«J’aurais dû mourir à la naissance», lance Sœur Claire dès la première ligne de l’ouvrage d’entretiens que la supérieure générale a accordés au journaliste Olivier Toublan (Religieuse et chef d’entreprise, entretiens avec Sœur Claire, ed. Saint-Augustin, 2015). Renée Donnet-Descartes, de son nom à la ville, qui a présidé aux destinées de la congrégation des Sœurs de Saint-Augustin durant 20 ans a bien failli ne jamais ouvrir les yeux.
Noire à la naissance, elle respire mal, les parents la croient condamnée. La sage-femme la secoue violemment et la sauve. Et la baptise dans la foulée, on ne sait jamais… Sœur Claire est née le 15 août à Monthey (VS), jour de l’Assomption, alors que les cloches de la grand-messe sonnaient. Elle sera officiellement baptisée quelques jours plus tard, à la Saint-Augustin. «Autant de signes que Dieu m’a donnés en cadeau», estime-t-elle.
«On a eu peu, mais on n’a manqué de rien. Cela me servira toute ma vie»
Dernière d’une fratrie de cinq enfants, elle a vécu une enfance pauvre, mais heureuse sur les coteaux de Monthey. Sa maman travaille au verger et son papa à la vigne. Un dur labeur dont ils tirent des petits revenus sur les marchés. Le train de vie de la famille est plus que modeste, «on a eu peu, mais on n’a manqué de rien. Cela me servira toute ma vie.»
La vocation ne prend pas ses racines dans le milieu familial. Pas de prière en famille, ni avant les repas, la foi n’est pas démonstrative. Néanmoins, la famille va à la messe dominicale. La première «grande affaire religieuse» de Renée Donnet-Descartes est la première communion, «un souvenir fort», mais pas encore de vocation, même si son frère séminariste lui écrit pour l’occasion: «Tu diras toujours ›oui’ à Jésus». «C’est une sentence qui m’a profondément marquée.»
La future religieuse quitte l’école primaire à 13 ans et choisit l’Ecole de commerce de Monthey, tenue par les Sœurs de Saint-Joseph. Elle y passe quatre ans, dont trois à l’internat où la vie en communauté lui plaît, et où elle évolue «dans une atmosphère très religieuse, pas du tout bigote». La vocation se précise à l’âge de 19 ans lors d’un pèlerinage à Assise avec un groupe de jeunes emmenés par le Père Paul de la Croix. Sur les marches qui mènent au tombeau de saint François, elle prie et vit une expérience mystique: «Et si toi aussi tu quittais tout pour Jésus?»
A 17 ans, diplômée de l’école de commerce, elle entre comme secrétaire à l’œuvre Saint-Augustin. En fait, elle a pris la place qu’une amie lui a proposée. Elle est engagée après un entretien. «A quoi tient un destin!»
Au printemps 1959, elle entre au noviciat, chez les sœurs de Saint-Augustin après avoir longuement prié. Les proches et la famille ne sont pas surpris, ayant constaté sa présence régulière à la messe et son fort engagement dans les mouvements de jeunesse catholiques. Sœur Claire prononce ses vœux temporaires en 1961, puis des vœux perpétuels en 1965, à 33 ans. Une année plus tard que prévu, tant la jeune novice montre une certaine indépendance d’esprit qu’il faut canaliser.
Entre temps, la congrégation l’a envoyée à Lomé, au Togo, comme responsable de l’école professionnelle du diocèse de Lomé où la congrégation s’est dévelopée. «Sœur Claire élue. Venir au plus tôt», indique le télégramme qui lui apprend son élection «totalement inattendue» au Chapitre général en tant que conseillère. Elle est de retour en Suisse en juin 1968.
«Voilà que j’allais participer aux prises de décisions qui n’allaient pas changer ma seule vie, mais aussi celle des autres». Une nouvelle ère s’ouvre pour la religieuse. Vient le temps du questionnement sur la responsabilité dans une congrégation avec un fonctionnement de Petite et Moyenne Entreprise (PME), une tension qui l’animera tout au long des 20 années qui vont suivre où elle sera élue supérieure générale à plusieurs reprises: en 1981, à seulement 48 ans, en 1986, en 1999 et en 2006. Une charge et un service avant tout pour Sœur Claire, mais qui lui donnent de facto la fonction de cheffe d’entreprise. Même pour une congrégation religieuse
Avec des décisions difficiles à prendre, notamment en 1980 où l’imprimerie, trop coûteuse à entretenir, est vendue et une vingtaine d’employés licenciés (la plupart seront repris par l’entreprise qui a racheté l’installation). Un laïc est nommé à la direction générale pour la première fois afin de redresser l’entreprise.
«On peut être chrétien et patron d’entreprise efficace, j’en suis complètement convaincue. Mais c’est un défi permanent»
Dans les années 1960, l’œuvre de Saint-Augustin compte jusqu’à 100 employés qui publient des bulletins paroissiaux, éditent des livres et vendent des vêtements liturgiques, ce qui en fait la plus grosse PME de la région. Dans les mois fastes, 165’000 exemplaires des bulletins paroissiaux en français sortent des rotatives et sont expédiés dans 270 paroisses. Les bulletins en allemand représentent 70’000 exemplaires pour 170 paroisses. «Or notre but est d’annoncer la Parole de Dieu par la presse, pas gérer une entreprise».
«On peut être chrétien et patron d’entreprise efficace, j’en suis complètement convaincue. Mais c’est un défi permanent», admettait Sœur Claire. Un défi qu’elle essaiera de relever tout au long des années passées à la tête de la congrégation. «Elle n’était pas une cheffe, mais une partenaire dans une relation de bienveillance. Elle se considérait comme une secrétaire de rédaction», se souvient André Kolly, directeur du comité de Cath-info. Il l’a côtoyée à la rédaction romande, à laquelle il a collaboré de 1973 à 1988.
«Bien mieux, elle avait le souci de former une famille rédactionnelle et de mettre de la cohésion dans des réunions parfois houleuses». Ce qui ne fut pas aisé, tant les débats étaient vifs lors des séances de rédaction du bulletin romand entre les tenants du Concile Vatican II et ceux de la tradition.
«Elle était très reconnaissante du travail accompli. Elle avait ce souci de la Parole de Dieu à transmettre à travers des contenus nourrissants à offrir aux lecteurs», appuie Pascal Ortelli, responsable des Éditions Saint-Augustin. Il évoque une femme énergique.
Son départ est pour lui inattendu, tant il l’a trouvé sereine et vive, lorsqu’il l’a vue le 16 décembre dernier. La religieuse s’était remise de problèmes de santé dus à un été caniculaire. «Nous avons échangé un bon moments. Elle avait lu les derniers livres publiés et elle était informée des contenus de certains bulletins. Elle était passionnée de presse catholique et elle a toujours porté le souci des bulletins paroissiaux».
«Un véritable apostolat, rare et précieux pour la presse catholique», résume le responsable des éditions. Celle qui fut «une grande dame des médias catholiques» était membre de la commission préparatoire nationale des médias lors du Synode 1972 à laquelle elle participa activement. (cath.ch/bh)
> L’ensevelissement aura lieu à l’église paroissiale Saint-Sigismond à Saint-Maurice, le samedi 31 décembre à 10h
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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