Carole Pirker, pour cath.ch
En mars 2006, Benoît XVI l’affirme: «L’Eglise a une grande dette envers les femmes». Depuis son élection, le 19 avril 2005, le pape allemand se montre préoccupé par leur place au sein de l’Eglise catholique. Pour les femmes, tous les espoirs semblent permis. Ne leur a-t-il pas reconnu les qualités pour occuper des fonctions de responsabilité? N’est-il pas entouré de femmes avec lesquelles il a développé de fortes amitiés intellectuelles, telle Ingrid Stampa, cette théologienne qui a longtemps traduit ses textes?
«L’homme était très humble, le contre-exemple du pape superstar Jean Paul II», indique Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix qui a été l’envoyée permanente du journal au Vatican durant son pontificat. «C’était un homme fin, se souvient-elle. Il n’était pas misogyne, mais sa vision était très conservatrice au plan ecclésial». Pourtant, les femmes ont dû déchanter. Dans Benoît XVI, le pape incompris, le livre que la journaliste lui a consacré en 2008, seules cinq pages sur les 216 que compte l’ouvrage leur sont consacrées. Un aveu en creux des faiblesses de son pontificat.
Benoît XVI s’oppose à l’ordination de femmes-prêtres, car il estime que le ministère sacerdotal est réservé aux hommes. «Pour lui, précise Isabelle de Gaulmyn, cette impossibilité ne vient pas des hommes, mais du Christ qui préside et transmet l’eucharistie comme les autres sacrements. La femme ne peut donc être que laïque et il n’y a pas de pouvoir pour les femmes, car elles sont laïques».
«Benoît XVI un homme fin. Il n’était pas misogyne, mais sa vision était très conservatrice au plan ecclésial»
Isabelle de Gaulmyn
Dans la vision de Benoît XVI, et malgré les espoirs soulevés par le concile Vatican II (voire encadré), la gouvernance de l’Eglise reste un bastion exclusivement masculin. «Les laïcs – et toutes les femmes sont des laïques – peuvent coopérer à la gouvernance, mais seuls les ordonnés peuvent détenir le pouvoir de gouvernance», confirme Phyllis Zagano, chercheuse et professeure adjointe de religion à l’Université Hofstra, dans l’Etat américain de New York.
Lors de la révision de 1983 du Code de droit canonique, détaille la spécialiste américaine, il y avait deux écoles concurrentes. L’une proposait une révision du Code avec le texte: «Les fidèles laïcs peuvent participer à l’exercice de ce même pouvoir selon la norme du droit». Mais, des deux écoles de pensée, l’école «romaine» a fait place à la formulation plus conservatrice de l’école «munichoise»: «Le terme ‘participer’ a donc été remplacé par ‘coopérer’, et ce terme, proposé par le cardinal Ratzinger et accepté par la plénière, est maintenant dans le Code.»
Pourtant, et c’est toute la complexité du personnage, le pape émérite reconnaît aux femmes des responsabilités «de haut niveau» à l’époque de Jésus et dans l’Eglise primitive. Que ce soit la prophétesse Anne, la Samaritaine, la Syro-Phénicienne de Marc ou la veuve chez Luc, l’Evangile fourmille d’exemples de telles femmes. Plus significatif encore, poursuit Isabelle de Gaulmyn, le pape reconnaît leur rôle dans la mission de Jésus: «Elles ont été les premiers témoins de sa résurrection et Benoît XVI lui-même note que les femmes, contrairement aux hommes, n’ont pas abandonné Jésus lors de sa passion».
L’ancien pontife leur reconnaît aussi un rôle charismatique et pourrait imaginer les voir enseigner et «porter la parole du Dieu de l’Evangile». En février 2006, en visite à la paroisse Sainte-Anne du Vatican, il mentionne «toutes ces femmes qui aident toujours à connaître la parole de Dieu, non seulement avec l’intellect, mais le cœur». Il cite les sœurs des Pères de l’Eglise, comme saint Ambroise, les grandes femmes du Moyen-Age, sainte Hildegarde, sainte Catherine de Sienne, puis sainte Thérèse d’Avila et jusqu’à Mère Teresa. Elles sont, poursuit-il, de «vraies évangélistes».
«Le fait que l’Eglise ait établi d’autorité qu’elle n’a pas le pouvoir d’ordonner des femmes prêtres soutient l’idée d’une restauration possible de femmes comme diacres ordonnées»
Phyllis Zagano
A Sainte-Anne se trouve aussi, ce jour-là, l’abbé Marco Valentini qui demande à son évêque pourquoi les femmes ne peuvent pas jouer un rôle plus important dans la gouvernance et le ministère de l’Eglise: «Ce travail charismatique est distinct du ministère dans le sens strict du terme, lui répond Benoît XVI. Mais il s’agit, assure-t-il, d’une participation réelle et profonde à la gouvernance de l’Eglise». Or Isabelle de Gaulmyn le confirme: «Benoît XVI n’a jamais institutionnalisé ce rôle d’évangélisation».
Alors… ordonner des femmes diacres? «C’est une piste qu’il a explorée, répond la journaliste. Mais là aussi, on aboutit à une impasse, car aux yeux de Benoît XVI, un diacre est un ‘pré-prêtre’. Accorder le diaconat aux femmes ouvrirait la porte aux femmes prêtres, ce qui est une hérésie théologique pour lui».
En 1997, la Commission théologique internationale s’était pourtant prononcée en faveur du diaconat féminin, atteste Phyllis Zagano, mais son président à l’époque, le cardinal Ratzinger, avait refusé de le signer. Celle qui a participé, en 2016, à la première commission du pape François sur le diaconat féminin, en est convaincue: «Le fait que l’Eglise ait établi d’autorité qu’elle n’a pas le pouvoir d’ordonner des femmes prêtres soutient l’idée d’une restauration possible de femmes comme diacres ordonnées».
En définitive, lâche sans concession Isabelle de Gaulmyn à l’heure du bilan, «c’est un zéro pointé. Benoît XVI a eu quelques jolies formules, mais il n’a rien fait pour faire avancer les choses. Sa vision cléricale, qui veut que les clercs soient des hommes et que ce soit eux qui gouvernent l’Eglise, a empêché la structure ecclésiastique d’évoluer». (cath.ch/cp)
Vatican II et le mouvement des femmes
Pour les femmes en Eglise, qui ont fait du lien entre foi et engagement social la source de leurs revendications pour être reconnues dans l’institution, les appels du concile Vatican II (1962-1965) ont fait naître de grands espoirs. La Constitution sur l’Eglise réaffirme qu’il n’y a pas d’inégalité dans le Christ et la Constitution pastorale Gaudium et spes (1965) évoque la discrimination fondée sur le sexe comme contraire au dessein de Dieu. Or, si Paul VI magnifie la femme, il la resitue dans son rôle traditionnel d’épouse, de mère, d’éducatrice et de gardienne de la foi.
Un an plus tard, en 1967, son encyclique Humanæ Vitæ douche l’enthousiasme de milliers de femmes catholiques, qui s’attendaient à plus d’ouverture sur la question de la régulation des naissances. Après Jean Paul II, qui tranche en 1994 la question du sacerdoce catholique romain, qui ne peut être conféré aux femmes, Benoît XVI Il fait de la mise en œuvre de Vatican II la priorité de son pontificat (2005 – 2013). Il maintient la position ferme de l’Eglise sur la famille, fondée sur le mariage hétérosexuel et ouverte à la vie, prônant la fidélité et l’abstinence, ce qui engendre de vifs débats et critiques. CP
Rédaction
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