Le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, le 24 février 2022 à l’aube, a suscité la même consternation au Vatican que dans les chancelleries occidentales. Court-circuitant les usages diplomatiques traditionnels, dès le lendemain, le vendredi 25 février, le pape François se rend en personne dans les locaux de l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour y rencontrer l’ambassadeur Alexandre Avdeev et tenter d’obtenir un contact téléphonique direct avec Vladimir Poutine.
Reçu à trois reprises par le pape François entre 2013 et 2019, le président russe, qui avait téléphoné au pontife le 17 décembre 2021 pour son 85e anniversaire, ne daignera pas donner suite aux tentatives de prises de contact venues de Rome. Le plus haut niveau de rencontre diplomatique se joue le 22 septembre 2022 en marge de l’assemblée générale des Nations Unies, à New York, lorsque le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, rencontre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Rien ne filtrera de cet échange, mais la dénonciation de la menace nucléaire représentera un axe essentiel du plaidoyer international du Saint-Siège durant cette assemblée onusienne.
Vis-à-vis de la Russie, le pape aura tenté une approche sur deux fronts: un dialogue direct avec Vladimir Poutine, et surtout le maintien d’une ‘diplomatie œcuménique’ avec le Patriarcat de Moscou, six ans après le sommet historique organisé entre le pape François et le patriarche Cyrille à l’aéroport de La Havane, le 12 février 2016.
À partir de février, aggravant le schisme interne à l’orthodoxie ukrainienne, le patriarche Cyrille multiplie les interventions faisant de cette offensive en Ukraine une sorte de ‘guerre sainte’ de la Russie contre un Occident jugé décadent. Dans les semaines qui suivent, le pape et le Saint-Siège, tout comme le Conseil œcuménique des Églises (COE), tentent toutefois de maintenir le contact avec l’orthodoxie russe.
Le pape François et le patriarche russe échangent en visioconférence le 16 mars. Le Saint-Siège affirme alors vouloir tout faire «pour aider la paix, pour aider ceux qui souffrent, pour chercher des voies de paix, pour arrêter le feu». L’hypothèse d’un double voyage du pape à Kiev et à Moscou, difficilement réalisable mais évoquée à plusieurs reprises par le pontife au fil de ses différents entretiens et voyages, s’inscrit aussi dans cette optique.
Le 7 juin, l’éviction inattendue du Métropolite Hilarion, qui était considéré comme le principal artisan du rapprochement de l’orthodoxie russe avec l’Église catholique, semble fragiliser le dialogue avec Rome. Le nouveau responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou, le Métropolite Antoine, rencontrera toutefois le pape à deux reprises: d’abord reçu au Vatican le 5 août, il le retrouve en marge du sommet interreligieux au Kazakshtan, le 14 septembre.
Mais malgré la politesse de façade, une certaine froideur ressort des propos du métropolite devant la presse. Il critique les propos tenus par le pape le 3 mai dans un entretien au Corriere della Sera, où l’évêque de Rome avait dit son inquiétude de voir le patriarche Cyrille devenir un «clerc d’État» et «un enfant de chœur de Poutine». «Il est clair que les expressions de ce genre ne sont pas utiles pour l’unité des chrétiens», confie le métropolite Antoine, avouant sa «surprise» face aux déclarations du pape. Le projet d’une rencontre directe entre les deux chefs d’Église ne se concrétisera pas, malgré un projet de sommet à Jérusalem en juin.
Sur un plan politique, le pape suscite la colère de Moscou à la suite d’une interview publiée le 28 novembre par la revue America, dans laquelle il attribue aux Tchétchènes et aux Bouriates la responsabilité des principales exactions de l’armée russe en Ukraine. Durant les journées suivantes, lors d’un puissant piratage informatique des sites du Vatican, des suspicions se tourneront vers la Russie, toutefois sans confirmation officielle.
L’Ukraine exprimera aussi parfois son incompréhension face à certaines déclarations hasardeuses du pontife. Au Corriere della Sera, le pape évoque «les aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie», donnant l’impression de reprendre les éléments de langage du Kremlin. Cette déclaration lui vaudra de vives critiques dans les pays protégés par l’OTAN, notamment la Pologne.
Lors de l’audience générale du 24 août, jour de la Fête de l’indépendance ukrainienne, le pape suscite la «déception» de l’ambassadeur d’Ukraine en rendant hommage à «cette malheureuse jeune femme morte à cause d’une bombe sous le siège de sa voiture à Moscou», en référence à l’assassinat de la militante ultranationaliste russe Daria Douguina.
La polémique provoquée par ces propos du pape suscitera la publication six jours plus tard d’une note de la secrétairerie d’État assurant que les interventions du pape concernant «la guerre à grande échelle en Ukraine, initiée par la Fédération de Russie» sont «claires et sans équivoque pour la condamner comme moralement injuste, inacceptable, barbare, insensée, répugnante et sacrilège».
Au long de plus de 130 interventions publiques en faveur de «l’Ukraine martyrisée», le pape François a surtout multiplié les signes de compassion vis-à-vis de la population ukrainienne. L’aide humanitaire du Saint-Siège s’articule notamment autour de plusieurs visites du cardinal Konrad Krajewski, préfet du dicastère pour le Service de la charité, qui essuie des tirs lors de son passage à Zaporijia, le 17 septembre. L’image du cardinal polonais à genou devant le charnier de Boutcha, le Vendredi Saint, marquera aussi les esprits.
Le cardinal Krajewski est aussi envoyé au sanctuaire de Fatima, le 25 mars, jour de la fête de l’Annonciation, alors que le pape François prononce, dans le cadre d’une célébration pénitentielle à la basilique Saint-Pierre de Rome, une prière de consécration de l’Ukraine et de la Russie au Cœur immaculé de Marie.
Les initiatives spirituelles seront nombreuses, dès le 2 mars avec une journée de prière et de jeûne pour la paix en Ukraine. Sur le plan diplomatique, le pape s’entretient plusieurs fois au téléphone avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et recevra des personnalités ukrainiennes à de nombreuses reprises.
La visite au Vatican du chef de l’Église gréco-catholique, Sviastoslav Schevchuk, le 7 novembre, semble avoir ouvert la voie à un soutien plus affirmé du pape à l’égard de l’Ukraine. L’archevêque majeur gréco-catholique semble ainsi avoir largement inspiré la Lettre aux Ukrainiens publiée par le pape François à l’occasion de la commémoration de l’Holodomor. Le pontife y dresse un parallèle explicite entre «l’agression» russe de 2022 et la famine orchestrée par Staline dans l’est de l’Ukraine au début des années 1930, qualifiée de «génocide».
Mais c’est avec gravité et amertume que se conclut cette année 2022. Le 8 décembre, lors de la traditionnelle prière mariale devant la statue de Marie située près de la Place d’Espagne, en la fête de l’Immaculée Conception, le pontife s’effondre en larmes. «J’aurais voulu vous apporter les remerciements du peuple ukrainien pour la paix, mais au lieu de cela, je dois encore vous apporter la supplication des enfants, des personnes âgées, des pères et des mères, des jeunes gens de cette terre tourmentée», déclare le pape en s’adressant à la Vierge Marie. Plus que tous ses mots, ces larmes resteront une image forte du pontificat, François peinant à se tenir debout, ployant sous la charge d’une mission de paix impossible.
En conformité avec la ligne de son pontificat, le pontife argentin appelle les catholiques, lors de l’audience générale du 14 décembre, à vivre le temps de Noël avec sobriété, et à accomplir un geste de solidarité avec la population ukrainienne en souffrance.
Portant la croix d’un drame face auquel il se sait désarmé et impuissant, comme saint Pie X au début de la Première guerre mondiale, le pape François semble considérer la guerre en Ukraine comme un défi spirituel. Il invite ainsi chaque chrétien à se recentrer sur l’essentiel et à garder, malgré les échecs apparents à court terme, le regard fixé sur l’horizon d’une paix possible. (cath.ch/imedia/cv/rz)
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