Benoît XVI et François, le duo inédit de deux hommes en blanc

Un pape émérite à côté d’un pape en exercice. La cohabitation singulière de deux hommes en blanc a marqué la vie du Vatican, ces dernières années. Benoît XVI et François, une complicité affichée mais aussi des différences marquées.

Bernard Litzler, pour cath.ch

Le 28 février 2013, Benoît XVI quitte le Vatican en hélicoptère. Depuis quelques jours, il a renoncé à être le pape régnant. Un événement rarissime dans la vie de l’Eglise. Il quitte Rome, car il ne veut pas peser sur le choix de son successeur.

Le 13 mars 2013, le Conclave désigne son successeur, François. Ce dernier, aussitôt élu, se rend à Castel Gandolfo pour rencontrer Benoît. Emouvantes, les photos des deux hommes en blanc font le tour du monde. Peu après, Joseph Ratzinger, désormais «pape émérite», va retourner à Rome. Il logera au monastère Mater Ecclesiae, au sommet de la colline du Vatican.

Encyclique à quatre mains

Très vite, les deux hommes se rencontrent, à l’initiative de François. Ils s’apprécient, même s’ils n’ont eu que peu d’occasions de se croiser, précédemment: «Mon amitié personnelle avec le pape François n’est pas seulement restée, elle s’est développée», confiera le pape allemand en 2018. Une amitié forgée au fil des rencontres. Benoît, modeste, ne veut pas faire d’ombre à son successeur. Il se perçoit au Vatican comme un fermier bavarois, retiré à l’écart dans le stoeckli, la maisonnette où logeaient les parents retraités.

«Emouvantes, les photos des deux hommes en blanc font le tour du monde»

Le nouveau pontife François détonne, surprend, agace aussi. Le 5 juillet 2013, un geste inédit. Sa première encyclique, Lumen fidei (La lumière de la foi), s’appuie sur les travaux de son prédécesseur. Ce texte écrit «à quatre mains» marque la continuité entre les deux pontifes et complète la trilogie des encycliques de Joseph Ratzinger sur les vertus théologales, foi, espérance et charité.

Différences

Retiré, Benoît XVI est fidèle à sa ligne: le silence, la prière, la réflexion. Quant aux vaticanistes, ils scrutent les gestes de François, les comparant à ceux de son prédécesseur. Les liturgies du pape jésuite sont sobres. Le service de l’autel ne constitue pas, pour Jorge Bergoglio, un thème majeur. Mais bientôt, ses sorties spontanées vont mettre en relief les différences entre les deux hommes en blanc.

En juillet 2013, au retour des JMJ de Rio, François se révèle ouvert à la cause homosexuelle avec son fameux «Qui suis-je pour juger?». Pour Joseph Ratzinger, l’homosexualité a fait des ravages dans l’Eglise. L’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi s’était fait le gardien intransigeant de la morale catholique. François, au contraire, épouse la vision d’une Eglise miséricordieuse, ouverte aux exclus.

«Il se perçoit au Vatican comme un fermier bavarois, retiré à l’écart dans le stoeckli»

Progressivement, François prend ses marques au Vatican. Muet, Benoît XVI n’apparaît que de temps à autre aux côtés du pontife, qui le salue toujours chaleureusement. Il ne reste pourtant pas insensible à l’évolution de l’Eglise.

En juillet 2017, le pape retraité prend la parole. Son secrétaire particulier, Mgr Georg Gänswein, envoyé en Allemagne aux obsèques du cardinal Meisner, lit un texte de son supérieur: «Le Seigneur n’abandonne pas son Eglise, même si le bateau a pris assez d’eau pour être au bord de chavirer». François lui-même n’a-t-il pas parlé «d’hôpital de campagne» à propos de l’Eglise? Et il a, à la fin 2014 vertement sermonné la Curie, accusée de carriérisme et de «pétrification mentale et spirituelle»?

Le film «Les deux papes» raconte les échanges entre le pape François et Benoît XVI (Netflix.com)

En avril 2019, nouvelle rupture du silence, de manière plus forte. Klerusblatt, la revue du clergé bavarois, publie un texte de Benoît XVI à propos de la pédophilie dans l’Eglise. Mais auparavant, le Papa emeritus a consulté François. Son texte dénonce l’effondrement de la théologie morale, la cabale des théologiens contre le Magistère, les évêques critiques envers la Tradition. Du pur Benoît XVI, disent les commentateurs.

Comme un «signal fort», le texte veut «trouver un nouvel élan afin de redonner à l’Eglise sa véritable crédibilité de lumière». Il aborde des sujets familiers au pape émérite: l’explosion sexuelle des années 1960, qualifié de «processus monstrueux», ses conséquences sur la vie du clergé et l’affaissement moral. Joseph Ratzinger conclut par un hommage à François: «Merci Saint-Père!», écrit-il en mettant en exergue «tout ce qu’il fait pour nous montrer continuellement la lumière de Dieu qui, encore aujourd’hui, n’est pas dépassée». Le lien entre les deux hommes apparaît solide.

Un livre avec le cardinal Sarah

Le 28 juin 2019, dans une interview au Corriere della Sera, Benoît XVI renchérit: «Il n’y a qu’un seul pape, c’est François». Le pape allemand estime que «la conscience que l’Eglise est et doit rester unie a toujours prévalu». Comme en retour, François manifeste publiquement, le 9 novembre 2019, lors de la remise du Prix Ratzinger, sa chaleureuse estime pour son prédécesseur. Il reconnaît les mérites de celui qui a su donner «l’exemple d’une recherche de la vérité dans laquelle la raison et la foi, l’intelligence et la spiritualité sont continuellement intégrés».

«’Merci Saint-Père!’, écrit Benoît»

Le Synode sur l’Amazonie, en octobre 2019 à Rome, vient pourtant semer le trouble. Les évêques se prononcent majoritairement pour l’ordination sacerdotale d’hommes mariés. La règle du célibat obligatoire du clergé latin semble vaciller. En janvier 2020, tombe par surprise un niet de Joseph Ratzinger: dans le livre du cardinal Robert Sarah, Des profondeurs de nos cœurs, figure une contribution de Benoît XVI qui rappelle la valeur du célibat sacerdotal, fondé théologiquement.

Les deux papes sur Netflix

Joseph Ratzinger veut-il interférer dans la réflexion du pape, qui à l’époque n’a pas encore donné ses conclusions sur le synode? Les vaticanistes se questionnent. Le 12 février 2020, dans l’exhortation Querida Amazonia, François ne se positionne pas par rapport à l’ordination d’hommes mariés. D’aucuns font remarquer que le pape argentin avait pourtant semblé favorable à l’ordination de viri probati.

«Dans le Corriere della Sera, Benoît XVI précise: ›Il n’y a qu’un seul pape, c’est François’»

Les deux papes, en dépit de leur mutuel respect, sont-ils entrés en concurrence? Les scénaristes du film Les deux papes de la chaîne américaine Netflix exploitent le filon. Benoît XVI, encore en exercice, aurait invité le cardinal Bergoglio pour des discussions passionnantes, qui marquent bien les options pastorales de l’Allemand et l’Argentin. Scénario fictif, mais succès de télévision qui exacerbe artificiellement les différences.

«Un révolutionnaire»

Dans Benoît XVI. Une vie, la biographie de Peter Seewald publiée en mai 2020, le pape émérite honore à nouveau son successeur. Ce dernier lui a permis de vivre en pape émérite, comme un évêque vit avec son successeur. Mais «un siège d’évêque ne peut avoir qu’un seul titulaire». Et ce «lien spirituel ne peut être enlevé en aucune circonstance».

Comme en retour, le 9 septembre 2020, dans Terrafutura, un livre d’entretiens avec Carlo Petrini, inventeur du mouvement «Slow Food», François rend un hommage appuyé à Benoît: il rappelle que son prédécesseur avait affirmé que l’Église devait grandir par attraction, et non par prosélytisme. «C’est pour cela que je me mets en colère quand on dit que Benoît est un conservateur. Benoît a été un révolutionnaire! Dans tant de choses qu’il a faites, dites, il a été un révolutionnaire».

La vie de l’Eglise fut ainsi marquée, ces dernières années, par le duo Ratzinger – Bergoglio. Le pape allemand et le pape argentin ont su, chacun à sa place, marquer leur espace, sur la base d’un lien fait d’estime et de proximité. (cath.ch/bl)

Rédaction

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