Benoît XVI a marqué un tournant dans les relations avec l’islam

Le début du pontificat de Benoît XVI avait été marqué par une très violente polémique suite à son discours de Ratisbonne (2006) à partir duquel le pontife allemand fut accusé de faire un lien direct entre la violence et l’islam. Pour Vincent Aucante, auteur du livre Benoît XVI et l’islam (Parole et Silence, 2008), ce discours a paradoxalement ouvert la voie à un dialogue plus étroit avec certaines composantes de l’islam.

Hugues Lefevre, I-Media

Le pape François, par ses gestes et ses rencontres spectaculaires avec le monde musulman, a poursuivi la séquence d’ouverture et de dialogue initiée par son prédécesseur.

L’islam était-il un sujet qui intéressait Benoît XVI. Maîtrisait-il les différents courants qui le traversent ? 
Benoît XVI connaissait la diversité de l’islam avant d’être élu pape et était attentif à la question des relations entre islam et christianisme. Même s’il n’a pas consacré de grands discours à ce sujet, ce n’était pas une question marginale pour lui. Une fois devenu pape, il est évident qu’il a continué à s’intéresser aux composantes de l’islam, un pape ne pouvant faire autrement, ne serait-ce qu’au regard de l’attention portée aux chrétiens d’Orient.

De Benoît XVI, beaucoup ne retiennent que son discours de Ratisbonne qui avait eu de graves répercussions. Il avait été accusé de faire un lien entre la violence et l’islam. Est-ce un mauvais procès intenté à Benoît XVI? 
C’est un mauvais procès, d’abord parce que le cœur du discours de Ratisbonne n’est pas l’islam en tant que tel mais le rapport entre la croyance en Dieu et la raison. Dans le sillage de Jean Paul II, le pape Benoît XVI avance l’idée que foi et raison doivent discuter et avancer ensemble. Selon lui, on ne peut pas avoir d’un côté un monde de la théologie privé d’une réflexion rationnelle et de l’autre côté, un monde des sciences qui ignore tout de la foi et de la théologie.
Pour lui, cette rupture entre foi et raison engendre à la fois une dégradation morale – côté universitaire – et des manifestations de violence – côté religieux. Quand le monde universitaire met de côté la foi et la théologie, alors il se trouve pris dans des chemins de traverse qui mènent à des impasses morales. De la même manière, dans le domaine religieux, la foi sans la raison conduit à la violence.

Pour exprimer cela, Benoît XVI est allé chercher un exemple d’un dialogue fictif entre un empereur chrétien et un savant musulman. Il aurait pu tout autant prendre un chrétien et un hindou…
Ou bien même deux chrétiens ! L’histoire du catholicisme ne manque en effet pas d’exemples de croyants qui considèrent qu’il n’est pas possible d’user de la raison pour accéder au divin. Toutefois, dans le discours de Ratisbonne, je ne crois pas que sa référence à l’islam soit anecdotique. Cela a été considéré sur le moment comme une provocation à l’égard des musulmans. Je pense personnellement qu’il s’agissait vraiment d’une question ouverte adressée aux intellectuels musulmans, Benoît XVI leur demandant si l’islam est capable d’une approche rationnelle et d’entrer en dialogue avec les autres religions.

Pourquoi ce discours a-t-il provoqué une flambée de violences dans une partie du monde musulman ? On rappelle que des églises ont été attaquées et qu’une religieuse a été assassinée en Somalie.
Peu de monde a lu ce discours. La plupart des réactions dans le monde musulman ont fait suite à la publication d’un article dans le New-York Time. Celui-ci en faisait un résumé orienté et le monde musulman a réagi à cette recension. L’Osservatore Romano a publié le texte en arabe pour que les musulmans puissent accéder au contenu du discours. Il a fallu un certain temps pour que des auteurs musulmans expriment des positions plus nuancées, rappelant que l’enjeu était bien le dialogue entre la foi et raison, une problématique présente dans l’islam. Parmi ces intellectuels on peut citer l’Algérien Mustapha Cherif, ancien ministre de l’Éducation et diplomate.
Les réactions à ce discours ont mis en avant les deux options exposées : Dieu est irrationnel, seule compte la foi – une option qui peut générer une forme de violence. Ou bien, l’homme peut accéder à la raison divine : une option qui ouvre la fenêtre au dialogue.

Comment Benoît XVI a-t-il réagi aux violences qui ont suivi son discours ?
Le pape a été très surpris. Il ne s’attendait pas à cette vague de violences. Il a très rapidement réagi en faisant plusieurs mises au point. La communication officielle du Vatican a fait un grand travail pour expliquer l’esprit du discours. Les ambassadeurs de plusieurs pays à majorité musulmane ont rapidement été reçus à Castel Gandolfo par Benoît XVI. Deux mois plus tard, il s’est rendu en Turquie où il a posé plusieurs gestes forts, en s’arrêtant notamment dans la Mosquée bleue.

Peut-on dire que le pontificat de Benoît XVI marque un tournant dans l’histoire récente des relations entre islam et catholicisme ? 
Oui, de manière très claire et positive. Suite au discours, plusieurs lettres d’autorités islamiques ont été envoyées au Vatican. Une commission officielle de dialogue a été créée par Benoît XVI et confiée au cardinal Jean-Louis Tauran. Très discrète, elle a permis de nouer des échanges entre l’Église latine et certaines composantes de l’islam. Je pense qu’aujourd’hui, la lettre co-signée en 2019 par le pape François et le grand Imam Al Tayyeb est un fruit lointain de ce nouveau dialogue qui s’est instauré après la polémique de Ratisbonne. L’Esprit Saint a fait son œuvre et a utilisé les réactions violentes à ce discours pour favoriser une relation plus pacifique.

Le pape François a effectivement multiplié les gestes à l’égard des musulmans. S’inscrit-il donc finalement dans la continuité du pontificat de Benoît XVI ?
Sur la question de l’islam, il me semble que oui. Le pape François poursuit la séquence d’ouverture et de dialogue. Cependant, l’approche des deux papes n’est peut-être pas la même, Benoît XVI ayant surtout tendu la main pour un dialogue au niveau de la raison. Le pape François a davantage un objectif pratique et veut manifester le fait qu’il est possible de rechercher ensemble un monde de paix. Il rappelle par ailleurs que Dieu ne peut jamais cautionner la violence. Si les résultats obtenus par François sur la question du rapport avec l’islam sont remarquables, on peut dire que l’exigence et l’ambition intellectuelle de Benoît XVI dans ce dialogue n’est pas encore pleinement réalisée.

Et Benoît XVI s’inscrivait-il aussi dans la continuité du pontificat de Jean-Paul II sur ce sujet ?
Il n’y a pas de rupture entre Jean-Paul II et Benoît XVI sur la question de l’islam mais il y a un prolongement beaucoup plus ambitieux. Jean-Paul II avait développé dans un discours à Casablanca l’esprit de Nostra Aetate [déclaration du concile Vatican sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes, ndlr] en expliquant que musulmans et chrétiens ont le même Dieu, que tous doivent œuvrer pour la paix et qu’il n’y a pas de raison de s’opposer dans la violence. Il s’agissait d’un discours dont le ton rappelait aussi les rencontres d’Assise. Je pourrais dire que Jean-Paul II a fait des premiers pas pour se rapprocher de l’islam et Benoît XVI, en théologien, a estimé qu’il était temps d’aller un peu plus loin, sur le plan de la raison. (cath.ch/imedia/hl/mp)

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