «Les Portugais ont beaucoup à partager, ils ont de grandes valeurs et de grands trésors de la foi, même si beaucoup sont en train de se perdre». L’un de ces trésors est la dévotion à Notre Dame de Fatima, «qui représente pour beaucoup de lusophones le dernier fil, attaché à leur cœur, qui les relie encore à l’Eglise. Il ne faut pas seulement le respecter, mais éviter à tout prix de le briser». C’est ainsi que la Mission soutient les diverses manifestations liées à Fatima qui se déroulent dans le canton. Que ce soit à Ponthaux, Châtel-Saint-Denis ou La Tour-de-Trême, les processions en l’honneur de Notre Dame de Fatima attirent toujours beaucoup de public, principalement d’origine portugaise. Ces manifestations joyeuses et hautes en couleur sont depuis des décennies des événements centraux de la religiosité lusitanienne en terres fribourgeoises. Elles expriment la foi traditionnelle d’une des populations issues de la migration les plus largement représentées et anciennement implantées en Suisse.
Mais la vivacité de foi portugaise s’illustre aussi de manière plus discrète par les nombreux agents pastoraux, catéchistes, bénévoles et clercs lusophones qui s’engagent dans l’Eglise en Suisse. Une réalité de plus en plus présente, à mesure aussi que l’intégration des groupes étrangers est facilité dans le tissu ecclésial local.
«A l’époque, on avait une idée de l’intégration différente d’aujourd’hui. Mais personne ne s’exile pour le plaisir, on le fait par nécessité, et si l’on est soumis à des pressions pour s’intégrer, au lieu de s’ouvrir, on se ferme.» Dans beaucoup de paroisses «on se trouvait dans des communautés étanches».
Une situation qui a cependant changé aujourd’hui. «Le nouveau discours c’est de faire en sorte que les gens se sentent accueillis, aimés, vus comme faisant partie d’un corps. Et lorsqu’ils se sentent appréciés pour ce qu’ils sont, ils s’ouvrent et s’intègrent». Une approche multiculturelle que l’abbé italien avait déjà commencé à expérimenter à Renens dès 2005. «A Fribourg, on continue cela de manière un peu différente. L’équipe diocésaine multiculturelle permet déjà d’avoir une plateforme de rencontre, de partage. Mais faire communion, cela ne veut pas dire supprimer les identités nationales, cela veut dire garder les spécificités de chacun, apprendre à apprécier les valeurs et les choses positives chez l’autre». Un travail «qu’on est aujourd’hui en train de faire, autant au niveau inter-paroissial qu’intercommunautaire. Et la communion doit se faire également au niveau des prêtres, sinon elle n’est pas possible au niveau des fidèles».
Auparavant, les missions linguistiques opéraient au niveau cantonal. Mais maintenant elles cherchent à s’intégrer dans les paroisses, où elles sont actives. Dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), la règle veut que les prêtres soient intégrés à la fois dans l’Eglise locale et leur communauté spécifique. C’est le cas de Daniele Colautti, qui travaille à 80% pour la Mission catholique lusophone et à 20% pour le séminaire diocésain Redemptoris Mater.
Une collaboration qui s’organise petit à petit, même si les projets en commun ne sont encore pas nombreux. «Tout est à inventer, l’espace est encore ouvert», note le curé de la communauté portugaise. «Il faut de la créativité pastorale. Il n’y a pas une solution toute prête à sortir du tiroir, mais c’est sûr qu’il y a une volonté». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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