Benoît XVI et les traditionalistes: chronique d'un échec

Un des échecs les plus cuisants du pape Benoît XVI fut celui de ses tentatives de réconciliation avec les traditionalistes schismatiques de Mgr Lefebvre. Malgré trente ans d’efforts et de concessions, comme cardinal puis comme pape, il termina son pontificat sans véritable rapprochement avec les intégristes.

Les intégristes de Mgr Lefebvre, Joseph Ratzinger les connaît bien, au moins depuis son arrivée à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi à la fin de 1981. Comme préfet puis comme pape, il n’a pas vécu une année sans rencontres formelles et informelles, sans échanges de courrier, sans commissions de dialogue, sans groupe de travail, sans rapports… Le cardinal Ratzinger reçoit plusieurs fois Mgr Lefebvre, puis ses successeurs, après la mort du prélat en 1991.

L’histoire retient de l’action de Benoît XVI surtout deux gestes spectaculaires. Le premier est la publication du Motu proprio Summorum Pontificium en 2007 par lequel le pape permet la célébration de la messe selon l’ancien rite tridentin en latin (rite extraordinaire), sans avoir à requérir une autorisation de l’évêque local. Du côté des progressistes, ce geste à l’égard de la tradition passe mal.

La gifle d’un pape allemand aux victimes de l’holocauste

Le deuxième, en 2009, est la levée des excommunications des quatre évêques ordonnés illicitement par Mgr Lefebvre en 1988. Cette décision, que le pape voulait d’apaisement, suscita au contraire un tollé général par le fait qu’un des quatre évêques, le Britannique Richard Williamson, était connu comme un révisionniste niant la Shoah. L’emballement médiatique fut tel qu’il fit passer la main tendue aux Lefebvristes pour la gifle d’un pape allemand aux victimes juives de l’Holocauste. Benoît XVI s’en expliqua et s’en excusa. «Nous avons hélas accompli un mauvais travail d’information du public si bien que personne n’a vu le contenu réel et juridique de ce processus, ni ses limites […] Mais évidemment, on est toujours plus malin après coup,» expliquait Benoît XVI à son biographe Peter Seewald.

2012: retour à la case départ

Un nouveau round de négociations avec la Fraternité sacerdotale saint Pie X s’ouvrit néanmoins entre 2009 et 2011. En 2012, on se croit arrivé à bout touchant d’un accord en vue de la réintégration des traditionalistes dans le giron de l’Eglise. Mais une fois encore, l’édifice branlant patiemment construit s’écroule. «C’est un retour à zéro. Nous sommes exactement au même point que Mgr Lefebvre dans les années 1974-1975. (aux débuts de la de la FSSPX, ndlr)», avouera Mgr Bernard Fellay le supérieur de la Fraternité. Le même Fellay affirmera, en 2014, que juste avant sa renonciation, le pape Benoît tenait prêt sur son bureau le décret d’excommunication de la FSSPX.

L’héritier de Vatican II

Pour certains observateurs, cet intérêt et ce souci constant de Joseph Ratzinger envers les traditionalistes serait la preuve de son esprit réactionnaire et conservateur. Il était certes amateur des belles liturgies anciennes, et critiquait vivement les dérives post-conciliaires, mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que les divergences avec les intégristes vont bien au-delà de la messe en latin. Elles concernent la liberté religieuse, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, des sujets sur lesquels le pape Ratzinger s’est montré l’héritier fidèle du concile Vatican II.

Mgr Lefebvre lui-même ne s’y trompait pas. Interrogé un jour par Mgr Henri Schwery, alors évêque de Sion, (diocèse dans lequel se trouve le séminaire d’Ecône), il éclata de rire: «Mais cela n’a rien à voir avec la liturgie!».

Une curie naïve

D’autres voudraient y voir une certaine naïveté de la Curie romaine, face à des gens à la fois assez nombreux, pieux, zélés et courtois. Ce que les progressistes en conflit avec Rome n’étaient guère. Le cardinal Ratzinger ne se fait lui aucune illusion. «Le cercle s’est tellement refermé sur lui-même et Mgr Lefebvre et ses partisans se sont si bien retranchés dans une sorte de fanatisme de ceux qui croient être dans leur droit, que je ne vois pas comment cela pourrait évoluer. Leurs opinions sont devenues assez rigides», répond-il dans une interview en 1989.

L’union des brebis dans un même bercail

La motivation de Joseph Ratzinger à poursuivre le dialogue avec les intégristes, envers et contre tout, suscitant souvent la critique, doit plutôt être recherchée dans son désir de résoudre les fractures au sein de l’Eglise, comme il l’a affirmé dès le lendemain de son élection. Pour un pape, l’union de toutes les brebis dans un même bercail n’a pas de prix. Il considère aussi qu’au-delà d’une certaine mauvaise foi des dirigeants de la Fraternité, de nombreux laïcs adhérent au mouvement avec sincérité et y sont attachés pour des raisons affectives et familiales. Pour lui, ces personnes ont le droit à une normalisation de leur statut ecclésial.

Blessure d’amour-propre

Selon une analyse plus psychologique, Joseph Ratzinger n’aurait jamais vraiment digéré les événements du printemps 1988. C’est lui qui avait eu alors la tâche de négocier avec Mgr Lefebvre pour éviter le schisme qu’allait impliquer l’ordination d’évêques le 30 juin sans l’aval de Rome. Il parvint à lui faire signer, le 5 mai 1988, l’accord proposé par le pape Jean Paul II. Mais dès le lendemain, le prélat dissident se rétractait.

Vingt-cinq ans après les faits, Mgr Schwery, devenu entre-temps cardinal, s’en souvenait: «Au début mai 1988, je reçois un téléphone du cardinal Ratzinger me demandant de venir à Rome le lendemain pour prendre acte que la commission a soumis ses conclusions au pape qui les a acceptées et que le document a été soumis à Mgr Lefebvre qui l’a signé ce jour même», expliquait-il à l’Apic en 2012.»Je lui ai alors demandé si Mgr Lefebvre était encore à Rome […]. A sa réponse positive j’ai réagi: Alors c’est foutu ! – Pourquoi ? – Parce que tout son état-major est là-bas. Or chaque fois que Mgr Lefebvre m’a promis quelque chose, le lendemain il a changé d’avis après avoir consulté ses proches collaborateurs.[…]  Le cardinal Ratzinger m’a sérieusement repris – ’Vous ne devez pas être pessimiste. Venez demain. C’est signé. […]Je me suis donc présenté le lendemain vers 10h du matin à Rome. Le cardinal avait le visage plutôt allongé. […] Il m’explique que malheureusement Mgr Lefebvre avait téléphoné dans la soirée pour dire qu’il retirait sa signature. Hélas !»

Sentiment de culpabilité, blessure d’amour-propre? Joseph Ratzinger se fit depuis un point d’honneur de mettre toute son énergie dans la recherche d’une solution. Une volonté qu’il conservera en tant que pape.

Une attitude mal perçue

L’attitude de Benoît XVI sera mal perçue par certains catholiques qui ne comprennent pas pourquoi il accepte de faire d’importantes concessions aux dissidents traditionalistes alors qu’il semble ne pas tendre la main à l’aile progressiste.

D’un point de vue tactique, il faut cependant considérer que la stratégie du Vatican n’a pas été totalement inefficace. La création de la commission Ecclesia Dei a permis de réintégrer les personnes qui refusaient le jusqu’au boutisme de Mgr Lefebvre et de ses partisans. Moins d’un mois après les ordinations illicites, le 23 juillet 1988, la Fraternité St-Pierre, qui regroupe des anciens membres de la FSSPX, était reconnue. D’autres communautés, comme les bénédictins du Barroux, ou plus tard l’Institut du Bon Pasteur, ainsi que des individus suivront le mouvement de ralliement à Rome. Ils seront qualifiés de traîtres par la FSSPX.

De même, la libéralisation de la messe tridentine en 2007 coupe l’herbe sous le pied des intégristes qui ne peuvent plus se présenter comme les défenseurs exclusifs de la ‘messe de toujours’. Cette mesure permet ainsi de régulariser et de pacifier la situation des traditionalistes dans nombre de diocèses.

En effet, l’idée même du dialogue avec Rome provoque des querelles incessantes au sein de la FSSPX, entraînant des exclusions et des dissidences. Cette multiplication de chapelles, toujours plus sectaires, finit par nuire à l’unité et à la visibilité du mouvement traditionaliste.

Benoît XVI a laissé à son successeur un dossier ouvert. Le pape François a tranché, pour certains brutalement, en mettant fin en 2021 avec son motu proprio Traditionis Custodes aux autorisations accordées par Summorum Pontificium en 2007. (cath.ch/mp)  

Maurice Page

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/benoit-xvi-et-les-traditionalistes-chronique-dun-echec/