Le pape François reprend en main le Vicariat de Rome

Par la Constitution apostolique In Ecclesiarum Communione, publiée le 6 janvier 2023 et qui entrera en vigueur le 31 janvier, le pape François réforme le Vicariat de Rome pour lui donner une dimension synodale et missionnaire inédite.

Instituant deux organismes pour lutter contre les abus sur mineurs et renforcer la transparence financière, le pape François accroît surtout son rôle dans la direction du diocèse qu’il déléguait jusqu’à présent largement au cardinal-vicaire, actuellement Angelo De Donatis.

Cette nouvelle Constitution, arrivée sans préavis, compte 45 articles et un préambule au ton musclé dans lequel le pontife argentin justifie son besoin de réformer le diocèse. In Ecclesiarum Communione abroge l’ancienne constitution Ecclesia in Urbe publiée sous Jean-Paul II en 1998, texte qui s’inspirait déjà d’une première constitution parue sous Paul VI en 1977.

Pour le pape François, le diocèse de Rome est tenu à une «mission d’exemplarité» pour l’Église universelle, insiste-t-il en premier lieu. Il dit clairement souhaiter que son diocèse «brille comme un exemple de communion de foi et de charité, pleinement engagé dans la mission d’annoncer le Royaume de Dieu» ; et il confie son désir : «Je rêve d’une transformation missionnaire qui implique pleinement les personnes et les communautés, sans se cacher ou chercher le confort dans l’abstraction des idées». 

Dans le sillage de Praedicate Evangelium, constitution entrée en vigueur en juin dernier qui réforme la Curie romaine, le pape François entend donner à Rome les moyens d’une conversion pastorale et missionnaire avec la mise en place d’une Église synodale, c’est-à-dire, une Église où les laïcs participent activement à la mission, en synergie avec le clergé de la ville.

Un processus synodal pour le choix des curés romains

Dans les 16 pages de la Constitution, le terme «synodal» revient à 12 reprises. Et pour ne pas que ce désir du pape ne reste qu’un vœu pieu, le texte cherche à incarner cette synodalité souhaitée, allant jusqu’à détailler de façon inédite certains processus de prise de décisions. Ainsi, le pape François expose la façon dont un curé de paroisse à Rome sera désormais choisi.

Lorsque le prêtre à la tête d’une paroisse devra être remplacé, c’est l’évêque auxiliaire chargé du secteur de la paroisse qui lancera le processus de nomination du successeur. Mais il devra désormais s’enquérir de l’avis du Conseil paroissial – présidé par le curé et composé avec des laïcs – pour envoyer un premier rapport au Conseil épiscopal. Présidé par le pape François et réunissant les évêques auxiliaires de Rome, le vice-président du Vicariat et le cardinal-vicaire, ce conseil évalue le profil des prêtres du diocèse qui pourraient faire l’affaire.

Les caractéristiques spirituelles, psychologiques, intellectuelles et pastorales des candidats doivent être passées au crible, ainsi que toute expérience acquise dans un service antérieur, précise le texte qui ajoute qu’il faudra aussi demander l’avis des formateurs.

Finalement, le cardinal-vicaire, après avoir terminé le processus, me soumet les candidats à la fonction de curé pour une éventuelle nomination, conclut l’article 19.

La montée en puissance du «Conseil épiscopal« 

Pour un fin connaisseur du droit canon, «le pape François veut par cet article montrer à tous les évêques du monde la façon dont il faut procéder pour nommer un curé». D’une part, la dimension synodale est extrêmement présente puisque la cellule paroissiale est consultée au départ. D’autre part, le Conseil épiscopal prend une dimension nouvelle.

«Ce conseil, qui n’apparaît pas comme important dans le Code de droit canon, devient un lieu décisif pour l’administration du diocèse de Rome», décrypte le spécialiste qui relève que cet organe se retrouve partout dans cette constitution, avec 27 références.

La montée en puissance du Conseil épiscopal s’accompagne mécaniquement de la présence accrue du pape dans la gestion du diocèse de Rome. L’article 21 est éloquent : «Le Conseil épiscopal, qui se réunit au moins trois fois par mois, est présidé par moi», écrit François. «L’ordre du jour de chaque réunion me sera transmis dans les meilleurs délais», précise l’article, qui entérine la perte d’autonomie du cardinal-vicaire de Rome. Celui-ci «agit toujours en communion avec le Conseil épiscopal» et «ne s’écarte de son avis seulement après avoir évalué la situation avec moi».

Cette «mise sous tutelle» du cardinal-vicaire s’accompagne d’un changement symbolique. Dorénavant, le pape compte son vicaire aussi comme un «auxiliaire».

À Rome, certains jugent que le pape François ne s’entend guère avec le cardinal Angelo De Donatis, en poste depuis 2017. «C’est peut-être vrai. Mais on assiste là à un changement de structure et non de personne», pointe le canoniste interrogé par I.MEDIA.

Dans le même temps, le pape François fait monter l’un de ses évêques auxiliaires, Mgr Baldassare Reina, en lui confiant le nouveau rôle de «vice-gérant», dont la charge absorbe les fonctions du «prélat secrétaire général» du diocèse. Il assiste notamment le cardinal vicaire et coordonne l’administration interne de la curie diocésaine.

Transparence et vigilance contre les abus

Autre point important présent dans cette nouvelle constitution : la mise en place de deux structures capables, dans leur domaine respectif, de répondre à des affaires d’abus.

Ainsi, une Commission de vigilance indépendante fait son apparition au Vicariat de Rome. Cet «organe de contrôle interne» est composé de six membres choisis par le pape sur des critères de «compétence juridique, civile et canonique, financière et administrative certifiée».

Ces personnes ont un mandat de 3 ans non renouvelable et doivent faire un rapport au pape chaque année «après s’être réunis mensuellement, et après avoir vérifié le déroulement administratif, économique et des travaux du Vicariat».

Sur le front de la lutte contre les abus sexuels, un «service de la protection des mineurs et des personnes vulnérables» est mis en place. Lui aussi devra rendre compte de son activité au Conseil épiscopal présidé par le pape, omniprésent dans les articles de cette constitution.

«Là aussi, le pape veut faire la démonstration pour les autres évêques de la façon dont on introduit des instruments de contrôle dans un diocèse», reprend le spécialiste. Pour lui, le pape François veut reproduire avec le diocèse de Rome la méthode qu’il applique depuis des années dans l’État de la Cité du Vatican.

L’exemple des mandats de cinq ans, dorénavant attribués aux cadres du diocèse, va dans ce sens. Comme la nouvelle constitution de la Curie Praedicate Evangelium le prévoit, la nouvelle constitution du diocèse de Rome demande «une rotation appropriée du personnel de direction nommé pour une durée de cinq ans», avec des mandats exceptionnellement renouvelables une fois.

Le scandale des ministres infidèles

Enfin, le ton employé par le pape dans le préambule de cette constitution rappelle des admonestations fameuses de François à l’égard de sa Curie, comme le discours de 2014 dans lequel il avait diagnostiqué les 15 maladies présentes dans l’administration centrale de l’Église catholique.

Ainsi, dans In Ecclesiarum Communione, le pape François fait part de son désarroi en ces termes  : «L’Église perd sa crédibilité lorsqu’elle est remplie de ce qui n’est pas essentiel à sa mission ou, pire, lorsque ses membres, parfois même ceux qui sont investis de l’autorité ministérielle, sont source de scandale par leur comportement infidèle à l’Évangile».

Des mots qui résonnent singulièrement quelques semaines après l’éclatement de «l’affaire Rupnik», du nom de ce jésuite slovène mondialement connu pour ses œuvres artistiques et qui est aujourd’hui accusé de nombreux abus sexuels. Juste avant Noël, le cardinal vicaire Angelo De Donatis a réduit cette affaire à des «accusations médiatiques» et a dit n’avoir été au courant que récemment des plaintes concernant le prêtre qui exerce depuis des années une partie de son ministère à Rome.

En plus des accusations d’abus sont remontées des critiques concernant les coûts exigés par l’artiste pour ses œuvres, comme dernièrement, la décoration d’une chapelle à Rome estimée à 1,7 million d’euros. «Sans doute qu’avec cette nouvelle constitution, le diocèse ne pourra plus engager de telles sommes ; tout du moins, la décision sera prise au terme d’un processus transparent et collégial», note enfin le spécialiste. (cath.ch/imedia/hl/mp)

I.MEDIA

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